Il y a sept ans, la First Presbyterian Church de Deming, dans l’état américain du Nouveau-Mexique, a dû remplacer la corde qui pendait de son clocher. Après 75 ans d’utilisation régulière, elle commençait à s’effilocher. La cloche retentit depuis la construction du bâtiment de style pueblo en 1941, et la communauté elle-même remonte au début du XXe siècle.

Il n’y a pas grand-chose d’autre que la cloche qui soit resté en place. Aujourd’hui, les murs d’adobe d’origine de l’église sont recouverts de panneaux blancs et d’un toit bleu poudré. À l’extérieur, les marches menant à l’entrée ont été remplacées par une rampe pour fauteuils roulants. Il fut un temps où la communauté remplissait presque entièrement son sanctuaire de 200 places. Un récent dimanche, seules cinq personnes étaient présentes.

« C’est le niveau le plus bas jamais atteint », affirme Liv Johnson. Au cours des trois décennies qui se sont écoulées depuis qu’elle a commencé à travailler comme secrétaire de la communauté, elle a vu les gens partir au compte-gouttes. « Quand je suis arrivée ici, l’assistance moyenne — je devais en faire le rapport — était de 82. » « Je me souviens avoir eu 35 enfants pour l’école du dimanche. À présent, nous n’en avons aucun ».

Pourtant, elle ne désespère pas. Elle croit qu’un leadership fort et stable pourrait renverser la situation. Mais ces derniers temps, il a été difficile de trouver un leadership stable.

En 2018, le pasteur de l’Église, Adam Soliz, est décédé après une courte lutte contre un cancer du poumon. Un nouveau pasteur, plus jeune, a repris la communauté juste au moment où la pandémie de COVID-19 faisait chuter la fréquentation des Églises. Le nouveau pasteur a reconsidéré sa trajectoire professionnelle et, en août 2021, il a accepté un emploi mieux rémunéré et est parti.

Malheureusement, remplacer un pasteur est bien plus difficile que de remplacer une cloche. Et plus cela prend du temps, plus cela s’avère coûteux.

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Pour boucler son budget mensuel, l’Église s’est efforcée de trouver une famille pour louer le presbytère. « Je dois jouer au propriétaire. J’ai même prêché », rapporte Liv Johnson, seule membre du personnel restante. Avec l’aide de prédicateurs invités, des sermons ont pu être prononcés chaque semaine, mais de nombreux anciens fidèles disent qu’ils ne reviendront pas tant que l’Église n’aura pas trouvé un pasteur permanent.

L’automne dernier, Dale Cook, le diacre principal d’une Église presbytérienne de Las Cruces, au Nouveau-Mexique, a parcouru les 100 kilomètres le séparant de Deming pour venir y prêcher. Ils l’ont apprécié et lui ont demandé s’il accepterait de venir prêcher régulièrement.

Dale Cook travaille maintenant en vue de devenir un pasteur laïc mandaté pour l’Église presbytérienne de Deming. Il croit que Dieu l’a préparé à ce rôle depuis qu’il est enfant. « J’ai grandi dans le foyer d’un pasteur baptiste du Sud. Il faisait partie du comité de la mission intérieure, et il parcourait le pays pour relancer de petites Églises et reconstituer des Églises plus anciennes qui avaient perdu toute leur assemblée. »

Il prévoit d’exercer son ministère de manière bivocationnelle, ce qui lui permettra de s’installer dans le presbytère et de soutenir l’Église par son loyer et sa proximité. « On m’a dit : “Si tu t’installes là, tu seras juste à côté de l’église. On s’attendra à ce que tu sois disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7”. J’ai répondu que c’était ce que j’ai toujours pensé qu’un pasteur faisait. »

Les difficultés rencontrées par cette communauté pour trouver et garder un pasteur ne sont pas rares dans les petites Églises des États-Unis. Selon de nombreux experts, cette situation pourrait devenir encore plus fréquente à mesure que le pays s’approche d’une vague de démissions des pasteurs.

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Dans sa liste des « 10 tendances dans l’Église pour 2022 », l’auteur et chercheur Thom Rainer prédit une pénurie imminente de pasteurs : « Les départs de pasteurs vont augmenter de 20 %. La “Grande démission” touchera durement les pasteurs. » En septembre 2021, l’auteur et pasteur Dane Ortlund tweetait : « Un raz-de-marée de démissions de pasteurs est à venir en 2022. »

S’ils ont raison, plus d’Églises que jamais risquent de se retrouver avec un déficit de leadership — et peu d’entre elles auront un Dale Cook pour reprendre les rênes. Une pénurie de pasteurs à l’échelle nationale pourrait sonner le glas de nombreuses petites communautés.

Mais un examen plus approfondi des données relatives aux emplois pastoraux suggère, bien que l’on entende parler de grande démission des pasteurs jusque dans le Washington Post ou le Wall Street Journal, qu’il y a lieu de se demander si un départ massif de ces serviteurs est vraiment à l’horizon. L’autre option plus probable — un avenir dans lequel les pasteurs ne démissionnent pas — pourrait cependant être encore plus inquiétante.

« La grande démission arrive », avertissait en mai 2021 Anthony Klotz, professeur à l’université Texas A&M, dans un article de Bloomberg sur la situation des travailleurs américains en général. « Quand il y a de l’incertitude, les gens ont tendance à ne pas bouger. Il y a donc des démissions refoulées qui n’ont pas eu lieu l’année dernière. »

Il n’a pas fallu longtemps pour que ce retard dans les démissions se résorbe. Selon le Bureau américain des statistiques du travail (BLS), plus d’Américains ont quitté leur emploi en avril 2021 qu’au cours de n’importe quel autre mois. Suscitant des remous dans les actualités, le « Big Quit » a pris de l’ampleur pendant l’été, atteignant un pic avec 4,5 millions de personnes quittant leur emploi en novembre.

Ces démissions ont frappé certaines professions plus durement que d’autres. Le secteur des soins de santé a perdu des centaines de milliers d’employés et s’est enfoncé dans une crise dont il ne s’est toujours pas remis. Beaucoup des infirmières qui sont parties ne regardent pas en arrière.

