Un an s’est écoulé depuis l’insurrection du 6 janvier contre le Capitole des États-Unis, et deux images hantent encore mon esprit. L’une est celle d’une potence de fortune construite pour menacer de mort le vice-président des États-Unis. L’autre est celle d’une pancarte, tenue au-dessus de cette foule en colère, où avait été inscrit « Jésus sauve ». Que ces deux images puissent coexister dans la même foule témoigne d’une crise que connaît le monde évangélique américain.

Certains pourraient faire abstraction des symboles chrétiens lors de l’insurrection — non seulement des symboles, mais aussi des prières « au nom de Jésus » juste à côté d’un chaman exhibant ses cornes à la tribune du Sénat américain évacué. Quelques-uns pourraient oublier les évangéliques qui ont fallacieusement affirmé dans les jours qui ont suivi qu’il s’agissait d’une foule d’activistes antifascistes, et non de personnes issues du rassemblement au cours duquel le président des États-Unis de l’époque a incité la foule à se diriger vers le Capitole.

Et pourtant, les sondages montrent les uns après les autres que un nombre inquiétant d’évangéliques blancs croient au mensonge derrière cette attaque, à savoir que l’élection de 2020 aurait été volée par une vaste conspiration de gauche qui impliquait d’une manière ou d’une autre les gouverneurs républicains conservateurs et les responsables des élections en Géorgie et en Arizona.

Une grande Église évangélique a récemment accueilli l’ancien président Trump. La foule scandait « USA ! » en réponse au discours politique de l’ancien président. Cette scène semblera peut-être encore un peu excessive à la plupart des évangéliques, mais les sondages montrent qu’il ne s’agit pas d’une aberration. Et ces mêmes sondages montrent que, loin de se calmer après l’ère Trump et l’insurrection, ces personnes estiment que la violence pourrait être justifiée dans les jours à venir.

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D’une certaine manière, ce que nous avons vu au cours de l’année écoulée depuis ces événements représente un changement. Un nombre croissant de personnes s’identifient comme « évangéliques » — dont beaucoup ne fréquentent même pas une Église — parce qu’elles y voient la désignation religieuse de leur mouvement politique.

Mais, de manière peut-être encore plus inquiétante, ces tendances traduisent ce qui n’a pas changé du tout.

Dans les jours qui ont précédé l’insurrection, des chrétiens évangéliques se sont rassemblés sur le National Mall pour une « marche de Jéricho », répétant les mêmes contrevérités : l’élection avait été volée et elle devait donc être annulée. Ce type d’affirmation selon laquelle, comme l’a dit Trump, « si vous ne vous battez pas […] vous n’aurez plus de pays », n’est pas nouveau pour de larges secteurs du mouvement évangélique américain.

Certains ont vendu des quantités d’équipement de bunker, littéral ou métaphorique, en prévision de l’effondrement imminent de la civilisation, qui ne devait pas manquer de se produire à cause du bogue de l’an 2000, de la charia, de la décision Obergefell de la Cour suprême (sur la légalisation du mariage homosexuel), de la théorie critique de la race ou encore d’un complot visant à fermer définitivement les églises en raison de la pandémie, etc. De nombreux pans de l’évangélisme sont devenus apocalyptiques à propos de tout, sauf de la véritable Apocalypse.

Comme dans le cas de l’insurrection (et cela s’est produit dans pratiquement tous les mouvements autoritaires de l’histoire), un moment apocalyptique est une situation d’urgence nécessitant des mesures d’urgence. C’est ainsi que s’explique la dissonance cognitive de personnes qui prétendent soutenir la loi et l’ordre (parfois en citant Romains 13) et se retrouvent à frapper des officiers de police et à briser des vitres afin d’empêcher le Congrès de remplir son devoir constitutionnel de compter les votes électoraux. Ce sont ces mêmes personnes qui considéreront comme faibles et naïves les paroles de Jésus-Christ lui-même sur le fait de tendre l’autre joue.

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Ce genre d’urgence, nous dit-on, ne peut pas se préoccuper des normes constitutionnelles ou du caractère chrétien. Le raisonnement est que le Sermon sur la Montagne n’est pas un engagement au suicide et que la voie de Jésus ne fonctionne qu’avec des ennemis plus raisonnables que ceux qui nous occupent, comme, je suppose, l’empire romain qui a crucifié celui qui nous a donné cet enseignement.

Tel est le signe non pas d’une culture postchrétienne, mais d’un christianisme postchrétien, non pas d’une société qui se sécularise, mais d’une Église qui se paganise.

Ce serait une chose s’il ne s’agissait que de l’attaque de la foule contre le Capitole ce jour-là. C’en est une autre lorsque certains — y compris de ceux qui soulignent des passages dans leur bible et affichent des sujets de prière sur leur réfrigérateur — considèrent cette attaque comme une simple protestation et estiment que nous devrions « passer à autre chose ». Il ne s’agit pas uniquement d’une menace pour la démocratie américaine — bien que ce soit déjà assez grave — mais d’une menace pour le témoignage de l’Église.

On ne peut pas apporter la Bonne Nouvelle à des gens que l’on pourrait décider de battre ou de tuer si les choses tournaient mal. On ne peut pas faire le bien en faisant le mal. On ne peut pas « défendre la vérité » en employant le mensonge.

Peut-être le 6 janvier était-il une terrible anomalie dans notre histoire, une anomalie qui ne se répétera jamais. Je l’espère. Ou peut-être s’agissait-il, comme le dit le journal The Atlantic, d’un « coup d’essai » pour de nouvelles tentatives de coup d’État ou violences collectives à venir. Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, je sais ceci : en tant qu’évangéliques américains, nous ne pouvons pas justifier ce qui s’est passé au Capitole il y a un an. Nous ne pouvons pas non plus l’ignorer. Si Jésus est celui qui sauve, alors nous devons aller dans sa direction : vers la mission et non vers le ressentiment, vers l’Évangile et non vers la haine.

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Et cela signifie que nous devons choisir entre le chemin de la potence et le chemin de la Croix.

Russell Moore dirige le programme de théologie publique de Christianity Today.

Traduit par Léo Lehmann

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