Je rafraîchis mes e-mails de manière compulsive, volant quelques instants entre les collations des enfants et les applications de crème solaire, ouvrant un soda pendant que je fais défiler ma boîte de réception. Quand le nom de mon agent immobilier apparaît, mon cœur fait un bond. Chaque courriel de sa part, ou plutôt de la part de la recherche automatique d’annonces de maisons qu’elle a mise en place pour nous sous son nom, suscite un florilège d’interrogations : est-ce de la brique ? De la pierre ? Y aura-t-il une buanderie, ou un vestiaire pour ranger les bottes, les manteaux, les laisses des chiens et les sacs à dos de la famille ?

Plus le temps passe, semble-t-il, et plus ma future « maison pour toujours » imaginaire est élaborée. Un grand arbre pour y suspendre un pneu comme balançoire ! Un potager ! Une baignoire !

Mais à chaque fois, la maison qui arrive dans ma boîte de réception me déçoit. Trop chère, laide ou nécessitant plus de réparations qu’il n’est envisageable financièrement — ou le plus souvent, les trois. Lorsque quelque chose correspondant aux limites de notre budget (qui s’élargit à contrecœur) attire enfin notre attention, nous appelons immédiatement notre agent, pour découvrir que la propriété est déjà sous contrat. En toute discrétion. Tout en liquide.

Le monde de l’immobilier appelle cela un marché favorable aux vendeurs. J’appelle ça la mort lente de mes rêves d’une « maison pour toujours ».

Nous avons vendu notre première maison, nichée dans un quartier pittoresque et agréable juste à l’extérieur de Washington, DC, à l’été 2020. L’offre que nous avons acceptée pour le petit pavillon où étaient nés nos deux bébés était bien supérieure au prix demandé (toutes conditions levées). Nous touchions les nuages.

Armés de la confiance que procure un bon investissement et d’un bon paquet de cash pour effectuer notre prochain premier versement, nous avons troqué un café accessible à pied et d’innombrables possibilités de plats à emporter contre une maison de location à la campagne, avec de grands espaces verts et un marché de producteurs au bout de la rue. Nous voulions y rester juste assez longtemps pour trouver une belle parcelle de terrain et construire une petite maison pour notre famille. C’était simple comme bonjour.

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Mais nous n’étions pas les seuls à nous lancer dans l’exode urbain. Les villes américaines perdaient constamment des habitants avant même la pandémie, et, selon les données du service postal, 15,9 millions d’Américains ont déposé une demande de changement d’adresse entre février et juillet 2020. Beaucoup d’entre eux ont été poussés — ou libérés — par les fermetures liées au COVID-19, cherchant à avoir plus d’espace pour respirer alors que les maisons se transformaient en lieux où se mêlaient sous un même toit le travail, l’école, les repas et le repos.

Le logement est un sujet dominant des conversations de table depuis des années. Aux États-Unis, près d’un Américain sur cinq a changé de domicile ou connaît quelqu’un qui l’a fait au cours des premiers mois de la pandémie, selon le Pew Research Center. Sept personnes sur dix ont travaillé à domicile à un moment ou à un autre de la pandémie, ce qui a accru la pression sur un marché du logement qui s’était déjà tendu depuis des années.

Si les prix médians des logements américains ont crû de manière relativement régulière au cours de la dernière décennie, ils sont montés en flèche pendant la pandémie, augmentant de 30 % entre début 2020 et début 2022. Cela rappelle un peu les récits de la crise de la tulipe dans les années 1630, avec des offres et des surenchères folles sur des maisons situées dans des endroits recherchés, ou n’importe quel endroit d’ailleurs, dans une frénésie d’achat immobilier.

Il semble que nous ayons collectivement pris conscience du fait que, oui, nos maisons ont vraiment de l’importance, surtout lorsque nous sommes obligés d’y vivre.

Sauf qu’il est plus difficile que jamais de trouver une maison.

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Internet offre peu de réconfort, avec des formules comme « Le pire moment pour acheter une maison, » « Le pire moment pour contracter un prêt hypothécaire » ou encore « Pourquoi la route devient encore plus cahoteuse pour les primo-accédants à la propriété. »

Oui, la hausse des taux d’intérêt et une petite hausse des disponibilités ont un peu apaisé le marché de l’immobilier au printemps dernier. Mais les prix continuent de grimper et l’acheteur américain moyen est toujours confronté à un scénario cauchemardesque, car les prêts deviennent plus chers et le nombre de logements disponibles reste extrêmement limité.

