Pendant plus d’un mois, la nation ukrainienne tout en affirmant qu’elle n’avait pas l’intention de l’envahir. À présent, l’horreur se déroule quotidiennement sous nos yeux.

Nous avons entendu parler d’obus d’artillerie tombant sur une centrale nucléaire. De jardins d’enfants et de théâtres bombardés. D’immeubles d’habitation et de quartiers entiers réduits en ruine et sous les décombres. Un char écrasant trois personnes dans une voiture. Des centaines d’orphelins entrant en Pologne, certains non accompagnés, hébétés et pleurants dans leurs écharpes.

Nous avons vu des civils désamorcer une bombe russe en direct à la main ; des habitants boire l’eau provenant de leur chauffe-eau après avoir survécu pendant des semaines à des températures glaciales sans électricité ni chauffage ; des frappes aériennes sur au moins 20 établissements de santé, dont une maternité et un hôpital pour enfants.

La réponse ukrainienne à cet assaut a captivé le monde entier. L’agence de sondage « Rating » rapporte que 88 % des Ukrainiens pensent qu’ils repousseront l’attaque russe et 98 % soutiennent les actions des forces armées ukrainiennes.

Plus de trois millions de personnes ont fui pour se mettre en sécurité, mais ceux qui restent ne se sont pas rendus. Ils ripostent à coups de cocktails Molotov et de fusils de chasse pour soutenir leur armée, qui s’est montrée plus performante que quiconque, et surtout que Vladimir Poutine, ne l’avait imaginé.

Peter Wehner écrit dans The Atlantic que « ce qui a motivé le soutien à l’Ukraine, ce sont les vertus humaines qui se sont manifestées dans le cadre d’un terrible drame humain ».

« C’était de voir des gens ordinaires, y compris des jeunes gens et des personnes âgées, agir de manière extraordinaire pour défendre le pays qu’ils aiment, contre toute attente. C’était de voir des gens faire ce qu’il faut, au risque de mourir, alors que tous leurs instincts devaient hurler : faites ce que vous avez à faire pour survivre, même si la survie, sans être déshonorante, est moins honorable. »

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Il poursuit : « Quel que soit le destin qui les attend — et en ce moment même les Russes tentent d’assiéger des villes qui sont le foyer de millions de personnes — le peuple et le président ukrainien [Volodymyr Zelensky] ont montré que le sens de l’honneur n’a pas disparu, même dans un monde parfois indifférent, las et cynique. »

Comme l’a dit un jour Martin Luther King Jr. à propos de la lutte contre l’injustice, « Si un homme n’a pas découvert quelque chose pour lequel il est prêt à mourir, il n’est pas digne de vivre. »

Au cours de son histoire tragique, l’Ukraine a été familiarisée avec la souffrance.

J’ai visité le pays en 2018 et j’ai constaté que les principaux sites touristiques étaient des monuments commémorant les atrocités humaines infligées par le passé à cette nation. J’ai visité le musée national du mémorial aux victimes du Holodomor, un lieu dédié aux millions d’Ukrainiens morts de faim dans les années 1930, lorsque les Soviétiques ont pris le contrôle de leurs fermes et confisqué leurs récoltes.

D’autres musées retracent l’occupation par l’armée hitlérienne pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Kiev a subi à elle seule un million de victimes, soit plus que le nombre total de victimes américaines pendant toute la guerre. Dans les campagnes, les combats ont détruit 28 000 villages.

Le lendemain, j’ai visité un ravin herbeux en bordure de la ville. Aujourd’hui Babi Yar est un parc, un écrin de paix boisé, niché dans un quartier de boutiques et de maisons ; mais le nom même évoque des scènes de génocide. Babi Yar a été le premier meurtre de masse perpétré par Hitler dans sa campagne contre les Juifs. Les soldats SS ont rassemblé les Juifs de la ville, les ont déshabillés et les ont mitraillés au bord d’une falaise.

Environ 22 000 d’entre eux sont morts le premier jour, et 12 000 le second. Plus d’un million d’Ukrainiens juifs sont morts pendant l’Holocauste, dont de nombreux parents de Zelensky, un Juif, qui, on le comprend, trouve naturellement révoltant que Vladimir Poutine tente de le présenter, lui et le gouvernement ukrainien, comme faisant partie d’un mouvement « néonazi ».

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La défaite d’Hitler a été suivie de quatre décennies supplémentaires d’occupation soviétique. Lorsque l’URSS s’est effondrée, l’Ukraine a enfin vu l’opportunité de devenir indépendante. En 1990, 300 000 Ukrainiens ont formé une chaîne humaine en signe d’unité, se donnant la main le long d’un parcours de 550 kilomètres entre Kiev et Lviv.

L’année suivante, 92 % de la population a voté pour l’indépendance de la Russie. Dans un accord séparé, la nouvelle nation a renoncé à ses armes nucléaires (le troisième plus grand stock au monde) en échange de garanties de sécurité. En tant que signataire, la Russie a accepté de respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

La démocratie a connu un début difficile en Ukraine. En 2004, lorsque le réformateur ukrainien Viktor Iouchtchenko a osé défier Viktor Ianoukovitch, le candidat soutenu par la Russie, il manque de peu de mourir d’un cas suspect d’empoisonnement à la dioxine.