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Image: Illustration de Dadu Shin

Il y a beaucoup moins de pasteurs en Amérique que d’infirmières, mais certains prévoient un exode similaire loin du ministère pastoral. Comme l’a rapporté Christianity Today, une enquête menée par Barna Group en octobre 2021 révélait que 38 % des pasteurs protestants avaient sérieusement envisagé de quitter le ministère à plein temps cette année-là — soit près d’un tiers de pasteurs en plus que lorsque Barna avait posé la même question en janvier.

À première vue, cela correspond à ce que l’on observe de manière générale aux États-Unis. Une enquête Yahoo Finance/Harris Poll de l’année dernière révélait que 37 % des travailleurs américains « envisagent de quitter leur emploi actuel ou se préparent déjà à le faire ».

Mais la Grande démission est plus complexe que ne le laisse entendre son nom. Il s’agirait plutôt d’une grande redistribution des cartes. Dans un article de The Atlantic, Derek Thompson écrit : « L’augmentation des démissions est principalement due à des travailleurs peu payés qui se tournent vers de meilleurs emplois dans des industries qui augmentent les salaires afin d’attirer de nouveaux employés aussi vite que possible. »

Malgré des départs plus nombreux que jamais dans l’hôtellerie et la restauration, le secteur a gagné deux millions d’employés l’an dernier. C’est un véritable marché pour les demandeurs d’emploi, mais les pénuries dramatiques de travailleurs que nous observons dans le secteur des soins de santé sont une aberration de la Grande démission.

Si la pénurie d’infirmières est bien documentée, il est moins évident que les pasteurs quittent le ministère en masse, du moins pour l’instant.

Dans une étude remarquablement approfondie des données disponibles sur les démissions de personnes engagées dans les Églises, Allison K. Hamm et David E. Eagle, de l’université de Duke, ont conclu l’année dernière que « les meilleures estimations suggèrent que les taux de départs annuels dans les dénominations protestantes aux États-Unis sont généralement de l’ordre de 1 à 2 %, avec des anomalies occasionnelles liées au contexte ».

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Ce chiffre est conforme à une étude de Lifeway Research de 2015 qui faisait état d’un taux de départs annuel de 1,3 % parmi les pasteurs principaux évangéliques et noirs protestants. Si l’on cherche à détecter un pic dans les départs au sein du clergé, un taux annuel de 1 ou 2 % est donc un point de départ raisonnable.

« Un jour, je me dirigeais vers l’Église et j’ai senti quelque chose se briser en moi, comme si un élastique avait été trop étiré ». Jonathan Dodson

Pour savoir comment les deux dernières années ont affecté l’emploi des pasteurs, il faut considérer les données du BLS sur le clergé. Pour la première fois depuis 2011, son estimation de l’emploi national du clergé a chuté en 2020, passant de 53 180 en 2019 à 52 260. Elle a de nouveau baissé en 2021 pour atteindre 50 790. Nous devrions cependant considérer ces chiffres avec précaution. La Convention baptiste du Sud comptait à elle seule 47 592 églises en 2020. Le BLS ne mesure donc qu’une fraction de l’ensemble du clergé américain.

Dans une synthèse nationale des projections en matière d’emploi pour la prochaine décennie, le BLS utilise un chiffre plus réaliste pour le nombre total d’emplois dans le clergé en 2020 : 260 600, contre 243 900 l’année précédente. Ils prévoient un taux de croissance de 3 %, plus lent que la moyenne, entre 2020 et 2030, mais on est loin d’une pénurie.

On trouve une mesure plus fiable dans une étude de Lifeway Research de 2021 qui reflète celle de 2015. Elle révèle qu’au cours de la dernière décennie, seulement 1,5 % des pasteurs principaux évangéliques et noirs protestants ont quitté le ministère chaque année — une augmentation statistiquement insignifiante par rapport à l’étude de 2015 et bien en deçà des taux de réduction attendus.

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« Généralement, lorsque [les pasteurs] s’éloignent d’une Église — si la situation y est vraiment mauvaise — ils s’engagent dans une autre fonction pastorale », déclare Scott McConnell, directeur exécutif de Lifeway Research. « Et c’est encore ce que nous voyons aujourd’hui ».

Une enquête menée par Scott Thumma et le Hartford Institute for Religion Research au cours de l’été 2021 a révélé que, si 37 % des pasteurs ont sérieusement envisagé de quitter leur ministère au cours de l’année écoulée (ce qui est similaire aux conclusions de Barna), la plupart d’entre eux ne l’ont fait qu’une ou deux fois, dans de courts moments de très fort découragement. Scott Thumma conclut : « Dans l’ensemble, nos données ne fournissent pas beaucoup de preuves d’un exode imminent des membres du clergé. »

En réalité, il y a des raisons de croire que les pasteurs principaux sont plus réticents que d’habitude à quitter leur Église. Sarah Robins, ancienne vice-présidente des relations avec la clientèle de la société de recherche de pasteurs Vanderbloemen, rapporte que la société a eu du mal, ces deux dernières années, à trouver des candidats pasteurs principaux prêts à envisager d’autres fonctions dans le ministère. « L’idée de quitter leur Église au milieu de ce que nous traversons est trop difficile pour eux ».

Angie Ward, directrice adjointe du programme doctoral pour le ministère (DMin) au Denver Seminary, constate également une hésitation à faire des transitions chez ses étudiants, dont beaucoup sont des pasteurs principaux ou solos. « Les gens ne font pas de grandes transitions, qu’il s’agisse de commencer des études ou de déménager dans une autre Église. Ils n’ont pas l’impression d’être dans un environnement suffisamment stable pour partir ». « Parmi mes étudiants, plus nombreux sont ceux qui disent ne pas pouvoir faire de doctorat pour le moment parce qu’ils doivent se consacrer à leur communauté. »

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Lorsqu’il s’agit de l’emploi global dans le ministère, la diminution des entrées peut expliquer la baisse des chiffres tout autant que l’augmentation des sorties. Parmi les séminaires protestants et non confessionnels américains qui font partie de l’Association of Theological Schools (ATS), les inscriptions aux programmes de master (MDiv) ont légèrement diminué au cours de l’année scolaire 2020-2021. Mais ce n’est pas nouveau — les inscriptions ont eu tendance à baisser presque chaque année depuis 2013.