Comment en est-on arrivé là ?

L’économie du logement est complexe, et nos visions pandémiques de nos espaces de vie n’ont certainement pas été le seul facteur de rupture du marché immobilier américain. Les prix du carburant et les ralentissements dans les scieries, les pénuries de main-d’œuvre dans le secteur de la construction et l’inégalité croissante des revenus ont tous joué un rôle.

Mais il se pourrait qu’un facteur sous-jacent plus important, bien antérieur à la pandémie, contribue à nos difficultés dans le domaine de l’immobilier. Née de décennies d’expansion des banlieues et renforcée aujourd’hui par les émissions de décoration, Pinterest et les publicités pour le mobilier, la problématique est extrêmement difficile à admettre : se pourrait-il que le problème, ce soit en réalité nous ?

Les attentes de beaucoup de gens quant à la nature, à l’apparence et au coût d’une maison sont enracinées dans des décennies de croissance apparemment illimitée de l’appétit de l’acheteur moyen : plus de surface et de pelouse pour les banlieusards, plus d’équipements culturels et de cachet pour les citadins.

La préférence pour des maisons plus belles, plus grandes et mieux situées a alimenté un type particulier de croissance insoutenable sur le marché immobilier américain qui, ironiquement, nous a laissés sur notre faim — ou pire, en rade.

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La crise immobilière actuelle aux États-Unis n’est, en un sens, qu’une preuve supplémentaire du type de surconsommation que les chercheurs John de Graaf, David Wann et Thomas H. Naylor décrivaient il y a 20 ans dans une critique devenue classique : Affluenza: The All-Consuming Epidemic. Cette affluenza, expliquent-ils, est causée par « l’idée que chaque génération sera matériellement plus riche que la précédente et que, d’une manière ou d’une autre, chacun d’entre nous peut poursuivre cette finalité unique sans porter atteinte aux innombrables autres choses qui nous sont chères ».

Mais pour les chrétiens, l’effondrement du marché du logement n’est pas seulement une occasion de pratiquer la vertu du contentement — bien que ce soit certainement le cas. La maison de rêve étant hors de portée de tant de personnes, il est peut-être temps pour nous, disciples de l’homme qui n’avait pas d’endroit où poser sa tête (Mt 8.20) et armés de toutes les promesses de l’éternité, de réimaginer ce à quoi sert vraiment une maison.

Les Américains ont, selon de nombreuses mesures, les plus grandes maisons du monde. Et bien que nous aimions nous en prendre à ces énormes bâtisses que nous avons renommées « McMansions », presque toutes les nouvelles maisons sont plus grandes qu’avant.

Les données du Bureau du recensement montrent qu’entre 1978 et 2018, la taille médiane d’une nouvelle maison aux États-Unis a augmenté de plus de 72 mètres carrés, soit 47 %. Il suffit de traverser presque tous les quartiers construits peu après la Seconde Guerre mondiale, puis de se rendre dans la plupart des banlieues résidentielles construites au 21e siècle, pour se rendre compte de la différence.

Compte tenu des progrès technologiques réalisés dans le domaine des matériaux de construction et de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, on pourrait supposer que les maisons sont moins chères à construire qu’il y a un demi-siècle, et que nous en construisons donc de plus grandes. En réalité, en ajustant en fonction de l’inflation, le prix au mètre carré d’une nouvelle maison unifamiliale aux États-Unis est resté relativement stable entre 1978 et 2020, selon diverses analyses du recensement et d’autres données du gouvernement.

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Oui, il existe des exceptions régionales, des marchés immobiliers surchauffés dans le nord-est ou sur la côte ouest, où les logements sont bel et bien devenus moins abordables. Mais dans l’ensemble, ce n’est pas tant le prix de l’immobilier qui a changé au cours des dernières décennies que ce que nous essayons de nous offrir.

