Mise à jour (oct. 9): La cathédrale symbolique des Ghazanchetsots (Saint-Sauveur) a été endommagée par les bombardements.

Des combats féroces ont éclaté dans les montagnes du Caucase entre la mer Caspienne et la mer Noire, opposant les Arméniens chrétiens aux Azéris musulmans.

Mais est-il juste d’employer leurs étiquettes religieuses?

«Tôt dimanche matin [sept. 27], j’ai reçu un appel téléphonique de notre représentant dans la capitale [Stepanakert] », a déclaré Harout Nercessian, le représentant de l’Arménie pour l’Association des missionnaires arméniens d’Amérique (AMAA).

«Il a dit qu’ils bombardaient Stepanakert. C’est une guerre.»

Une semaine plus tard, les combats se poursuivent. L’enjeu est le contrôle de l’enclave à majorité arménienne du Haut-Karabakh, qui abrite 170 000 personnes dans une région montagneuse de la taille du Delaware en Azerbaïdjan.

Plus de 200 personnes seraient mortes , bien que l’Azerbaïdjan n’ait pas communiqué le nombre de victimes.

Administrée par des Arméniens de souche depuis la déclaration d’un cessez-le-feu en 1994, les habitants appellent la région la République d’Artsakh. Les escarmouches militaires n’ont pas été inhabituelles. Il y a eu plus de 300 incidents depuis 2015, selon l’International Crisis Group.

Cette escalade est la plus grave depuis 2016, les forces azerbaïdjanaises attaquant plusieurs positions le long de la «ligne de contact» de près de 190 kilomètres.

Mais le bombardement des villes civiles représente une évolution inquiétante.

Est également inquiétant le rôle de la Turquie - et des militants syriens qu’elle aurait recrutés - qui s’est engagée à soutenir pleinement l’Azerbaïdjan.

La Russie, la France et les États-Unis - partenaires du «Groupe de Minsk» qui supervise les négociations entre les deux nations depuis 1992 - ont appelé à un cessez-le-feu immédiat.

Mais la Turquie a encouragé le refus du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, ce qui rend un cessez-le-feu conditionnel au retrait total de toutes les forces arméniennes afin de rétablir l’ intégrité territoriale de la nation Caspienne.

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Le déploiement contesté de militants syriens a encore compliqué les choses. Bien que nié par l’ Azerbaïdjan et la Turquie, plusieurs médias ont cependant laisser fuir l'information et (https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/09/armenia-azerbaijan-conflict-plot-turkey.html) ont signalé leur recrutement dans les zones tenues par les Turcs , ainsi que leur déploiement - et même le [décès] de plusieurs d'entre eux(https://amp.theguardian.com/world/2020/oct/02/syrian-recruit-describes-role-of-foreign-fighters-in-nagorno-karabakh) - à la la ligne de contact.

Cela légitime les efforts arméniens pour nettoyer l’Azerbaïdjan des «terroristes», a déclaré un responsable du Haut-Karabakh, même en dehors de la région contestée.

L’implication de la Turquie a éveillé les pires craintes - ou peut-être la rhétorique habituelle - parmi les Arméniens.

“L’État turc, qui continue de nier le passé”, a déclaré le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan, “s’aventure à nouveau sur la voie du génocide.”

La rhétorique du président turc Recep Erdogan n’aide pas. Il a qualifié l’ Arménie de «la plus grande menace à la paix» dans la région. Dans le passé, il avait même qualifié les Arméniens et les autres chrétiens de Turquie de «restes de l’épée», se référant à ceux qui ont survécu au génocide - un terme qu’il rejette cependant.

Les Azerbaïdjanais, bien que majoritairement chiites de religion, sont le deuxième groupe ethnique turc du monde après les Turcs sunnites, majoritaires en Turquie. Ces groupes caractérisent mutuellement leur relation comme une « entité constituée de deux États, mais d'une nation».

La dernière escalade a mis les Arméniens à bout.

«Nous comprenons qu'il s'agit d'une question existentielle, pas seulement d'une guerre», a déclaré Hovhannes Hovsepian, pasteur de l’Église évangélique d’Arménie à Erevan, la capitale de l’Arménie.

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«Nous ne faisons jamais rien pour aggraver la situation ou prendre la terre de nos voisins. Nous sommes pour la paix, mais parfois il faut se battre pour elle.»

Le conflit remonte à plus de 30 ans - ou peut-être 100.

Selon le consensus international, le Haut-Karabakh est un territoire azerbaïdjanais. Les résolutions de l’ONU ont appelé toutes les «forces d’occupation» à se retirer.