Un glissement plus net apparaît dans le nombre d’étudiants qui obtiennent un diplôme. Le nombre de MDiv et le nombre total de diplômes obtenus dans les écoles de l’ATS aux États-Unis ont tous deux baissé en 2020-2021, seuls les diplômes de théologie générale ayant connu une légère augmentation. Il est possible que certains étudiants aient attendu de voir comment la pandémie allait évoluer avant de terminer leur programme.

Même si nous n’avons pas assisté à une augmentation spectaculaire du nombre de départs des pasteurs, nombreux sont ceux qui pensent que cela ne saurait tarder. Sean Nemecek est le directeur régional de Pastor-in-Residence Ministries dans l’ouest du Michigan, où il travaille avec des pasteurs qui ont été licenciés de leur Église. Il se prépare à une vague de départs de pasteurs d’ici un an ou deux et a remarqué un changement dans les conversations qu’il a avec les pasteurs qu’il accompagne.

« Dans la culture en général, on constate que les gens sont de plus en plus nombreux à dire qu’ils attendent de leurs employeurs qu’ils les traitent bien. Un salaire équitable et des congés. De la flexibilité et du travail à domicile ». « Un certain nombre de pasteurs me disent le même genre de choses : ils en ont assez d’être lamentablement sous-payés ou de devoir exercer un second emploi pour soutenir leur ministère. »

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Si la bulle éclate dans le courant de l’année ou l’année prochaine, tous les regards se tournent vers trois catégories démographiques : les pasteurs en début de carrière, ceux qui approchent de la retraite et les ministres bivocationnels.

On dit souvent aux jeunes pasteurs débutants que les cinq premières années de ministère permettent de trier ceux qui ne sont pas là pour les bonnes raisons. Certains estiment que le taux de défection à cinq ans peut atteindre 85 %. Mais d’après les études les plus fiables, ce chiffre se situe en réalité entre 1 % et 16 %. (Comparez cela aux 44 % de nouveaux enseignants des écoles publiques et privées qui quittent l’enseignement avant la fin de leur cinquième année.)

Pourtant, les deux dernières années ont davantage affecté les jeunes pasteurs que les pasteurs établis. Barna a découvert que les pasteurs de moins de 45 ans sont plus susceptibles d’envisager de quitter le ministère à plein temps (46 %) que les pasteurs de 45 ans et plus (34 %). Et dans l’enquête de Lifeway Research de 2021, les pasteurs âgés de 18 à 44 ans étaient plus susceptibles que les pasteurs de plus de 65 ans de convenir que « le rôle de pasteur est souvent écrasant », que « je suis souvent irrité par les membres de l’Église » et que leurs congrégations ont connu des conflits liés à la politique.

Dans le cadre de son doctorat, Prince Raney Rivers, pasteur principal dans l’Union Baptist Church, a étudié l’épuisement postpandémique chez les pasteurs baptistes afro-américains de Caroline du Nord.

« J’ai été surpris de constater que les jeunes pasteurs — ceux de moins de 40 ans — ont fait état d’un plus grand degré de cynisme et d’un plus grand sentiment de dépersonnalisation que les pasteurs plus âgés de l’étude ». « Il se produit une certaine usure, donc si vous arrivez à 60 ou 65 ans, vous avez déjà travaillé sur ces questions et vous avez une résilience intégrée. Peut-être que les jeunes membres du clergé sont moins patients avec le temps qu’il faut pour apporter des changements dans une congrégation. Si vous pensez que vous allez sauver le monde en deux ans et que tout le monde met sept ans juste pour comprendre ce qui doit être sauvé, cela va être un vrai défi. »

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Il poursuit : « Je vois que les jeunes membres du clergé, qui ont une mentalité plus militante, ont pu se sentir poussés à s’engager dans un certain activisme, mais leurs communautés n’étaient peut-être pas prêtes à cela à ce moment-là. Cela a fait dire à certains d’entre eux : “Vous savez quoi, je pense qu’il sera plus vivifiant d’exercer mes dons, mes talents et ma vocation en dehors de l’Église, étant donné la pression que je subis en son sein pour ne pas faire certaines choses”. »

Mais les jeunes pasteurs ne sont pas les seuls que Prince Raney Rivers considère comme étant à la limite de l’épuisement et de la démission.

« J’ai plusieurs amis qui m’ont dit récemment qu’ils allaient prendre leur retraite beaucoup plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu ».

À l’heure actuelle, le vieillissement des pasteurs américains est un phénomène bien identifié. Les baby-boomers sont restés dans le ministère plus longtemps que prévu, et nous devrions nous attendre à une augmentation naturelle des départs à la retraite lorsqu’ils quitteront finalement les responsabilités. Mais les pressions des deux dernières années pourraient pousser beaucoup d’entre eux à prendre une retraite anticipée.

Chez Vanderbloemen, Sarah Robins estime avoir eu davantage de conversations avec des pasteurs baby-boomers qui prenaient leur retraite plus tôt que prévu.

Elle se souvient d’un pasteur âgé d’une soixantaine d’années. « Il était tellement usé de diriger cette Église. » « Quelques membres du conseil d’administration estimaient qu’il devait soutenir Trump du haut de la chaire. Il a répondu que ce n’était pas son travail de pasteur. Et ils ont dit, “Eh bien, alors nous quittons votre Église”. Il était entouré d’anciens qui l’aimaient, mais il était juste tellement épuisé. »

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Entre l’enquête de 2015 et celle de 2021 de Lifeway Research, le nombre de pasteurs ayant pris leur retraite au cours de la décennie précédente est passé de 17 % à 20 %. « Cela pourrait relever d’une simple marge d’erreur, mais nous constatons une augmentation progressive », explique Scott McConnell. « Entre 20 et 25 % des pasteurs protestants ont l’âge de la retraite. Si, au cours d’une année donnée, tous ceux qui sont en âge de prendre leur retraite décidaient de le faire, cela créerait un énorme vide qui ne pourrait être comblé. »

Alors que la Grande démission crée des opportunités d’emploi dans tous les secteurs, certains experts pensent que les pasteurs ayant un deuxième emploi, les « faiseurs de tentes », sont également plus susceptibles de quitter le ministère au cours de l’année prochaine, puisqu’ils ont déjà un pied en dehors de la bulle du ministère.