Ignorant l’avertissement, Iouchtchenko est resté dans la course, le corps affaibli et le visage définitivement défiguré par le poison. Le jour des élections, un sondage à la sortie des urnes a indiqué qu’il avait 11 % d’avance, et pourtant le gouvernement en place a réussi à inverser ces résultats par une fraude flagrante.

Dans l’un de ces rebondissements peu connus de l’histoire, des personnes malentendantes ont déclenché une révolution pacifique. Le soir des élections, la chaîne de télévision publique a déclaré : « Mesdames et Messieurs, nous annonçons que l’opposant Viktor Iouchtchenko a été battu de manière décisive ». Cependant, les autorités gouvernementales n’avaient pas tenu compte d’une caractéristique de la télévision ukrainienne : la traduction qu’elle propose aux malentendants.

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Sur l’image dans le coin inférieur droit de l’écran de télévision, une femme courageuse élevée par des parents sourds-muets a donné un message très différent en langue des signes. « Je m’adresse à tous les citoyens malentendants d’Ukraine », a-t-elle signé. « Ne croyez pas ce que les autorités disent. Elles mentent et j’ai honte de traduire ces mensonges. Iouchtchenko est notre président ! »

Inspirées par leur traductrice, Natalya Dmitruk, des personnes malentendantes ont envoyé des SMS et des courriels à leurs amis au sujet des élections frauduleuses. Bientôt, d’autres journalistes ont pris courage à la suite de l’acte de défi de Natalya Dmitruk et ont également refusé de diffuser la ligne du parti. Des manifestations spontanées ont éclaté dans les grandes villes et la révolution orange est née.

À Kiev, 500 000 personnes ont inondé la place de l’Indépendance, nombre d’entre elles campant sur place par un temps glacial et portant de l’orange, la couleur de la campagne de Viktor Iouchtchenko. Au cours des semaines suivantes, la foule a parfois atteint un million de personnes. Lorsque des observateurs extérieurs ont prouvé qu’une fraude électorale avait eu lieu, les tribunaux ont ordonné une nouvelle élection — et cette fois, Viktor Iouchtchenko est sorti vainqueur incontesté.

Dix ans plus tard, en 2014, c’est le candidat soutenu par la Russie et autrefois battu par Viktor Iouchtchenko, Viktor Ianoukovitch, qui occupe le poste de président. Il a amassé une fortune de 12 milliards de dollars et vit dans un manoir doté d’un zoo privé, d’une flotte de 35 voitures, d’un terrain de golf et d’un champ de tir souterrain, tandis que la plupart des Ukrainiens vivent dans la pauvreté. Lorsqu’il renverse la tendance au rapprochement avec l’Europe de la nouvelle nation et cherche à resserrer les liens avec la Russie, les Ukrainiens descendent une fois de plus dans la rue. Le Parlement ordonne finalement de nouvelles élections et le pro-européen Petro Poroshenko en sort vainqueur.

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Lors de ma visite de Kiev, un guide barbu du nom d’Oleg m’a conduit à travers les installations commémorant les « Cent Héros Célestes », une liste de noms honorant les 130 personnes tuées par des tireurs d’élite tirant depuis des bâtiments gouvernementaux lors du soulèvement de 2014. 15 000 autres manifestants ont été blessés lors de ces événements.

« C’était une véritable révolution Internet », m’a raconté Oleg. « Au fur et à mesure que la nouvelle se répandait en ligne, les taxis ont commencé à offrir des trajets gratuits aux manifestants de toute la ville. J’ai installé une tente de prière au milieu d’un demi-million de manifestants et j’y ai passé 67 jours. Nous avons fourni un lieu de prière et distribué du pain et du thé chaud aux militants comme aux policiers. Et maintenant, je me rends sur les lignes de front dans un fourgon blindé, transportant des vivres et de l’eau pour les soldats et les civils pris dans le conflit en Ukraine orientale. »

Peu après la « Révolution de la dignité » de 2014, la Russie en a profité pour s’emparer de la péninsule de Crimée et de deux autres régions, déclenchant une guerre de moindre envergure, mais qui préparait le terrain pour l’invasion à grande échelle à laquelle nous assistons actuellement.

Je pense au poème poignant d’Ann Weems, « I no Longer Pray for Peace » (« Je ne prie plus pour la paix »). Comme beaucoup à travers le monde, je ressens un sentiment de désespoir impuissant face à la mort et à la dévastation en Ukraine. Comment pouvons-nous prier ?

Je prie d’abord pour les 40 millions d’Ukrainiens restés dans le pays, qui luttent pour survivre alors que des avions de combat rugissent au-dessus de leur tête et que des chars prennent pour cible leurs maisons et leurs hôpitaux.

