Au cours des 49 années de débats sur l’avortement tel que le rendait légal l’arrêt Roe vs Wade de la Cour suprême des États-Unis, certains ont perdu de vue les enjeux économiques et financiers. En la matière, les chrétiens pro-vie ont encore de quoi innover s’ils veulent agir conformément à ce qu’ils professent.

Un argument courant à l’appui d’une éthique favorable à l’avortement est que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Beaucoup, comme la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen affirment que limiter l’accès à l’avortement ne fera qu’aggraver la situation financière des femmes vulnérables. Et si les ressources proposées aux mères enceintes ne se développent pas davantage, c’est un argument compréhensible.

Selon les données des Centers for Disease Control and Prevention 75 % des avortements ont lieu dans des ménages vivant avec moins de deux fois le revenu correspondant au seuil fédéral de pauvreté, et près de la moitié sont en dessous de ce seuil. 60 % des femmes qui choisissent l’avortement ont déjà des enfants, et 55 % sont célibataires. Pour des femmes célibataires qui luttent déjà pour nourrir leurs enfants, les incitations économiques à avoir un autre enfant sont faibles à l’heure actuelle.

Janet Yellen et d’autres considèrent également que l’économie en général souffrira si l’accès à l’avortement est restreint. Les taux d’abandon du marché du travail, déjà très élevés, ne feront qu’augmenter et le fait d’avoir plus de bouches à nourrir dans des foyers déjà défavorisés entraînera davantage de pauvreté.

En restant dans cette logique comptable, on peut même imaginer que le maintien du droit à l’avortement nous permet d’intégrer dans nos plans d’épargne-retraite que les travailleuses enceintes ne prendront pas de congé maternité et maintiendront une productivité constante. Notre calcul de l’imposition peut se faire en partant du principe que moins de foyers feront appel à l’aide du gouvernement après une grossesse non planifiée. D’une certaine manière, il se pourrait que nous soyons tous, inconsciemment, complices et bénéficiaires de l’économie de l’avortement.

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Cependant, cela ne signifie nullement que l’accès à l’avortement est bon pour l’économie. Deux autres points importants méritent d’être relevés.

Tout d’abord, comme le relève le comité éditorial du Wall Street Journal, le lien entre droit à l’avortement et prospérité économique est ténu. Plus de naissances et plus de personnes ouvrent plus de possibilités d’innovation, de créativité et de résolution de problèmes concernant les enjeux les plus criants de notre société, notamment la pauvreté. Le déclin des populations est lourd de problèmes économiques, car les jeunes générations ne peuvent pas remplacer les travailleurs qui partent à la retraite ni leur fournir des soins adéquats.

Deuxièmement, un accès réduit à l’avortement ne signifie pas nécessairement qu’il y aura moins d’avortements. En 2014, le taux d’avortement aux États-Unis était plus faible qu’au moment de l’arrêt Roe vs Wade en 1973. Cependant, bien que les taux d’avortement aient largement diminué au cours des 40 dernières années, certaines données préliminaires pour 2019 laissent penser qu’ils pourraient augmenter.

Alors que le président Trump nommait les juges qui ont à présent invalidé Roe vs Wade, l’avant-dernière année de sa présidence a vu le nombre d’avortements augmenter de 2 %. Le nombre d’avortements rapportés a augmenté de 0,9 %, et le taux d’avortement par grossesse a augmenté de 3 %, tout cela en l’espace d’un an.

Les implications macroéconomiques de l’arrêt Roe vs Wade sont tout sauf simples, les deux camps politiques ayant tendance à vouloir nous rendre invisibles certaines personnes qui les gênent, comme le rappelait Russell Moore dans un récent article.

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Un camp porte à juste titre son attention sur le poids inestimable des femmes dans ce pays, elles qui représentent 57 % de la main-d’œuvre et des diplômés universitaires récents. Mais ceux qui se concentrent uniquement sur le sort des femmes négligent souvent les enfants à naître dans leurs scénarios, eux qui sont pleins de potentiel, non seulement pour l’économie, mais aussi en tant que personnes destinées à cultiver et à façonner le monde en tant que porteurs de l’image de Dieu.