Certains des pasteurs que je coache sont « bivocationnels », rapporte Sean Nemecek, « et l’une des choses que j’entends est : “Peut-être que je devrais m’investir à plein temps dans mon autre emploi et m’éloigner de l’Église pendant un moment”. »

Image: Illustration de Dadu Shin

Les pasteurs bivocationnels courent un risque d’épuisement professionnel plus élevé que la moyenne s’ils jonglent avec de longues heures de travail à plein temps et la conduite d’une assemblée. Curtis Dunlap, pasteur pour la vie familiale à l’Église Epiphany Fellowship de Philadelphie, estime que son poste à temps plein est atypique dans une Église majoritairement noire comme la sienne. « La grande majorité des pasteurs que je connais dans les villes urbaines et qui servent des personnes de couleur sont bivocationnels ».

Il souligne qu’il est plus difficile pour les pasteurs bivocationnels de planifier des vacances ou des congés sabbatiques. « Les pasteurs comme moi qui travaillent à temps plein ont plus de flexibilité pour contrôler leur emploi du temps. » « Parfois, dans la culture de l’Église, si le pasteur principal ne prêche pas, beaucoup de gens ne se présentent pas. C’est beaucoup de pression — surtout dans une petite Église où il faut penser à l’impact que cela aura sur les dons d’une semaine à l’autre, et surtout en été lorsque les dons diminuent déjà. »

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Le burnout, le découragement et l’épuisement émotionnel peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour les pasteurs et les communautés s’ils ne sont pas pris en compte. Même si la plupart des 38 % de pasteurs qui ont envisagé de quitter le ministère à plein temps l’année dernière ne le font jamais, nous devrions quand même nous demander pourquoi ce nombre a augmenté si rapidement en 2021. Avant de nous préoccuper du risque que les chaires se vident, nous devrions peut-être nous préoccuper des pasteurs vidés qui les occupent.

Jonathan Dodson n’a qu’un mot pour décrire son expérience du ministère au cours des deux dernières années : « atroce ».

« J’ai pensé à démissionner à de multiples reprises », a-t-il dit. « Je suis dans ces 38 %. »

Dieu a conquis son cœur à l’âge de sept ans. Il lisait des biographies de missionnaires et essayait de rencontrer des missionnaires lorsqu’ils venaient en ville. « Le Seigneur avait souverainement implanté dans mon cœur ce genre d’esprit missionnaire ». Devenu adulte, il a implanté l’Église City Life Church au cœur d’Austin, au Texas.

Mais dans les années qui ont précédé la pandémie, l’enthousiasme de Jonathan Dodson pour son ministère a été ébranlé par une série d’événements éprouvants, à commencer par une rencontre particulièrement pénible. Avant que des termes comme « distanciation sociale » ou « coronavirus » n’entrent dans le vocabulaire, il s’est retrouvé avec un couple d’une cinquantaine d’années, des mentors pour l’Église, qui l’avaient contacté pour lui dire qu’ils ne croyaient plus à la Trinité.

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Lors de cette rencontre, les personnes chaleureuses et aimant la Bible que Jonathan Dodson connaissait depuis des années étaient devenues glaciales. « Quand j’ai proposé de prier, il m’a plaqué au mur avec des yeux remplis d’éclairs ». Le couple avait découvert sur internet un rabbin dont le but était de « déconvertir » les chrétiens. « Ils ont tout avalé : hameçon, ligne et plomb ».

C’était la première d’une série de conversations avec des fidèles quittant la foi. « C’est l’une des pires choses pour les pasteurs : voir des gens qu’ils aiment abandonner le Messie. » « C’est tout simplement déchirant. »

Puis sont venues les mesures sanitaires face au COVID-19, qui ont encore plus ébranlé son moral. « Dimanche après dimanche, vous prêchez devant une caméra froide et sombre au lieu de prêcher devant des cœurs vivants et palpitants. »

Après l’élection présidentielle de 2020, le pasteur a constaté une augmentation des critiques de la part de fidèles politiquement orientés à gauche. « Nous sommes une Église centrée sur l’Évangile. Nous nous préoccupons de la justice, de la justice raciale. Nous avons progressé dans l’expression de ces valeurs, c’est certain, mais ce groupe est devenu très critique. Il y a eu beaucoup de critiques. Des courriels de trois pages. De la colère. “Pourquoi ne faites-vous pas ceci ?” “Pourquoi ne faites-vous pas cela ?” Et puis les gens ont commencé à quitter l’Église. »

Une lueur d’espoir est apparue lorsque la pandémie a semblé se calmer et que la City Life Church a recommencé à se réunir en personne. Puis est arrivé le variant delta. Cette fois, les critiques venaient de la droite, avec les masques pour cible.

« Nous louons un local dans le centre-ville. Nous y sommes depuis 10 ans, et nous devons nous conformer à leurs politiques. » « Nous avons reçu des e-mails bizarres de personnes que nous connaissons depuis 10 ans. J’ai fait la présentation de leurs enfants à l’Église. J’ai été leur mentor, j’ai cheminé avec eux pendant des saisons difficiles, et pouf : “Si nous devons porter des masques, alors nous partons d’ici”. »

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« La fréquence de ce genre d’événements au cours des deux dernières années a été tellement éprouvante et épuisante. » « L’une des choses vraiment difficiles pour les pasteurs à travers le pays est que notre fonction fait que nous avons tendance à être considérés comme jetables. Nous apprécions les pasteurs lorsqu’ils nous donnent ce dont nous avons besoin ou ce que nous voulons, mais lorsque nous pensons avoir besoin d’autre chose, ils n’ont plus rien d’humain à nos yeux. Ils ne sont qu’un service religieux dont nous nous désabonnons. »

Pour couronner le tout, l’Église a finalement été mise dehors des locaux qu’elle louait.

