La version française de cet article a fait l’objet d’une mise à jour

Il y a des années où la joie de Pâques est plus difficile à trouver. En 2019, entre la laideur croissante de la politique dans mon pays et les tensions vécues au sein de l’Église, j’avais du mal à lever les yeux du corps brisé de mon Seigneur pour me réjouir dans le Christ ressuscité et monté au ciel.

Lorsque je fis part de mes luttes à un bon ami, il me suggéra de revoir une collection de sermons que le prêtre John Henry Newman prêcha au 19e siècle à Oxford en réponse aux défis de son époque. En me tournant vers Newman, je découvris une idée surprenante : selon lui, ma joie mitigée n’est pas simplement acceptable ou tolérable. Elle constitue une réponse profondément chrétienne à Pâques.

Dans un sermon intitulé « Keeping Fast and Festival » (« Observer le jeûne et la fête »), Newman établit d’abord une comparaison entre Noël et Pâques. À Noël, dit-il, nous nous réjouissons avec « la joie naturelle et sans mélange des enfants ». La joie de Pâques, cependant, n’est pas la même. Cette joie est vécue comme dans un second temps. Elle naît de la tribulation, comme l’écrit Paul en Romains 5, émerge de la moisson (Es 9.3), et vient après (et en conséquence) du carême et du Vendredi saint.

En d’autres termes, si le carême nous apprend ne serait-ce qu’un peu comment le Christ supporte la souffrance du monde, alors notre enthousiasme pascal devrait être différent de notre réaction à l’arrivée de Dieu sous la forme d’un bébé à Noël. Il devrait être plus mûr, plus vieilli, plus éprouvé. La joie de Pâques n’est pas la joie des enfants, dit Newman, mais plutôt celle de convalescents qui ont reçu la promesse de la guérison, qui commencent à se rétablir, mais doivent encore reprendre des forces après une saison de Carême où nous avons affronté notre faiblesse et pleuré nos péchés.

La représentation que Newman donne des chrétiens comme des convalescents me fait penser à l’histoire de guérison que l’on trouve à la fin du roman de C. S. Lewis Le Neveu du magicien. Au point culminant du livre, Diggory, le jeune héros, regarde Aslan planter une pomme magique dans le sol narnien nouvellement créé. Un arbre en sort immédiatement. À Narnia, les pommes ont un immense pouvoir de guérison et de fortification. Aslan donne alors à Diggory un fruit de l’arbre et le renvoie dans notre monde pour soigner sa mère malade.

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Lorsque Diggory donne à sa mère la pomme magique, il ne constate pas de guérison immédiate. Dans notre monde, bien que remplie non plus de la vigueur de la création, mais de celle de la rédemption, sa guérison est lente et progressive. Diggory remarque d’abord que son visage est un peu différent. Puis une semaine plus tard, elle est capable de s’asseoir. Enfin, au bout d’un mois, elle est suffisamment bien pour s’installer dans le jardin avec son fils. Au milieu de ce processus, Diggory a du mal à croire que sa guérison est réelle. Mais « lorsqu’il se souvint du visage d’Aslan, il reprit espoir ».

Nous aussi devrions souvent (mais pas toujours) nous attendre à ce que notre guérison ressemble davantage à celle de la mère de Diggory : marquée par une joie mesurée qui n’exclut pas la lutte. Comme l’écrit George Herbert, même si nous grandissons dans la foi et nous reposons en Dieu, nous nous sentons souvent « maigres et légers, sans rempart ni ami […] balayés par toutes les tempêtes et tous les vents ».

Comme beaucoup de personnes exposées à divers courants du mouvement évangélique, il m’est facile d’accorder une grande importance à l’expérience subjective, aux émotions et à leur expression extérieure. Ainsi, il m’arrive de craindre que mon manque de joie à Pâques — ou à tout autre moment de l’année, d’ailleurs — soit dû à ma faiblesse et à mon péché. Bien que cela puisse être vrai à certains moments, Newman remet en question la croyance selon laquelle ce serait toujours le cas, rejetant le mensonge selon lequel « puisque le devoir du chrétien est de se réjouir sans cesse, il se réjouirait mieux s’il ne souffrait jamais et n’était jamais en peine de justice ».

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M’inquiéter de mon manque d’émotions « appropriées » n’est pas une solution, et serait en fait plutôt source de problèmes. Lorsque je refuse de me laisser aller à la déception face à mes brisures et à celles du monde, je ne reconnais non seulement plus « la langueur et l’oppression provenant de mon ancien moi » qui persiste de ce côté-ci du ciel, mais je néglige aussi la réalité de la nouvelle vie qui m’a été donnée. La solution n’est pas de susciter davantage d’émotions ou d’effacer les peines de ce monde, mais plutôt de se tourner dans la prière, non pas vers l’intérieur, mais vers le haut.

« Nous devons supplier Celui qui est le Prince de la Vie, la Vie elle-même », dit Newman, « de nous transporter dans son nouveau monde, car nous ne pouvons pas nous y rendre de nous-mêmes, et de nous faire nous asseoir là où, comme Moïse, nous pourrons voir le pays et méditer sur sa beauté ! »

La joie de Pâques ne nous oblige donc pas à laisser derrière nous l’heure présente ou à faire semblant de ne pas être affectés par les événements de ce monde. Au contraire, elle survient lorsque, comme Diggory, nous revenons vers les détresses qui nous entourent (y compris nos propres fragilités) avec le réconfort de la présence du Christ et des moyens de grâce qu’il nous offre tout au long du temps pascal.

Dans ce retour, la joie se présente sous une forme différente, plus sombre, mais elle apparaît aussi plus profonde, meilleure et plus miraculeuse que tout ce que nous pouvions espérer.

Elisabeth Rain Kincaid est professeur adjointe de théologie morale du Aquinas Institute of Theology. Ses recherches portent sur les questions de formation morale, le développement de la vertu et l’intersection du droit, des affaires et de la théologie.

Traduit par Léo Lehmann

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