Au milieu de la pandémie mondiale, certaines approches chrétiennes de la science ont attiré l'attention par leur méfiance à l'égard des vaccins contre le COVID-19, ou leur opposition au port du masque. Le défi n’est pas nouveau. Au fil des dernières années, des enquêtes nationales aux États-Unis ont relevé chez les chrétiens une méfiance plus marquée à l'égard de la science au sujet du réchauffement climatique provoqué par l’être humain, de l'évolution et d'autres problématiques, attirant souvent l'attention du public sur des sujets de discorde. Pourtant, de nombreux chrétiens ont non seulement trouvé l’harmonie entre la foi et la science, mais ont également une vocation qui se réalise au sein de cette tension.

Cherchant à répondre au besoin de plus de coopération et de collaboration entre les communautés scientifiques et confessionnelles, la sociologue de l’Université Rice Elaine Howard Ecklund souhaite faire avancer les choses en mettant en avant les points communs plutôt que les désaccords.

Ecklund a passé plus d'une décennie à rendre compte de ce que les scientifiques pensent de la religion et de ce que les religieux – en particulier les chrétiens – croient à propos de la science. Bien que près de 50% des scientifiques se considèrent comme religieux, une grande méfiance persiste entre chrétiens et scientifiques, chaque partie voyant souvent en l'autre une menace.

Dans son dernier livre, Why Science and Faith Need Each Other: Eight Shared Values That Move Us Beyond Fear (« Pourquoi la science et la foi ont besoin l'une de l'autre : huit valeurs communes qui nous affranchissent de la peur »), Ecklund propose que chrétiens et scientifiques trouvent un terrain d'entente autour de huit vertus indispensables à la foi et à la pratique de la science : la curiosité, le doute, l’humilité, la créativité, la guérison, l’émerveillement, le shalom et la gratitude.

Christopher Reese s'est entretenu avec Ecklund au sujet de son livre et de certaines questions épineuses sur la relation entre christianisme et science.

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Pourquoi est-il important que christianisme et science trouvent un terrain d'entente?

Une enquête montre que les opinions des gens sur la relation entre religion et science ont des implications importantes. Comme on peut le lire dans mon livre, elles peuvent influencer le vote lors d’une élection et, par conséquent, le financement public alloué à la recherche scientifique. Les opinions sur la relation entre religion et science peuvent également peser sur la décision d’aller ou non à l'Église ou encore sur la volonté des jeunes de rester on non dans l'Église. Une étude révèle que de nombreux jeunes quittent l'Église parce qu'ils perçoivent une opposition irréconciliable entre christianisme et science.

Pourquoi la méfiance persiste-t-elle entre chrétiens et scientifiques ?

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent la persistance des craintes et de la méfiance. Dans les Églises que j'ai visitées, j'ai rencontré des chrétiens qui empêchent leurs enfants d’assister à certains cours de sciences, craignant que l'éducation scientifique ne les conduise à douter et finalement à rejeter la foi. Il y a des parents chrétiens qui s'inquiètent de ce que diront les professeurs de science à propos de la foi lorsqu'ils conseillent leurs enfants dans le choix du lycée ou de l’université.

Les chrétiens des communautés minoritaires, en particulier les chrétiens d’origine africaine et hispanique, s’inquiètent quant à leur intégration dans des champs de recherche scientifique ou technologique où non seulement leur couleur de peau ou leur ethnicité est sous-représentée, mais aussi leur foi. Les femmes et les jeunes filles chrétiennes désirant poursuivre des carrières scientifiques se demandent si elles seront marginalisées dans leurs communautés chrétiennes à cause de leurs aspirations scientifiques et dans la communauté scientifique à la fois en raison de leur sexe et de leur foi.

Des chrétiens s'inquiètent de certaines technologies et recherches médicales, ne sachant pas si elles sont éthiques et si elles prennent en compte le caractère unique de l'être humain et ce que signifie être créé à l'image de Dieu. J'ai rencontré de nombreux chrétiens qui ont peur de l'impact de la science sur leur foi et de l'influence des scientifiques sur la religion et sa place dans la société.

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Les Églises devraient-elles encourager la poursuite de la science ? Si oui, de quelle manière ?

Absolument ! Les Églises ont tendance – pour autant qu’elles abordent les questions scientifiques – à s’intéresser surtout à des questions brûlantes comme l'évolution, le changement climatique et les technologies génétiques de reproduction humaine, pour n'en nommer que quelques-unes. Mais, pour stimuler l’intérêt pour la science, les jeunes – et tout le monde dans les communautés – ont besoin d'entendre des scientifiques chrétiens (et même ceux qui ne le sont pas) parler de leur travail scientifique et de la joie et de la beauté qu'ils trouvent dans la science. Les Églises pourraient consacrer plus de temps à parler de ce que les communautés scientifiques et confessionnelles ont en commun.

Quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'ai cherché chez moi un cahier de notes prises lors d’un cours que j'avais suivi il y a plus de 20 ans pendant le premier cycle à l'Université Cornell. Dans ce cours enseigné par Norman Kretzmann et portant sur le philosophe Thomas d'Aquin, j’avais commencé à réfléchir en profondeur aux vertus et valeurs chrétiennes, que Thomas d'Aquin considérait comme des pratiques ou des habitudes qui poussent au bien.