Explorant le « pourquoi » de la taille des foyers américains, Joe Pinsker, journaliste pour The Atlantic en résume les causes : « Au cours du 20e siècle, les politiques gouvernementales, l’invention de matériaux de construction moins chers et produits en série, le marketing des constructeurs de maisons et un changement dans la façon dont les gens considéraient leur maison — non seulement comme un foyer, mais aussi comme un patrimoine financier — ont encouragé des maisons toujours plus grandes. »

Il n’y a rien de mal en soi à posséder une grande maison. Mais les grandes maisons se sont développées au détriment des maisons abordables. Malgré le fait que les salaires n’ont pas suivi les coûts du logement, les constructeurs ont répondu au désir de maisons plus grandes, rendant encore plus difficile l’accès à une première maison plus petite et à prix raisonnable. Cette situation est particulièrement préjudiciable aux personnes à faible revenu et autres groupes marginalisés qui, en plus de lutter contre les pratiques de prêts prédateurs et leur exclusion historique de l’accès aux prêts hypothécaires, doivent maintenant faire face à la hausse des loyers et à un marché peu tolérant à l’égard des petits acomptes ou des historiques de crédit moins que parfaits.

« Ce que [les constructeurs] construisent est une réponse au marché », explique Matt Bowe, propriétaire d’Alair Homes Hunt Country. Alair est une entreprise de conception et construction située dans le comté de Loudoun, dans l’État de Virginie, une banlieue de Washington et l’un des comtés les plus en expansion du pays.

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« S’ils sentaient que, en masse, le marché valorise la qualité et la durabilité plutôt que la taille et le tape-à-l’œil, alors c’est ce qu’ils construiraient. »

Selon Bowe, de nombreux constructeurs privilégient ainsi les installations et les matériaux de construction bon marché qui ne sont pas tant faits pour durer que pour impressionner à un coût minimal. « Culturellement, nous sommes conditionnés à penser que nous méritons plus. »

Bowe ne pourrait pas être plus proche de la vérité.

Clément Bellet, économiste à l’Université Érasme de Rotterdam, aux Pays-Bas, constatait dans une étude de 2019 que la satisfaction des propriétaires de banlieues américaines chutait lorsque ceux-ci comparaient leur maison à des maisons plus grandes et plus récentes situées à proximité. Il écrit : « Les propriétaires exposés à la construction de grandes maisons dans leur banlieue évaluent leur maison à un prix inférieur, sont plus susceptibles de chercher à acquérir une plus grande maison et de s’endetter davantage. »

Mais ce n’est pas seulement un problème de banlieues aisées. Le rêve américain de grandes maisons dans des régions à faible densité est très répandu et profondément ancré. À l’Université de Californie, à Merced, une étude a constaté que, lorsqu’on leur demandait de choisir entre un lotissement de maisons unifamiliales et un lotissement à plus forte densité de population, la plupart des participants préféraient l’option à faible densité, indépendamment de leur origine ethnique, de leur niveau d’éducation ou de leurs opinions politiques.

Cette préférence se manifeste lors des réunions des conseils municipaux dans tout le pays. Même lorsque les villes mettent en place des plans pour le développement de zones à densité légèrement plus élevée, les habitants réagissent souvent et font annuler ces plans (pour diverses raisons, parfois bien intentionnées).

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En somme, à une époque où la pénurie de logements n’est plus seulement le problème des grandes villes, nos aspirations en matière de logement ne sont pas du tout en phase avec les réalités des communautés dans lesquelles nous vivons.

Supposons que nous puissions nous libérer de cette mentalité d’accumulation et nous contenter de moins de mètres carrés. Cela ne résoudrait certainement pas la crise du logement, mais pourrait nous aider à nous épanouir dans les logements dont nous devons nous contenter si nous ne parvenons jamais à acquérir la maison de nos rêves.

Mais les idoles peuvent trouver place dans n’importe quel type de maison. Considérez le boom pandémique qui a remodelé l’industrie américaine de la piscine avec une explosion de la demande. Privés d’un luxe tel que les voyages, nous avons investi nos économies dans des habitations luxueuses ; les marchands de piscines sont encore en train de rattraper les retards sur les commandes des dernières années.

Je me suis souvent demandé (tout en m’arrachant les cheveux en cliquant sur 87 photos d’une maison que je n’arrive pas à croire que j’envisage d’acheter) si, lorsque nous attachons tant d’importance à notre foyer terrestre, nous ne passons pas à côté de l’essentiel.

Carly Thornock est coach de maison dans l’Utah. Elle aide les personnes — principalement les mères — à apprendre à percevoir leur maison de manière à favoriser des relations familiales positives.