« Un jour, je me dirigeais vers l’Église », raconte Jonathan Dodson, « et j’ai senti quelque chose se briser en moi, comme si un élastique avait été trop étiré. Je me suis découplé émotionnellement de l’Église. C’était comme si les réserves avaient disparu. L’idée d’entrer dans une pièce remplie de chrétiens dont j’étais responsable était angoissante. Je n’avais jamais fait ce genre d’expérience. »

Le découragement et les envies de quitter le ministère ne sont pas rares dans la vie d’un pasteur. Charles Spurgeon les décrit comme « les évanouissements du serviteur ». Il écrit : « Au vu des citations tirées de biographies d’éminents serviteurs, il n’est nul besoin de prouver que des saisons de terrible abattement ont été le lot de la plupart d’entre eux, sinon de tous. »

Eugene Peterson, méditant sur son pastorat à l’Église presbytérienne Christ Our King, déclare : « Depuis que je suis ici, je me souviens de trois fois où j’étais prêt à partir ». Au cours d’un de ces épisodes, alors qu’il allait réconforter la famille d’une femme tuée dans un accident de voiture, c’est cette pensée qui l’habitait : « Seigneur, je ne peux pas faire ça. Je ne veux plus être pasteur. Je ne peux tout simplement pas entrer dans cette profonde douleur à nouveau. Ou si je le peux, je ne le veux pas. Je ne veux tout simplement plus le faire ».

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Ce qui est inhabituel dans notre situation actuelle, cependant, c’est le nombre considérable de pasteurs qui pensent à quitter le ministère simultanément dans tous les États-Unis, dans toutes les catégories démographiques et dans toutes les traditions.

Cependant, savoir si tous ces pasteurs vont effectivement quitter le navire est, dans un sens, moins important que de comprendre les raisons pour lesquelles ils sont si tentés de partir. Lorsque tant de pasteurs sont découragés ou épuisés, il serait ironiquement peu pastoral de se limiter à la question de savoir si une pénurie de main-d’œuvre dans le ministère se prépare.

Nous devrions plutôt nous demander : « Qu’arrive-t-il à nos pasteurs ? » Cette question, nous devrions la poser parce que nous nous soucions d’eux, assurément. Mais les enjeux vont bien au-delà des seuls responsables.

Il est bien établi qu’un leadership déficient conduit souvent à un fonctionnement déficient de l’ensemble de l’organisation. Prince Raney Rivers, le pasteur de Caroline du Nord, le décrit ainsi : « Si le pasteur est moins disponible, s’il se met en retrait, cela va se propager et se traduire par moins d’enthousiasme pour la mission de l’Église, la vision de l’Église. Cela provoquera probablement des conflits plus importants et des façons moins saines de gérer les conflits. »

Mais il y a un risque plus funeste qui accompagne le burnout : « L’épuisement professionnel rend un pasteur plus vulnérable à toutes sortes de manquements éthiques et moraux », dit-il. « Plus vous êtes épuisé émotionnellement, plus vous devenez enclin à faire des choix que vous ne feriez pas à des moments plus sains et dans un état d’esprit plus sain. »

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Sean Nemecek a constaté à peu près la même chose chez les pasteurs qu’il a coachés.

« Une grande partie des faillites morales et des abus spirituels auxquels nous assistons dans l’Église en ce moment ont un certain fondement dans la culture au sein de laquelle les pasteurs travaillent. » « En parlant avec des pasteurs qui ont connu des déviances morales, je me suis rendu compte qu’ils n’étaient pas dès le départ des prédateurs spirituels. Ils se sont retrouvés dans une situation où ils cherchaient une forme de revalorisation et se sont retrouvés pris dans des tentations sexuelles ou d’autres types de dérapages moraux à cause de cela. »

Les responsables pris en flagrant délit d’infidélité invoquent souvent l’excuse du bonheur qu’ils avaient le sentiment de mériter après leur travail acharné et non reconnu pour l’Église. S’il n’était certes pas pasteur, Ravi Zacharias aurait utilisé cette logique pour justifier ses abus sexuels. Selon l’enquête de CT, il aurait dit à une femme que « le Seigneur comprenait ce qu’il avait sacrifié et laissait entendre que leurs rapports sexuels étaient la façon dont Dieu le récompensait ».

Sarah Robins affirme que chez Vanderbloemen, « presque chaque fois que nous sommes intervenus dans une Église pour l’aider à remplacer un pasteur après un problème moral, il y avait une corrélation avec l’épuisement extrême du pasteur principal. Cela n’excuse pas le mauvais comportement, mais il y a une corrélation. Même au niveau financier : “Je suis épuisé. Je mérite de dépenser cet argent pour ce genre de choses en raison de tout ce que je fais pour cette Église” ».

Il serait imprudent d’attribuer tous les abus spirituels et les faillites morales dans le ministère à l’épuisement émotionnel, mais si nous examinons comment le burnout peut faire des ravages dans les Églises, ces éléments devraient figurer en tête de notre liste.

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Image: Illustration de Dadu Shin

Le burnout est comme une cocotte-minute. La tension monte lentement et, sans soupape, la température du découragement devient insupportable. Dans son article paru dans The Atlantic, Derek Thompson écrit : « Paradoxalement, l’augmentation du nombre de cas d’épuisement professionnel signalés par les intéressés se produit dans des secteurs où les travailleurs sont moins susceptibles de démissionner. » Et le ministère pastoral n’est pas une vocation que l’on abandonne facilement.

Les raisons de ce phénomène sont nombreuses et complexes. « Peu d’engagements sont aussi profondément vocationnels que le ministère pastoral », explique Angie Ward, du Denver Seminary. « Il y a ce sentiment profond d’être appelé par Dieu et par le peuple de Dieu. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut simplement laisser tomber pour se lancer dans les assurances. »

De nombreuses raisons expliquent que certains pasteurs restent trop longtemps : un sentiment d’obligation, une possessivité malsaine, ou un devoir mal compris envers Dieu. Les difficultés financières peuvent également bloquer la sortie lorsque les pasteurs approchent de la retraite.