En 1987, les Arméniens du Haut-Karabakh ont demandé à l’URSS d’ajouter la région à la République soviétique arménienne. Tout en consolidant le Caucase dans les années 1920, Staline l’avait en effet placée sous contrôle azerbaïdjanais, pour apaiser la Turquie.

Tant avant qu’après l’indépendance de 1991, les Arméniens et les Azéris se sont engagés dans des batailles démographiques. Plus de 30 000 personnes ont été tuées et un million d'entre elles déplacées. Les deux pays ont échangé environ 250 000 personnes tandis que des groupes minoritaires ont été expulsés ou ont fui vers leurs pays de même majorité ethnique et religieuse.

Des milliers d’Azéris minoritaires ont quitté le Haut-Karabakh. Sa population arménienne a déclaré son indépendance en 1992, tandis que l’Arménie occupe les terres intermédiaires pour se connecter ainsi avec son propre territoire.

«Toutes les guerres ont un côté pervers», a déclaré Paul Haidostian, président de l’Université évangélique arménienne haigazienne de Beyrouth, au Liban.

«Mais spirituellement, aussi importantes que soient les frontières légales pour l’ordre mondial, elles ne sont qu’une norme, parmi d'autres. L’autodétermination, la dignité et le témoignage chrétien d'une terre durant plus de 1700 ans sont également très importants.»

Dans un pays autrefois détenu par les Arméniens, l’Azerbaïdjan a, selon les rapports, détruit des khatchkars du VIe siècle ainsi que des pierres tombales richement sculptées dans un cimetière chrétien. (https://www.christianitytoday.com/ct/2019/november/azeris-armenians-clash-heritage-grave-khachkars.html?share=UExx%25252bPnlkCc11elvE96e8RGcu5jxa9eP). Le patrimoine culturel musulman a également été détruit pendant le conflit, bien que certaines mosquées aient été reconstruites, de manière controversée, par les Arméniens.

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Bien que l’Azerbaïdjan nie la destruction du khachkar, Haidostian craint aussi pour le patrimoine des anciennes églises et monastères du Haut-Karabakh - et même un massacre, si les Azéris reprennent le contrôle de la région.

En même temps, il a déclaré que la diaspora arménienne du Levant était unie dans son soutien et son intérêt.

«Les Arméniens pensent que c’est une continuation des politiques anéantissantes du pan-turquisme», a déclaré Haidostian.

«Chaque centimètre carré doit être protégé.»

Mais le chevauchement de la religion, de l’ethnicité et de la politique rend certains mal à l’aise.

«Les Arméniens ont appris qu’ils obtiennent le soutien de l’Occident lorsqu'ils font de ce conflit un conflit entre chrétiens et musulmans», a déclaré Johnnie Moore, membre de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale qui s’est personnellement rendu fréquemment en Azerbaïdjan avec un rabbin juif.

«L’Arménie est alliée à la Russie et à l’Iran. Ce n’est pas aussi simple que ce les gens finissent par en faire. »

Moore, président du Congrès des dirigeants chrétiens, a déclaré qu’il avait souligné avec ses contacts locaux la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat et d’un règlement négocié avant que la situation ne devienne incontrôlable.

Mais il a également fait l’éloge de l’Azerbaïdjan comme modèle de coexistence pacifique entre les religions. Sa minorité musulmane sunnite, qui compose 15 pour cent de la population de 10 millions d’habitants, coopère avec la majorité chiite, tandis que les chrétiens représentent 3 pour cent de la population. En même temps, 12 000 Juifs y poursuivent la longue présence de leur communauté.

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Et politiquement, l’Azerbaïdjan représente le lien essentiel pour le commerce et l’énergie entre l’Europe et l’Asie,en contournant la Russie et l’Iran, a déclaré Moore. Une brève flambée militaire cet été a eu lieu non pas le long de la «ligne de contact», mais à plus de 300 km de distance dans le Nord de l’Arménie, la région la plus proche des oléoducs et des gazoducs.

Certains analystes affirment que la Russie - qui vend des armes aux deux parties - permet à cette escalade de se prolonger afin de faire pression sur le gouvernement de libéralisation de l’Arménie. D’autres disent que la Turquie joue dans l’arrière-cour de la Russie, comme un message à Moscou pour qu’il cède en Syrie.

L’Azerbaïdjan, quant à lui, a vu sa puissance régionale croître depuis l’acceptation du règlement du Groupe de Minsk en 1994 qui a laissé les Arméniens sous le contrôle du Haut-Karabakh. Ses revenus pétroliers et gaziers correspondent à une multiplication par 20 des dépenses militaires entre 2004 et 2014, soit deux fois la totalité du budget de l’État arménien.