Elle a étudié le mariage et la famille à l’Université Brigham Young, et a effectué l’essentiel de ses recherches sur les maisons. Dans une étude de 2019 publiée dans le Journal of Environmental Psychology, Thornock et ses coauteurs explorent la corrélation entre la superficie en mètres carrés et la qualité des interactions entre les membres de la famille — des paramètres comme la gentillesse, la chaleur et la prise de décision efficace.

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« Je [ne croyais pas] que si vous avez une plus grande maison, vous serez une famille plus heureuse », dit-elle. « J’ai vu suffisamment de gens dans le monde entier pour savoir qu’il y a beaucoup de familles très heureuses et fonctionnelles qui logent dans des espaces modestes et limités. Alors [quel était] le critère important ? »

En fin de compte, l’étude a révélé que la taille d’une maison n’était qu’un facteur parmi d’autres du bon fonctionnement d’une famille. Il est tout aussi important de voir ce que les gens pensent ou ressentent à propos de leur logement. Les chose s’expliquaient « entièrement par la façon dont les gens filtrent leur maison à travers leur cerveau et leur expérience émotionnelle », dit Thornock.

Image: Jon Krause

Il y a donc des choses que nous pouvons faire pour changer la perception de notre maison, quelle que soit sa taille. Par exemple, selon Thornock, il est intéressant de considérer les histoires qu’une maison raconte sur les personnes qui y vivent et ce qu’elles sont. Ces histoires peuvent être façonnées par quelque chose d’aussi simple qu’une collection de photographies, sans qu’une piscine ou une superficie supplémentaire soit nécessaire.

« Avec les photos de famille, beaucoup de gens réagissent avec une histoire d’appartenance. “C’est moi. Voici ma mère, mon père et mes frères et sœurs. Et nous faisons partie d’un groupe” ». « Ce que nous introduisons dans notre espace et renforçons dans notre psyché fait partie de ce que nous créons pour nous-mêmes. »

Bien que nous sachions, en tant que chrétiens, que nous ne serons jamais vraiment chez nous ici-bas, le désir de créer un espace durable, beau et propice à la vie dans lequel passer nos journées ne doit en aucun cas être sacrifié sous le couvert d’une piété ascétique. Construire des maisons ici-bas est pieux et bon, une occupation spécifiquement bénie dans le livre de Jérémie lorsque Dieu ordonne à son peuple de « construire des maisons et de s’établir » et de « rechercher la paix et la prospérité de la ville dans laquelle je vous ai transportés » (29.5-7).

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Comme l’argent, les maisons sont moralement neutres en elles-mêmes — c’est ce que nous en faisons qui compte. De nombreux théologiens et penseurs chrétiens ont médité sur cette aspiration inhérente à l’être humain de relier l’éternité au présent par le biais des lieux que nous habitons.

Wendell Berry écrit dans Hannah Coulter : « C’est par l’endroit qui est le nôtre, l’amour que nous lui portons et la façon dont nous le gardons, que ce monde est relié au ciel. » De même, le pasteur presbytérien Charles Henry Parkhurst, de la fin du 19e siècle déclare : « Le foyer interprète le ciel. Le foyer est un paradis pour débutants. »

À cette idée, cependant, C. S. Lewis ajoute un rappel opportun dans Le problème de la souffrance : « Notre Père nous restaure pendant le voyage au moyen de quelques agréables auberges, mais ne nous encourage pas à les confondre avec la maison. »

Alors, comment le croyant est-il appelé à façonner ces « agréables auberges » ? Comment concilier notre désir légitime de rentrer chez nous avec les réalités des difficultés financières, des problèmes immobiliers et des appétits domestiques excessifs que nous connaissons ici-bas ?

Une fois de plus, nous pourrions avoir à nous recentrer sur ce à quoi sert vraiment la maison.

Les meilleures maisons dans lesquelles j’ai mis les pieds — celles qui ressemblent le plus à un foyer — ne sont presque jamais les plus grandes, les plus belles, les plus propres ou les mieux organisées. Ce sont celles qui semblent vous envelopper dès que vous en franchissez le seuil, avec des signes de vie réelle : de la vaisselle dans l’évier et des jouets éparpillés sur le sol, une pile de livres intéressants à lire sur une table d’appoint, des meubles disposés de manière à favoriser la conversation, du thé sur la cuisinière, des tasses avec une histoire, et un genre de « laissez-moi regarder ce que nous avons dans le réfrigérateur » sans chichis ni austérité. Elles sont imprégnées d’un véritable état d’esprit du type de Galates 6.10, faire du bien à tous, et cela se voit.