Dans un rapport de 2017 sur les défis économiques auxquels sont confrontés les responsables pastoraux, C. Kirk Hadaway et Penny Long Marler écrivent : « Dans la plupart des enquêtes menées par les projets de l’Initiative économique nationale, l’épargne-retraite est la préoccupation financière la plus sérieuse exprimée par le clergé. » À travers les États-Unis, les salaires des pasteurs sont relativement bas, et les prestations de retraite sont souvent inexistantes.

Lorsque Sean Nemecek a connu sa propre saison d’épuisement professionnel et s’est retiré du ministère dans l’Église, il a découvert une autre raison pour laquelle de nombreux pasteurs trouvent difficile de partir, même pour une période limitée.

« Il y a beaucoup de stigmatisation. » « Les gens supposent que lorsqu’un pasteur dit qu’il se retire du ministère, il doit avoir un péché secret, ne pas être à la hauteur ou n’avoir jamais été vraiment appelé. Mais quand on s’assied et qu’on leur demande ce qui se passe, on s’aperçoit souvent qu’ils font en réalité des progrès très importants dans leur foi en Christ. »

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Jonathan Dodson le présente ainsi : « Ce n’est pas parce que vous avez perdu les forces nécessaires au ministère que vous êtes dans le péché. Il se pourrait aussi que l’on ait péché contre vous ».

Des forces à la fois internes et externes pèsent sur les pasteurs — et elles ne sont pas nouvelles dans l’Église. En 1589, le réformateur genevois Théodore de Bèze, âgé de 70 ans, fut confronté à plusieurs des plus grands défis de son long ministère.

Sa santé déclinait, mais ses tâches semblaient plus lourdes que jamais. Il devait accompagner pastoralement des situations aussi terribles que celle d’un cordonnier demandant le divorce de sa femme qui avait été violée par des soldats et était peut-être tombée enceinte. Et l’on attendait toujours de lui qu’il prêche plusieurs fois par semaine et qu’il donne des cours de théologie à l’Académie de Genève.

« N’oubliez pas de prier toujours plus pour votre ami de Bèze alors qu’il aborde la dernière ligne droite de son parcours », écrit-il à un ami. « Bien que je sois épuisé, le Seigneur ne m’a jamais donné de charge plus lourde à porter. »

Image: Illustration de Dadu Shin

L’année suivante, il demande au conseil des pasteurs genevois s’il peut se retirer de ses obligations pastorales. Scott M. Manetsch écrit : « Le clergé genevois accepta de le décharger de ses responsabilités de prédicateur en semaine, mais insista pour qu’il continue ses conférences à l’Académie et ses sermons du dimanche. Genève comptait trop peu de pasteurs et de professeurs pour accorder un répit au vieux réformateur. »

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Même en tenant compte de l’histoire, quelque chose de différent se passe aujourd’hui. Les pressions subies par les pasteurs sont plus fortes qu’elles ne l’ont été depuis des générations. L’enquête de Scott Thumma a révélé que deux tiers des pasteurs pouvaient qualifier 2020 d’« année la plus difficile de leur expérience dans le ministère ».

Le COVID-19 paraît un coupable évident. Mais aucun des pasteurs interrogés dans le cadre de cet article n’a identifié la pandémie comme la cause première de son épuisement. Elle a épuisé leurs réserves spirituelles et émotionnelles, mais elle n’a pas donné le coup de grâce. Le coup de grâce est venu d’autres bouleversements culturels — certains récents, d’autres vieux de plusieurs décennies — qui ont perturbé leurs relations avec les fidèles. Lorsque ces choses se sont manifestées avec laideur et brutalité, de nombreux pasteurs n’avaient plus la force de résister.

La mesure de l’épuisement professionnel la plus largement utilisée est le Maslach Burnout Inventory, développé par Christina Maslach et Susan E. Jackson. Il mesure trois facteurs : l’épuisement émotionnel, le cynisme ou la dépersonnalisation, et la perception de sa propre efficacité professionnelle.

La plupart des gens associent le burnout uniquement à l’épuisement, mais selon Prince Raney Rivers, « les individus sont différents. Certaines personnes peuvent avoir un degré élevé d’épuisement émotionnel et une très forte satisfaction dans le ministère. Elles sont fatiguées, mais pas épuisées ». Le burnout menace donc davantage des pasteurs fatigués qui expérimentent également un degré de cynisme accru et une faible perception de leur efficacité professionnelle.

Quelles sont les choses susceptibles de conduire les pasteurs à une baisse de leur satisfaction professionnelle et au cynisme ? Barna a identifié le « manque d’engagement des fidèles » comme la frustration que la plupart des pasteurs considèrent comme la pire (35 %). « L’apathie et le manque d’engagement des gens » sont également arrivés en tête de liste dans une étude de Lifeway Research demandant aux pasteurs quels sont les plus grands défis auxquels ils sont confrontés.

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Le passage des cérémonies religieuses au numérique, accéléré par la pandémie, n’a fait qu’empirer les choses. Depuis que Paul Rader a prêché pour la première fois le message de l’Évangile depuis une station de radio improvisée sur le toit de l’hôtel de ville de Chicago en 1922, les pasteurs implantés localement voient d’un mauvais œil la préférence des gens pour les sermons désincarnés.

Mais depuis la pandémie, le débat entre prédication en personne et prédication à distance s’est considérablement compliqué. Pour la première fois, avec la récente prolifération des cultes diffusés en direct ou enregistrés, chaque pasteur peut être mis en concurrence avec toutes sortes d’autres prédicateurs plus ou moins obscurs à travers le pays.

Glenn Packiam, pasteur senior associé de la New Life Church de Colorado Springs et auteur de The Resilient Pastor (« Le pasteur résilient ») évoque un fidèle qui l’a pris à parti au sujet de son masque facial.

« Il m’a parlé d’un autre pasteur au Texas dont il venait d’écouter le sermon sur la façon dont tout cela est une tentative du gouvernement de créer une fausse crise afin de renforcer son pouvoir. » « Il écoute un pasteur qui ne connaît pas son nom et n’a pas baptisé ses enfants, et il utilise ce sermon sur YouTube pour me réprimander, moi, pasteur de sa propre Église ».