Je prie pour les réfugiés qui affluent en Hongrie, en Pologne, en Moldavie et en Roumanie, ainsi que pour les milliers de personnes qui se sont enfuies vers des pays plus lointains à l’Ouest. Je prie pour les maris et les pères qui restent dans leur patrie, risquant leur vie pour repousser les envahisseurs. Je prie pour les familles d’accueil qui rencontrent les réfugiés aux postes-frontière et dans les gares pour leur proposer un hébergement gratuit.

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Je prie pour les ministères chrétiens locaux tels que Mission Eurasia et New Hope Ukraine, dont beaucoup étaient basés dans la ville-dortoir d’Irpin, théâtre de certains des combats les plus féroces.

L’un des responsables a déclaré dans une lettre d’information : « Nous avons appris à aimer et à haïr à un tout autre niveau. Nous avons découvert ce que signifie haïr le mal au plus profond de notre être. Et nous avons appris à aimer la vérité. La vérité qui nous libère. […] Beaucoup d’entre nous sont à bout de larmes. Maintenant, nous sommes tous tellement en colère contre toutes les injustices qui nous sont faites, et nous demandons au Seigneur des Armées de montrer son jugement juste. »

Je prie pour les soldats russes. Les services secrets britanniques ont intercepté certains de leurs appels téléphoniques affolés passés chez eux. On leur avait dit qu’ils seraient accueillis avec des fleurs, en tant que libérateurs, et au lieu de cela ils se retrouvent au milieu d’une guerre sanglante contre des Ukrainiens déterminés à résister. Le New York Times a publié un rapport indiquant que certaines unités russes démoralisées ont déposé leurs armes et se sont rendues, ou ont saboté leurs véhicules pour éviter le combat.

Je prie pour le peuple russe, qui entend une tout autre version des événements. On leur dit qu’il s’agit d’une opération militaire limitée sans victimes civiles. Pendant ce temps, l’Occident hostile tente d’étrangler économiquement leur pays. Ceux qui protestent contre la guerre sont arrêtés, et le simple fait d’utiliser le mot guerre sur les réseaux sociaux peux entraîner une peine de prison.

Je prie pour mon propre pays, pour que nous ne nous lassions pas de la hausse des prix de l’essence et de la chute des marchés boursiers, et que nous ne manquions pas de soutenir ceux qui défendent la liberté et la justice.

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Oui, je prie aussi pour Vladimir Poutine. Jésus ne nous a-t-il pas dit d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent ? Il faudrait un miracle colossal pour qu’un dictateur doté d’une telle détermination narcissique change d’avis — le genre de miracle dont les Hébreux exilés ont été témoins à l’époque de Nabuchodonosor (Daniel 4).

Tish Harrison Warren a récemment écrit un article où elle exprime la rage maternelle qu’elle a ressentie en regardant l’image d’un père ukrainien angoissé tenant le corps sans vie et taché de sang de son jeune fils : « Un enfant innocent a été assassiné parce que le dirigeant russe a décidé qu’il voulait s’approprier un pays souverain voisin du sien ».

Elle trouve une certaine forme de réconfort dans les psaumes imprécatoires, qui appellent le jugement de Dieu sur le mal. « C’est le monde dans lequel nous vivons », dit-elle. « Nous ne pouvons pas simplement nous tenir la main, chanter “Kumbaya” et espérer le meilleur. Nos cœurs réclament un jugement contre la méchanceté qui laisse les pères pleurer seuls sur leurs fils silencieux. Nous avons besoin de mots pour exprimer notre indignation face à ce mal. »

Pour les chrétiens, Poutine est un avertissement. Après la dissolution de l’Union soviétique, la Russie autrefois athée a chaleureusement accueilli un afflux de missionnaires étrangers qui ont enseigné la Bible dans les écoles publiques, fondé une université chrétienne et organisé une multitude de ministères évangéliques. Beaucoup d’entre eux ont fait l’éloge de Poutine, qui a reconstruit des églises et a pris leur parti dans la version russe des « guerres culturelles » entre modèles traditionnels et progressisme.

Finalement, cependant, la plupart des ministères originaires de l’étranger ont fini par être évincés par une alliance stratégique entre Poutine et son fervent partisan, l’Église orthodoxe russe. L’Église officielle a ainsi pu accéder au pouvoir et au parrainage du gouvernement, tandis que Poutine a gagné de nouveaux fidèles.

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À la lumière de cela, Russell Moore tire une leçon que nous ne pouvons nous permettre d’ignorer : « Les chrétiens évangéliques devraient se garder de la voie de Poutine, et nous devrions la reconnaître chaque fois qu’il nous est dit que nous avons besoin d’un Pharaon, d’un Barabbas ou d’un César pour nous protéger de nos ennemis, réels ou supposés. Chaque fois que cela se produit, il nous faut nous rappeler notre responsabilité de dire « niet », quelle que soit notre langue. »

Philip Yancey est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs ont été traduits en français.

Traduit par Valérie Dörrzapf

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