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« Les maisons sont là pour notre croissance et nos relations », dit Thornock. « Elles contribuent à notre lien avec Dieu, avec nous-mêmes, avec nos conjoints, avec nos amis, et avec notre voisinage et notre famille élargie. »

Ces derniers temps, des évangéliques américains ont mené campagne pour réaffirmer et se réapproprier les valeurs traditionnelles d’hospitalité. De nombreuses publications récentes ont été consacrées à l’utilisation de nos maisons dans le ministère, de The Gospel Comes with a House Key, l’hymne de Rosaria Butterfield à « l’hospitalité radicalement ordinaire », sans napperons crochetés, aux théories de la table turquoise, pour vivre l’hospitalité même sans maison.

Tous s’accordent sur l’importance de pouvoir se sentir à l’aise avec le désordre et d’embrasser le caractère sacré de la vie domestique ordinaire. « L’amour se manifeste dans les repas que nous préparons, les chambres que nous aménageons, les espaces dans lesquels nous vivons, respirons et menons notre existence », écrit Sarah Clarkson dans The Lifegiving Home.

Rien de tout cela ne nécessite des meubles onéreux ou une superficie importante. Une atmosphère d’hospitalité peut être créée n’importe où, d’une humble cuisine malmenée par le désordre des tout-petits à un studio dans une tour urbaine.

L’idée de la maison comme outil de rassemblement a influencé Bowe, le constructeur de Virginie. Son désir de créer un sentiment d’appartenance l’a conduit à collaborer avec Habitat for Humanity ainsi qu’avec Tree of Life, un ministère local qui fournit un logement et d’autres produits de première nécessité aux familles à faible revenu. Fils d’immigrants irlandais qui vivent dans la même petite ville du Cape Cod depuis 60 ans, Bowe explique que son point de vue sur la conception des maisons a été façonné par sa propre éducation.

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« J’aime concevoir des maisons qui encouragent et invitent à l’interaction, à la coopération, à l’entente et aux interactions humaines, par opposition à ces grands espaces qui encouragent les gens à trouver chacun leur propre coin et à faire leurs propres trucs », explique-t-il. « Si je construis une maison personnalisée pour quelqu’un, je le fais bien sûr pour lui, mais je pense aussi à la façon dont cette maison devrait servir les familles [au-delà]. J’ai envie d’espérer que, dans 150 ans, cela vaudra la peine de la restaurer. »

Une bénédiction irlandaise dit : « Que votre maison soit toujours trop petite pour contenir tous vos amis. » Lorsque nos tendances perfectionnistes à la Pinterest se manifestent, nous ferions bien de nous en souvenir.

La plupart des discussions sur l’hospitalité ne tiennent cependant pas compte du fait qu’une maison est plus qu’un simple outil missionnaire. Les foyers chrétiens offrent également une protection à ceux qui y résident — physiquement, émotionnellement et spirituellement.

Cela vaut pour tous les types de plus en plus diversifiés de familles : grands-parents s’occupant de leurs petits-enfants, parents d’accueil ou adoptifs, plusieurs générations vivant sous le même toit, et couples dont le désir d’avoir un enfant n’est pas satisfait.

L’écrivain Andy Crouch estime qu’un foyer n’est pas nécessairement constitué d’une famille, mais peut simplement être une communauté de personnes sans lien de parenté « qui peuvent s’abriter sous un même toit, mais aussi, et plus fondamentalement, trouver un abri dans les soins et la sollicitude réciproques ».

Il est cependant impératif de reconnaître que, pour beaucoup, la maison est tragiquement bien en deçà de cet idéal — un lieu de négligence, d’abus et de solitude. Mais cela peut être reconnu tout en réaffirmant que le foyer, dans sa meilleure forme, est un havre de paix, qui revigore et équipe ses habitants pour qu’ils puissent servir les autres et répondre à leur vocation dans un monde marqué par l’agitation et la détresse.