De nombreuses armes de la nation chiite sont importées d’Israël, y compris les drones « kamikaze » qui ont ainsi introduit la guerre de haute technologie dans ce conflit. L’Arménie a rappelé (https://www.timesofisrael.com/armenia-recalls-ambassador-from-israel-to-protest-sale-of-weapons-to-azerbaijan/) son ambassadeur de Tel Aviv en signe de protestation.

Dans ce contexte de réalités géopolitiques compliquées, les évangéliques devraient-ils simplement soutenir les chrétiens?

«Absolument», dit Nercessian.

Le pipeline n'est qu'un problème mineur, a-t-il déclaré. L’Arménie doit s'allier à la Russie car elle est le courtier régional en matière de pouvoir. Et au début des années 1990, alors que les frontières étaient fermées par la Géorgie chrétienne et la Turquie sunnite, c’est bien l’Iran chiite qui a fourni à l’Arménie le carburant dont elle avait besoin.

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«La politique concerne les intérêts et les calculs nationaux, pas les principes moraux ou spirituels», a-t-il déclaré.

«Mais si l'Église en Amérique ne soutiend pas la nation chrétienne, aussi nominale soit-elle, qui soutiendra-t-elle?»

Personne, dit Moore. Comme il s’agit d’un conflit foncier ( qui concerne la terre) - et non religieux -, il vaut mieux rester neutre et exhorter les deux parties à négocier.

L’Azerbaïdjan serait prête, pense-t-il.

«Les chrétiens ne devraient pas soutenir instinctivement l’Arménie simplement parce que c’est un pays à majorité chrétienne», a-t-il dit. Cela pourrait renforcer l’Iran, tandis que l’Azerbaïdjan est allié à Israël.

«Ce conflit doit être rejeté et ne pas être oxygéné par les passions religieuses.»

Il y a beaucoup de cela au Liban, avec son importante minorité arménienne, a déclaré Martin Accad, directeur des études au séminaire théologique baptiste arabe de Beyrouth. Ses médias sociaux ont été inondés de déclarations de soutien.

Accad a déclaré qu’il n’avait pas suffisamment étudié la question pour peser le pour et le contre entre les deux nations.Il est cependant très préoccupé de ce que des militants syriens auraient été embauchés par la Turquie.

Mais il conseille une autre mesure de jugement.

«Nous sommes appelés à soutenir la juste cause, pas simplement une appartenance religieuse ou culturelle commune», a-t-il déclaré. «Sinon, ce n’est que du sectarisme tribal.

« Je ne peux cependant qu’imaginer le considérable impact psychologique que peut avoir sur les Arméniens un tel conflit, étant donné leur histoire [de génocide,] il y a un siècle.»

L’Arménie a été la première nation à accepter le christianisme, en 301 de notre ère.

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Alors qu'il y a aujourd'hui seulement 1% d'évangéliques en Arménie, 93% de sa population de 3 millions appartiennent à l’Église orthodoxe arménienne.

L’AMAA, créée en 1918 pour aider les survivants du génocide dans l’Empire ottoman, est à l'oeuvre aujourd’hui dans 24 pays. Son plus grand rayonnement missionnaire est en Arménie, où l'AMAA a commencé à travailler après le tremblement de terre de 1988 qui a tué 60 000 personnes.

Mais le mouvement évangélique a commencé bien plus tôt, lorsque le réveil des années 1860 s’est répandu à travers l’Anatolie pour atteindre même les montagnes du Haut-Karabakh. Aujourd’hui, la région compte une Église évangélique arménienne et trois centres d’éducation chrétienne, sans compter les 22 Églises évangéliques en Arménie proprement dite.

«Notre mission principale est d’atteindre les gens et de répandre l’Évangile», a déclaré Hovsepian. Son Église d’Erevan dessert plus de 200 familles.

Ces derniers temps, les relations sont bonnes avec l ‘«Église mère» orthodoxe, avec laquelle ils coopèrent au sein de la Société biblique. Mais alors que la nation a connu un certain renouveau avec une préoccupation renouvelée pour l’éducation chrétienne, il demeure un manque évident d'accentuation des Écritures.

Ainsi, pendant que le jeune Hovsepian attend un appel téléphonique envue de le recruter dans l’armée, Nercessian se démène pour répondre aux appels téléphoniques pour demander de l’aide. Qu’il s’agisse d’un conflit politique ou religieux, celui-ci frappe une nation chrétienne.

«Nous sommes une petite enclave de lumière spirituelle dans une région sombre», a déclaré le missionnaire AMAA. «Nous y étions, nous y sommes et nous y demeurerons encore.»

Correction: Un renouveau anatolien a commencé déjà dans les années 1860, pas dans les années 1920, comme cet article le déclarait initialement.

Traduit par Jean-Paul Rempp

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