Même si le port du masque est devenu moins présent aux États-Unis, les pasteurs se souviendront longtemps du chaos qu’il a semé. Certains plaisantaient en disant que la question des masques dans les Églises avait remplacé les débats sur la couleur des moquettes.

Mais Glenn Packiam pense que les divisions qu’ils ont causées sont peut-être plus profondes. « Le port du masque est le dernier sujet à la mode de notre culture pseudoreligieuse. » « Il y a cent ans, le clivage se faisait entre le courant traditionnel et les évangéliques, et il y avait toute la question de l’Évangile social. Si vous étiez en faveur de l’évangélisation, alors vous étiez une Église conservatrice, et si vous vouliez nourrir les affamés, alors vous deviez être libéral. La dernière manifestation de cet état d’esprit est : “Si vous êtes pro-masque, alors vous devez aussi être libéral dans votre politique et probablement dans votre théologie ; et si vous êtes anti-masque, alors vous êtes clairement conservateur dans votre politique et votre théologie”. »

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Le problème sous-jacent qui cause tant de soucis aux pasteurs à l’heure actuelle n’est pas la mise en place d’une nouvelle technologie de streaming ou d’une politique particulière en matière de port du masque. C’est le manque de confiance de la communauté. « La réalité est telle que nous ne vivons plus à l’époque où les gens disaient : “Mon pasteur a dit que nous devions porter un masque pour protéger les personnes vulnérables, alors nous allons le faire”. Les choses ne fonctionnent plus ainsi aujourd’hui. »

La récente prolifération de scandales retentissants dans les ministères chrétiens n’a pas arrangé les choses, mais la confiance des Américains dans le clergé est en baisse depuis un certain temps. Gallup sonde chaque année les niveaux de confiance envers diverses professions. En 2012, plus de la moitié des répondants attribuaient une note « élevée » ou « très élevée » au clergé en matière d’honnêteté et d’éthique. En 2018, ce nombre avait chuté à un peu plus d’un tiers.

Plus inquiétant encore en 2018, même parmi les chrétiens américains — ceux-là mêmes qui paient les salaires des pasteurs — seuls 42 % avaient un haut niveau de confiance dans le clergé.

Les gens font-ils confiance à leur pasteur local pour rechercher ce qu’il y a de mieux pour eux, pour assumer ses responsabilités théologiques et bibliques et pour bien les guider, même s’ils ne sont pas d’accord avec lui sur l’une ou l’autre question sociale ?

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La réponse, de plus en plus, est non.

Et tandis que la confiance dans les pasteurs diminue, Sean Nemecek voit augmenter la quantité de critiques qu’ils reçoivent des fidèles. « Lorsque j’ai commencé à exercer mon ministère au début des années 2000, il pouvait se passer deux ou trois jours après un sermon avant que quelqu’un vienne vous voir [avec des critiques] — peut-être même deux semaines. Maintenant, c’est en quelques secondes. Vous pouvez recevoir un message le jour même, ou même pendant que vous prêchez. »

Image: Illustration de Dadu Shin

En matière de santé des pasteurs, Glenn Packiam craint que l’arbre ne cache la forêt.

« Le besoin le plus important n’est pas de nous dépêcher de recruter de nouveaux pasteurs pour combler tous ces vides qui se créent. Il nous faut soutenir les pasteurs et les aider à développer leur résilience. » Que peuvent faire les Églises pour aider les pasteurs à se fortifier spirituellement et pour les soutenir en temps de crise ?

On pourrait penser que ceux qui cherchent à soutenir les pasteurs devraient simplement leur offrir plus d’encouragements pour compenser les conversations difficiles. Et ce serait assurément une bonne chose. Mais 90 % des pasteurs déclarent déjà que leur famille reçoit régulièrement de véritables encouragements de l’Église, selon Lifeway Research. Cependant, les soutiens parlent moins fort que les critiques.

« “Soyons des étoiles persistantes ; restons dans le ciel un peu plus longtemps”. » Glen Packiam

C’est un peu ce qu’observe Sean Nemecek : « Un pasteur avec qui je discutais il y a plusieurs mois était vraiment découragé par ce qui se passait et pensait à démissionner. Je lui ai demandé : “Quelles sont les bonnes choses qui se sont produites récemment ?” Il a réfléchi une seconde et m’a répondu : “Oh, j’ai baptisé 30 personnes la semaine dernière”. C’est énorme ! Il avait eu une semaine si dure et si intense en critiques que cela avait éclipsé les choses positives qui s’étaient produites auparavant. »

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Une tape dans le dos ou un « Merci pour la prédication ! » ne suffiront pas pour faire face à la crise que traversent de nombreux pasteurs.

Lorsque Jonathan Dodson a fait l’expérience d’un burnout soudain dans son ministère, il est allé directement voir les anciens et leur a expliqué la situation.

« Ils ont répondu, “Asseyons-nous dans la poussière ensemble. Prenons le deuil. Nous savons que ces deux années ont été terribles”. »

Jonathan Dodson a été aussi surpris que la plupart des pasteurs pourraient l’être par une telle réponse. Le plus souvent, ils craignent le genre de situation dont il a eu l’écho peu de temps après. « Je rencontrais un groupe de pasteurs avec qui je déjeune toutes les six semaines, et je leur ai raconté l’histoire de cette rencontre assis dans la poussière. Et le pasteur le plus sage et le plus âgé de la salle a dit : “J’ai de la peine à croire qu’ils aient réagi comme ça. Mes anciens auraient simplement essayé de me réparer au plus vite”. »

Notre premier réflexe, lorsque nous voyons un responsable d’Église en proie au tourment, est peut-être de voler à son secours avec des suggestions de livre à lire ou des conseils de gestion du temps. Mais les pasteurs en difficulté ont besoin de quelque chose de plus profond.