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Dans ses Lettres et notes de captivité (« Résistance et soumission »), Dietrich Bonhoeffer écrit : « [Un foyer] est un royaume à part entière au milieu du monde, une forteresse au milieu des tempêtes et des tensions de la vie, un refuge, un sanctuaire même ».

Bowe, qui a fait sa raison d’être de la construction de sanctuaires pour d’autres individus et familles, est d’accord. « Je pense toujours à [la maison] comme à ces quatre murs qui peuvent protéger une famille. Si vous considérez le foyer comme le vecteur de toutes les choses qui ont un impact réel — et il peut évidemment s’agir de choses éternelles pour les familles croyantes — c’est un endroit très important. Aussi difficile que puisse être ma journée la plus dure, je sais que lorsque je rentre chez moi, je peux faire abstraction de tout ça. »

Ésaïe 32.18 nous rappelle l’aspiration de Dieu à ce que nous trouvions notre demeure éternelle avec lui : « mon peuple vivra dans des demeures paisibles, dans des maisons sûres, dans des lieux de repos sans trouble ».

L’idéal biblique du foyer en tant que sanctuaire devrait motiver les chrétiens à œuvrer, dans la mesure de leurs possibilités, pour l’accès de chacun à un lieu d’habitation. Cela pourrait prendre la forme de soutien à la construction de maisons pour d’autres ou, comme dans le cas de Bowe, d’un partenariat avec des ministères qui luttent contre l’insécurité du logement. Pour certains, il peut même s’agir de plaider pour des options de logement abordable dans nos villes ou de se porter volontaire pour servir et rechercher des solutions pour la population croissante de sans-abri.

En attendant le ciel, nous devons — bien qu’imparfaitement — façonner nos lieux de vie et nos maisons terrestres pour qu’elles fonctionnent autant que possible comme ce qui nous attend. Dans son livre sur l’éternité, Surpris par l’espérance, N. T. Wright affirme que « les personnes qui croient en la résurrection, en un Dieu qui crée un monde nouveau dans lequel tout sera enfin restauré, sont continuellement motivées pour travailler à ce monde nouveau dans le présent ».

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Pour les disciples du Christ, au cœur de cette nouvelle création se trouve notre propre recréation. Et c’est peut-être là l’utilité primordiale de nos maisons : elles constituent le treillis sur lequel nous grandissons en sainteté, le cadre de notre sanctification. En tant que lieu principal où se déroule la vie d’un croyant, où les liens se créent, où un sentiment d’appartenance et une identité se développent, et où nous pouvons, dans des conditions propices, grandir pour devenir ce que nous avons été créés pour être, nos foyers offrent une occasion idéale d’organiser notre vie quotidienne autour de vérités éternelles.

La maison n’existe pas seulement en vue de quelque chose ; elle existe fondamentalement en vue de Dieu. Par conséquent, la façon dont nous construisons et aménageons notre maison a une grande importance. Une maison bien conçue, qu’elle soit grande ou modeste, est un lieu de culte à part entière.

Dans The Hidden Art of Homemaking, Edith Schaeffer écrit : « Pour le chrétien qui est consciemment en communication avec le Créateur, il est certain que sa maison devrait refléter quelque chose de l’art, de la beauté et de l’ordre de Celui qu’il représente, et à l’image duquel il a été créé ! »

Pourtant, dans mon contexte américain, le foyer typique d’un chrétien ne semble pas très différent de n’importe quel autre foyer. Aucune tendance en matière de construction ou de conception de maison ne semble différencier de manière significative la maison d’un adepte du Christ de la maison voisine dans le quartier, à l’exception peut-être d’un panneau en bois affichant un verset.

Devrait-il y avoir une différence ? Comme le souligne Schaeffer, la matérialité de nos maisons, de nos lieux d’habitation, ne devrait-elle pas offrir un reflet de celui autour duquel elles sont censées être centrées ?

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L’un des meilleurs exemples de ce qui peut arriver lorsque les chrétiens réfléchissent en profondeur à la manière dont le but et la structure du foyer peuvent nous attirer vers Dieu nous vient peut-être de la fin du 18e siècle.