Et tandis que l’autre camp amadoue et cajole les évangéliques pour qu’ils votent pour des candidats « pro-vie », il rejette souvent les politiques de soins de santé qui réduisent les cas d’avortement.

Néanmoins, le bilan microéconomique de l’Église durant les années Roe v. Wade reste encourageant. D’après les chiffres, les évangéliques ont largement joint le geste à la parole sur cette question.

Certains évangéliques ont décidé de combattre le droit à l’avortement au-delà de l’isoloir, avec leur porte-monnaie. Un groupe évangélique conservateur a estimé que les groupes d’activistes pro-vie ont levé près de 55 milliards de dollars depuis 1973. Pour comparaison, cela représente 15 fois plus que ce que les démocrates et les républicains ensemble ont mobilisé pour l’élection présidentielle de 2020.

En plus de contribuer aux centres d’accompagnement pour femmes enceintes et à diverses campagnes, certains évangéliques ont opté pour des boycotts en lien avec l’avortement, utilisant leur pouvoir d’achat pour cibler les entreprises qui financent les campagnes en faveur de l’avortement et exercer d’autres formes de pression financière sur les organisations favorables à l’avortement dans les États qui l’autorisent.

Cependant, si la société américaine a réellement bénéficié du rejet des barils de thé dans le port de Boston et de l’abandon des lignes de bus à Montgomery, en Alabama, ces boycotts modernes ont des effets plus mitigés. Ils ont rarement un impact économique au-delà des tempêtes sur les réseaux sociaux, et provoquent souvent des contre-boycotts de la part de l’autre camp.

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Au lieu de dépenser leur argent pour lutter politiquement contre l’avortement, de nombreux évangéliques ont choisi de l’utiliser en faveur d’œuvres de bienfaisance.

Le rapport sur les dons de 2021 du Evangelical Council for Financial Accountability (ECFA) dépeint un tableau encourageant. De 2010 à 2020, les ministères chargés de l’aide aux orphelins, de l’aide aux femmes enceintes, des services aux familles et aux enfants, de l’adoption et des foyers pour enfants ont reçu près de 10 milliards de dollars de dons. Ceci inclut 955 millions de dollars rien qu’en 2020 pour 251 organismes à but non lucratif.

Alors que nous entrons dans une ère post-Roe vs Wade, comment les chrétiens devraient-ils dépenser leur argent en faveur de la vie ? Je crois que la réponse se trouve à la fois là où elle s’est toujours trouvée, dans les œuvres de bienfaisance, et là où de nouvelles opportunités passionnantes pourraient mener.

Il y a environ 20 fois plus de centres d’accompagnement pour femmes enceintes que de cliniques de planification familiale aux États-Unis, et pourtant, la valeur combinée de leurs actifs est plus de 10 fois inférieure. Continuer à donner aux centres qui cherchent à soutenir les femmes enceintes est une belle façon de vivre une éthique évangélique en faveur de la vie.

Ces centres sont bien plus que simplement « pro-naissance ». Ils fournissent des aliments pour bébés, des couches et d’autres produits essentiels aux futures mères, mettent en relation les futurs pères avec des mentors, offrent des conseils gratuits aux femmes (y compris après un avortement) et s’associent à d’autres organisations locales à but non lucratif pour répondre à tout autre besoin qui pourrait survenir.

Si ces formes de philanthropie doivent se poursuivre, il existe d’autres aspects de notre argent, de notre temps et de notre pouvoir politique qui peuvent être mis à profit dans une économie post-Roe v. Wade.

Savez-vous quelles entreprises composent votre portefeuille de placements ? Savez-vous lesquelles produisent des abortifs, lesquelles n’offrent pas de congés parentaux payés, lesquelles refusent de payer un salaire décent ?

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Aux États-Unis, 84 % des investisseurs aimeraient adapter leurs investissements à leurs valeurs, mais les options claires sont limitées. À mesure que la technologie et la demande de pratiques d’investissement éthiques augmentent, il devient de plus en plus possible d’investir en fonction de ses valeurs sans sacrifier le rendement.