« Nous sommes dans une culture du dépannage », dit Jonathan Dodson. « S’il y a quelque chose de cassé, nous réfléchissons simplement à la manière de le remettre en état, de le remettre sur les rails. La catégorie de la lamentation est considérée comme inefficace. Elle est improductive. »

L’équipe de Jonathan Dodson savait que le plus grand besoin du moment n’était pas de le faire revenir à la prédication dès que possible. Ses blessures étaient profondes, et il avait besoin de temps pour guérir. Ils lui ont donc accordé un congé sabbatique immédiat. Pas de programme. Pas de conditions. Juste la promesse d’un peu de temps pour digérer les deux années précédentes sans que le poids de la direction de la communauté ne pèse sur ses épaules.

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« Les premières semaines ont été des semaines de lamentation, de pleurs spontanés, à devoir se garer parce que les larmes arrivaient trop vite et trop fort. Je n’étais pas capable d’entrer dans l’Église. Je me sentais paralysé et je devais m’asseoir sur le parking pendant 30 minutes, avant de me faufiler à l’arrière. »

« Puis je suis entré dans une deuxième phase. Je suis parti dans les Rocheuses du Colorado. La beauté naturelle est bienfaisante et réparatrice pour moi. J’ai eu quelques jours de silence et de solitude, et c’était tout simplement merveilleux. »

Il a trouvé du répit dans Ésaïe 53 et Lamentations. « Dans Lamentations 3, il y a un long passage qui parle principalement de l’absinthe et de l’amertume des souffrances [de Jérémie]. La partie que nous connaissons bien, celle qui dit que les compassions de Dieu se renouvellent chaque matin, n’apparaît qu’après [plus de] dix versets de souffrance. Mais après cela, le prophète dit : “C’est bon”. Le Seigneur fait du bien à ceux qui l’attendent ; le Seigneur est bon pour ceux qui s’asseyent tranquillement et attendent. »

Ce message et ce temps avec le Seigneur étaient exactement ce dont Jonathan Dodson avait besoin. « C’est dans ce calme et cette attente que la restauration a commencé à se produire, lorsque je n’étais pas responsable des gens, et que le chagrin a commencé à s’éloigner. »

S’il y a une lueur d’espoir dans tout cela, c’est que ces dernières années ont mis l’accent sur la nécessité pour les pasteurs de privilégier la durabilité à l’acharnement.

« Lorsque j’ai commencé à exercer mon ministère », raconte Sean Nemecek, « certains des pasteurs plus âgés qui m’ont servi de mentor avaient appris des choses comme l’idée que s’ils prenaient soin de l’Église, Dieu prendrait soin de leur famille. Ma génération a vu cela se disloquer et ces pasteurs ont fait face à des familles brisées et diverses difficultés à cause de ce manque d’attention à soi-même. »

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Glenn Packiam partage une histoire similaire. « Plusieurs pasteurs à la retraite de mon assemblée m’ont dit : “De mon temps, il valait mieux prêcher 50 ou 52 dimanches par an, et si vous ne le faisiez pas, les gens se demandaient ce qui se passait ; où étiez-vous ?” J’ai grandi avec les histoires de missionnaires radicaux qui partaient à l’étranger, quittaient leur famille et devenaient des étoiles filantes — ils s’épuisaient rapidement. Nous avons abandonné ce paradigme pour dire : “Soyons des étoiles persistantes ; restons dans le ciel un peu plus longtemps”. »

Cette tendance à la durabilité apparaît dans les données. Dans un article considérant les données de l’étude de Lifeway Research de 2021, Scott McConnell écrit : « Moins de pasteurs considèrent devoir être “de garde” 24 heures sur 24, passant de 84 % à 71 %. Peut-être encore plus révélateur, la majorité des pasteurs (51 %) étaient tout à fait d’accord avec cette attente en 2015, alors que seul un tiers (34 %) ressent fortement cette obligation aujourd’hui. »

Les pasteurs ne disposent pas d’un réservoir spécial de force spirituelle dans lequel puiser, ni d’outils secrets pour améliorer leur force spirituelle au-delà de ce que chacun d’entre nous possède. Il est facile d’oublier que les sous-bergers du Christ sont toujours des brebis dans son troupeau. Si nous traitons les pasteurs comme des superhéros spirituels, nous leur rendons un mauvais service. Superman n’a peut-être pas besoin de faire des pompes, mais les pasteurs ont toujours besoin de liberté et de marge pour faire leurs exercices spirituels : du temps seul avec Dieu, du temps de prière, du temps dans les Écritures au-delà de la préparation du sermon, du temps avec des directeurs spirituels, des conseillers et d’autres pasteurs qui comprennent ce qu’ils traversent.

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Les pasteurs se joindront-ils à la Grande démission ? La réponse dépend peut-être de nous. Angie Ward pense que la pandémie « a révélé un fossé entre le clergé et les laïcs quant à savoir qui porte la charge en matière de soins pastoraux et de leadership, et pas seulement en matière de programmes de direction. »

Elle rêve de ne plus voir les pasteurs porter seuls tout le poids de l’Église. Après tout, une Église dans laquelle se trouvent des laïcs équipés et engagés a de meilleures chances non seulement de conserver son pasteur, mais aussi de poursuivre ses activités en cas de départ du pasteur. « Comment les laïcs peuvent-ils assumer la charge des soins pastoraux et du ministère ? Espérons que nous verrons un développement du ministère de chaque membre. »

En guise de conclusion, Jonathan Dodson ajoute une autre chose dont les pasteurs pourraient avoir besoin en ce moment de la part des membres de leur Église : « des invitations à des repas non menaçants ».

Il témoigne de la période qui a précédé son expérience de burnout. « J’étais en état de choc. Quand je recevais des invitations à déjeuner, je commençais à me demander immédiatement : “Est-ce qu’il y a un problème ? Est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir ?” Je ne pense pas que les gens se rendent compte du nombre de rencontres difficiles que doit affronter leur pasteur. Si vous êtes un membre d’Église attentionné, invitez votre pasteur pour un repas ou un café en annonçant clairement que votre objectif est simplement de l’encourager et d’exprimer votre gratitude envers lui. Cela représenterait beaucoup pour les pasteurs. »

Kyle Rohane est responsable des acquisitions pour Zondervan Reflective à Grand Rapids, Michigan. Avant cela, il était éditeur pour CT Pastors avec Christianity Today.

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