En 1774, une femme connue par ses adeptes sous le nom de Mère Ann Lee conduisit huit membres d’une petite secte quaker à fuir les persécutions dont ils étaient victimes dans leur Manchester natal, en Angleterre, pour se rendre en Amérique en passant par le port de New York. Ils s’installèrent près d’Albany et entreprirent de construire une communauté utopique, un véritable paradis sur terre, où les membres mettaient en commun leurs ressources et vivaient dans des maisons communes. Ils se désignaient comme la Société unie des croyants en la seconde apparition du Christ. Nous les connaissons sous le nom de shakers.

Leur culte était excentrique — dansant pour combattre la frustration de leur péché — et leur théologie était peu orthodoxe, notamment dans leur conviction que la sexualité était la racine de toute dépravation et établissant pour cela des exigences strictes de chasteté. Mais le mouvement shaker se développa lentement, et de nouvelles communautés apparurent dans tout le Nord-Est et s'étendirent au loin jusqu’au Kentucky et à l’Indiana. Il atteignit son apogée avec environ 5 000 membres en 1840.

Si l’on se souvient surtout aujourd’hui des shakers pour leur mobilier et leur artisanat épurés et minimalistes, c’est parce qu’ils ont consacré une énergie considérable à l’élaboration d’une philosophie de conception centrée sur la place à donner à Dieu et à leur propre croissance spirituelle.

Dans la conception des shakers, la fonctionnalité, la propreté et l’ordre étaient des éléments clés pour éliminer les distractions susceptibles de détourner l’attention de Dieu. « Rentrez chez vous, et prenez bien soin de ce que vous avez », ordonne Lee dans ses Testimonies, un recueil de ses dictons collectés après sa mort (et donc questionnés par certains historiens). « Prévoyez des emplacements pour vos affaires, afin de savoir où les trouver, à tout moment, de jour comme de nuit ; apprenez à être soignés et propres, prudents et économes, et veillez à ne rien perdre. »

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En pratique, cela a pour conséquence que les shakers étaient passés maîtres dans l’utilisation d’armoires et de boîtes pour le stockage. Leur marque de fabrique, les patères murales, était premièrement pratique — un moyen de suspendre des chaises et d’autres objets afin de libérer l’espace au sol pour divers usages — puis esthétique.

Les décorations — poignées de tiroir tape-à-l’œil ou ornements en bois — symbolisaient la convoitise et le matérialisme de la révolution industrielle de l’époque et étaient donc à éviter. Au contraire, les shakers croyaient que la beauté provenant de Dieu se manifestait par l’harmonie, les proportions, la qualité, les matériaux d’origine locale, les espaces ouverts et une lumière naturelle abondante. (« La lumière, toute la lumière, parce que c’est ce que Dieu est », déclarait un shaker au Commonweal Magazine en 2019).

Tout ce qui pouvait détourner de Dieu était supprimé, et il en a résulté un style qui est resté presque universellement apprécié et admiré jusqu’à aujourd’hui, même si d’autres tendances en matière d’aménagement intérieur sont apparues et ont disparu (adieu les cuisines couleur avocat…).

L’expérience des shakers a finalement échoué — seuls quelques membres de la secte subsistent à Sabbathday Lake, dans le Maine. Mais dans leur tentative de construire une forme de paradis, les Shakers ont créé un modèle d’aménagement intérieur qui a non seulement perduré pendant des siècles, mais a également transcendé les frontières religieuses et géographiques. Lorsque les communautés shaker se sont réduites au 20e siècle, leurs meubles ont été achetés et expédiés dans tous les États-Unis et dans le monde entier, et ont fortement influencé les designers modernes danois et les goûts américains du milieu du siècle. Ils ont été exposés au Metropolitan Museum of Art de New York et dans des expositions d’art du monde entier.

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La simplicité épurée du style shaker a fini par céder la place à une forme de maximalisme lorsque le pendule du design a basculé dans l’autre sens. Mais cette simplicité connaît aujourd’hui un regain d’intérêt et, aux États-Unis, on la retrouve facilement sur les vitrines en ligne de géants de la décoration intérieure et elle influence toutes sortes de boutiques de design.

Il n’est pas surprenant que le style shaker soit à nouveau en vogue à l’heure actuelle. Son minimalisme caractéristique peut apparaître comme un antidote à tant de fléaux de la vie contemporaine, offrant la libération d’un excès de possessions à gérer, à nettoyer et à réparer et la liberté financière qui découle du fait de posséder et entretenir moins de choses (ou de réparer moins d’articles mal faits).