En étudiant, en interviewant et en travaillant avec des chrétiens et des scientifiques, j'ai été frappée par le fait qu'ils semblaient avoir beaucoup de vertus en commun. J'ai découvert que les vertus fondamentales qui guident la pratique et les habitudes de la science et de la religion sont bien plus semblables qu’on ne le pense, bien qu’il existe également des différences majeures. J'ai une nouvelle approche pour aborder la relation entre la science et la foi. Je vois la science et la foi non seulement comme des ensembles d'idées mais aussi comme des groupes de personnes, et je suis convaincue que scientifiques et chrétiens partagent des vertus communes qui mèneraient à un terrain d'entente si elles étaient mises en lumière. Je suis également convaincue qu'en reconnaissant les vertus communes à notre foi et à la science, et ce en quoi nos valeurs diffèrent, nous, chrétiens, pouvons commencer à développer une relation plus pertinente et plus fructueuse avec les sciences et les scientifiques.

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Vous avez mentionné certaines différences importantes entre la pratique et les habitudes de la science et de la religion. Pouvez-vous nous en dire plus ?

De toute évidence, les scientifiques – qu'ils soient ou non croyants – posent des questions sur le monde naturel et biologique, des choses que nous pouvons voir et tester. La plupart des scientifiques estiment que leurs travaux fournissent peu d’éléments sur les choses extérieures au monde naturel.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes chrétiens persuadés de devoir choisir entre la science et leur foi chrétienne ?

En bref : ils n’ont pas à choisir. Il existe de merveilleux exemples de scientifiques chrétiens capables de trouver des façons non seulement de faire cohabiter les identités qui caractérisent la foi et la science, mais aussi de constater en réalité que ces identités sont fécondes entre elles. Ce dont nous avons besoin, ce sont des exemples encore plus nombreux de chrétiens des deux sexes, de différentes origines, et de différents groupes ethniques, afin de nous aider à voir que des chrétiens de toutes sortes peuvent être des scientifiques.

Parmi les huit vertus que vous décrivez et que le christianisme partage avec la science, laquelle trouvez-vous la plus importante ?

Le Shalom. Dans mes entretiens avec des scientifiques chrétiens, j'ai constaté que beaucoup d'entre eux s'appuient sur les concepts de shalom et d’intendance. Shalom est un mot hébreu dont la racine renvoie aux notions de « complétude » et de « perfection », et qui signifie la paix, l'harmonie, le bien-être et la prospérité résultant de l'épanouissement de toute la création. Shalom peut se référer à l’action de s'impliquer dans le désordre du monde, de se confronter à des structures injustes pour les rendre plus justes.

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L’intendance, ou le soin du monde, sous forme de protection de l'environnement, est souvent considérée comme une vertu scientifique, mais c'est tout autant une vertu profondément chrétienne, une pratique qui nous rapproche du shalom. L’intendance chrétienne intègre l’idée d’une humanité unique, que nous avons été créés par Dieu et que nous avons donc la responsabilité d’entretenir et de prendre soin de la création de Dieu.

Et certains scientifiques chrétiens que j'ai interviewés ont explicitement évoqué le progrès vers une représentation équitable de tous dans les sciences comme l’un de leurs objectifs et l'une des façons d’entrer dans le shalom par leur travail de scientifiques. Certains de ces scientifiques lient spécifiquement leur foi à leurs efforts pour développer les opportunités pour ceux qui sont en sous-représentation dans les disciplines scientifiques.

Étudier et accroître la diversité dans les sciences est un domaine qui me passionne particulièrement en tant que sociologue chrétienne. Certains de ceux que j'ai interviewés pour mes études me rejoignent. Une biologiste, par exemple, m’a parlé de sa participation, au sein de sa corporation, au comité qui travaille à promouvoir et représenter la diversité dans son domaine scientifique, et a souligné à quel point lutter pour la diversité dans les disciplines scientifiques fait partie intégrante de sa foi, non seulement pour elle, mais aussi pour d’autres membres du comité.

Si un scientifique non croyant exprime à son ami chrétien son émerveillement face à la complexité de l’univers et que le chrétien exprime son émerveillement face à la puissance créatrice de Dieu, ce genre d’interaction peut-il conduire à un terrain d’entente ?

Je pense que c’est parfois possible, si cela est fait de manière réfléchie. De nombreux scientifiques (croyants et non croyants) expriment combien la beauté du monde naturel qu’ils voient au travers de leur travail les remplit d'un sentiment d'émerveillement et d’admiration auquel ils attachent beaucoup de valeur. Disséquer, examiner et comprendre le monde naturel – même ses parties les plus petites et les plus complexes – ne fait qu'augmenter leurs sentiments d'étonnement, d’ébahissement et de reconnaissance.

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Existe-t-il aujourd'hui des organisations ou des institutions où vous voyez des chrétiens et des scientifiques s'engager dans un dialogue fructueux ?

Il existe des organisations fantastiques. BioLogos, fondé par Francis Collins, est l'un des programmes les plus importants qui visent à aider les chrétiens à « voir l'harmonie entre la science et la foi biblique ». Science for the Church, à mes yeux, est également une ressource de valeur. Il y a également des organisations qui ne s’adressent pas spécifiquement aux chrétiens, mais où les chrétiens peuvent trouver des outils utiles, comme l’Association américaine pour l’avancement du dialogue scientifique sur la science, l’éthique et la religion. Et je pense aux programmes mis en place par Science for Seminaries, comme celui de l'Université Howard. Il y a beaucoup d’initiatives à encourager dans le domaine de la science et de la foi à l’heure actuelle.

NDT : Pour des ressources en français de bonne qualité sur le dialogue entre science et foi, on pourra notamment se référer au Réseau des scientifiques évangéliques, actif en France et en Suisse.

Christopher Reese est le rédacteur en chef du Worldview Bulletin, cofondateur de la Christian Apologetics Alliance et directeur de publication de Three Views on Christianity and Science (Zondervan, 2021)

Traduit par Philippe Kaminski

Révisé par Léo Lehmann

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