Des sociétés d’investissement comme Eventide, Crossmark, et OneAscent offrent des fonds communs de placement et des fonds négociés en bourse (FNB) qui visent à éviter les entreprises qui tirent profit de l’avortement et favorisent celles qui travaillent au bien-être de leurs employés, de leurs clients et de la société. Pour ceux qui en ont les moyens, la prochaine fois que vous parlerez à votre conseiller ou que vous vous connecterez à votre portefeuille de courtage en ligne, demandez-vous si l’investissement basé sur les valeurs pourrait correspondre à votre plan financier.

Aligner nos investissements sur nos valeurs devrait être au premier plan de notre gestion financière, au même titre que des niveaux d’épargne avisés et des dons généreux et intentionnels. Nous ne pouvons pas nous permettre de profiter de produits et de pratiques qui détruisent la vie. Aux États-Unis, les chrétiens sont assez nombreux, ensemble, pour faire évoluer le marché vers l’épanouissement et la vie pour les mères, les bébés et les familles.

Toutefois, comme le fait fréquemment remarquer mon pasteur, il est souvent plus facile de distribuer notre argent que de donner de notre temps. Comment les Églises peuvent-elles incarner dans leur voisinage une philosophie de préservation de la vie du sein maternel au dernier souffle ? Des activistes comme Rachael Denhollander peuvent être particulièrement utiles en proposant d’autres alternatives que les solutions indispensables, mais souvent débattues, que sont l’accueil et l’adoption.

Votre Église met-elle à profit les vocations de ses membres en tant que médecins, avocats, boulangers, enseignants, thérapeutes et soignants pour prendre soin des victimes de viol ou de violence domestique ? Certains de vos membres sont-ils prêts à se former pour accompagner des enfants placés en famille d’accueil ? Votre Église collecte-t-elle des fonds pour couvrir les dépenses juridiques d’une mère qui tente de protéger son bébé d’un père violent ?

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Consacrer du temps demande du temps, et est plus compliqué que de dépenser de l’argent. Cela a toutefois l’avantage de nous conduire à des niveaux plus élevés d’engagement relationnel et d’empathie, qui nous permettent d’incarner plus directement l’amour de Dieu.

Enfin, nous devons continuellement réfléchir et reconsidérer nos politiques. Les défenseurs de la vie ont souvent souligné que les États-Unis sont l’un des rares pays à autoriser l’avortement sans raison médicale après 20 semaines, ce qui place le pays en compagnie de la Chine et de la Corée du Nord.

Mais ces mêmes opposants à l’avortement laissent souvent de côté le fait que 32 pays parviennent à offrir un congé de maternité payé par le gouvernement, alors que les États-Unis ne le font pas. Même si une mesure comme la gratuité de la garde d’enfants — qui faciliterait considérablement la vie des nouvelles mères — est actuellement politiquement irréalisable, les chrétiens devraient voter pour des candidats qui se battront pour une réforme financière bipartisane pour soutenir les familles.

Pour reprendre les mots de Ronald Reagan, si vous voulez plus de quelque chose, subventionnez-le. Si vous en voulez moins, taxez-le.

Les chrétiens devraient souhaiter qu’il y ait plus d’enfants dans le monde, car ceux-ci sont à l’image de Dieu (Ge 1.27). Ils sont une bénédiction pour la famille et l’héritage (Ps 127.3-5). Leurs cris et leurs gazouillis font même taire les ennemis de Dieu (Ps 8,2). Par conséquent, dans cette économie moderne, nous devrions subventionner la vie des enfants, des mères et des familles par nos dons, nos investissements, notre engagement personnel et nos votes.

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Nous ne pouvons pas continuer à traiter les personnes vulnérables comme un poids pour l’économie.

Et peut-être qu’au terme d’une vie et d’une nouvelle génération d’amour pour ceux que Jésus aime, tant avec nos mots qu’avec nos portefeuilles, nous constaterons que nos affrontements se sont transformés en discussions. Peut-être entendrons-nous ceux que nous avons autrefois vilipendés. Peut-être parlerons-nous avec grâce et vérité.

Peut-être créerons-nous un jour une économie dans laquelle l’avortement sera simplement impensable, qui témoignera paisiblement, mais avec force, de la vérité que personne ne « veut » vraiment de l’avortement.

Will Sorrell (MDiv, MBA) supervise les investissements éthiques chez OneAscent. Lui et sa femme sont membres de l’Église Grace Fellowship à Birmingham, en Alabama.

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