Là où nous sommes adeptes d’un scrolling sans fin ni sens, les shakers avaient pour adage « les mains au travail, le cœur à Dieu ». Là où nous connaissons une épidémie de solitude, ils vivaient une vie communautaire radicale soutenue par leurs maisons et les objets qu’elles contenaient. Là où nous pouvons en un instant passer une commande en ligne pour un produit fabriqué à l’autre bout du monde, les shakers disposaient d’un savoir-faire local et utile qui durait des générations. Là où nous avons des piles invraisemblables de désordre, ils avaient des espaces et des objets marqués par la fonctionnalité, l’ordre et la beauté épurée.

Ce que les shakers recherchaient, selon leurs propres mots, c’était « la véritable simplicité évangélique ».

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À quoi pourraient ressembler les foyers chrétiens d’aujourd’hui si nous nous lancions à nouveau dans une quête collective profonde pour réimaginer comment les espaces de vie du 21e siècle pourraient refléter l’Évangile et soutenir notre croissance dans la sainteté ? Pour beaucoup de ceux qui font face à un marché immobilier insensé et onéreux, la meilleure maison que nous aurons probablement pendant des années est celle dans laquelle nous sommes déjà. Alors, que pourrait signifier « rechercher la prospérité » de la maison dans laquelle Dieu nous a placés ?

Les réponses sont probablement aussi variées que les lieux que nous considérons comme notre chez nous. Cela sera différent pour la famille qui possède un palace en banlieue de Houston et pour le célibataire enfermé dans un minuscule studio de Manhattan. Et la leçon des shakers n’est pas nécessairement que les chrétiens doivent se lancer dans une purge à la Marie Kondo, en débarrassant nos maisons de tout bien qui n’est pas taillé à la main dans un arbre de la forêt voisine.

Il s’agit plutôt de considérer dans quelle mesure — si tant est qu’il y en ait une — nos maisons sont des reflets actuels d’une réalité éternelle et de celui qui fonde cette réalité. Dieu a mis l’éternité dans chaque cœur humain (Ec 3.11), et les shakers, peut-être avec plus de succès que d’autres, ont capturé quelque chose de ce désir éternel de notre Créateur dans la fabrication méticuleuse de chaque chaise à dossier à barreau, armoire, crochet, balai et panier, chacun d’entre eux étant façonné avec le ciel en perspective.

L’exemple des shakers suggère qu’il est également possible pour nous, en tant que chrétiens modernes, de suivre une voie intègre, tournée vers l’éternité, dans la manière dont nous considérons ce qui fait notre foyer. À une époque où il est particulièrement difficile pour beaucoup d’accumuler des trésors immobiliers sur terre, nous avons une opportunité toute particulière de convertir nos biens immobiliers en trésors célestes.

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Peut-être qu’un jour les historiens se pencheront sur nous et remarqueront comment nos maisons ont pointé de manière nouvelle vers des vérités universelles, comme des spécialistes l’ont dit du design shaker. Pour citer encore Schaeffer, « La conscience du fait que nous avons été créés à l’image du Créateur de la beauté devait avoir des conséquences pratiques ».

Au moment où j’écris ces lignes, notre famille est toujours sans demeure permanente. Nous payons notre loyer, cherchons, prions et espérons. J’ai envie de placer nos chères photos de famille dans un endroit où elles resteront assez longtemps pour accumuler quelques millimètres de poussière, de repeindre une pièce, de poser quelques fondements durables au « paradis pour débutants » de notre famille.

Et alors que nous regardons le monde trembler sous le poids de la guerre, de la discorde politique et de l’injustice, je dois me rappeler que le foyer ne se trouve pas dans la maison parfaite, mais dans les personnes qui s’y trouvent, le reflet de l’éternité qu’elle offre, l’abri qu’elle procure, la croissance et les liens auxquels elle contribue. Quel que soit le lieu, quelle que soit sa taille, quelles que soient les personnes qui y habitent, ces choses restent.

Cela ne m’empêchera cependant pas de continuer à chercher un arbre pour suspendre une balançoire, des patères shaker pour accrocher les manteaux d’hiver de mes enfants et une bonne vieille baignoire pour soulager les douleurs de ce long et joyeux voyage vers notre véritable « « maison pour toujours ».

Julie Kilcur est une écrivaine basée en Virginie.

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