Nous connaissons tous les premiers mots de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre ». Nous serions beaucoup moins nombreux à pouvoir en citer les derniers : « On l’embauma et on le mit dans un cercueil en Égypte. » (Gn 50.26) Là où la première phrase nous entraine dans une dimension cosmique, la dernière nous ramène bien à terre. Mais se pourrait-il que l’avenir de l’Église ait plus à voir avec le cercueil en question qu’avec le Big Bang ?

De nombreux chrétiens perçoivent aujourd’hui en Joseph un modèle. Certains voient avant tout en lui une victime, réduit en esclavage par ses propres frères. D’autres soulignent sa lutte contre la tentation, fuyant les avances de la femme de Potiphar, ou encore son ascension vers le sommet du pouvoir égyptien, qui montrerait comment l’influence peut être exercée avec intégrité. Pourtant, les leçons à tirer de ses ossements sont peut-être encore plus importantes que celles à entendre de sa vie.

La Genèse se termine par une demande de pardon de la part des frères de Joseph. Leur démarche pourrait sembler manipulatrice et intéressée, mais Joseph l’accueille avec compassion et, grâce à lui, les descendants d’Israël échappent à la famine.

Ce qui est frappant, cependant, n’est pas tellement ce que Joseph accorde à ses frères, mais plutôt ce qu’il leur demande finalement : « Je vais mourir. Mais Dieu interviendra en votre faveur ; il vous fera monter de ce pays-ci vers le pays qu’il a promis par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob […] Quand Dieu interviendra en votre faveur, vous emporterez d’ici mes ossements. » (Gn 50.24-25)

Et lorsque le livre des Hébreux intègre Joseph parmi ses exemples de foi, il ne parle que de ces ossements : « C’est par la foi que Joseph, mourant, fit mention de l’exode des Israélites et donna des ordres au sujet de ses ossements. » (Hé 11.22)

Pourquoi ?

Cette curieuse demande nous révèle la vulnérabilité de Joseph. Malgré tout le savoir technologique et le pouvoir politique accumulés en Égypte, il savait qu’aucune pyramide ne le protègerait de la mort. Il savait qu’il allait devoir compter sur ses frères pour porter son cercueil, ces mêmes frères à qui il n’avait guère pu se confier de son vivant. Mais Joseph savait qui il était vraiment : non pas un prince d’Égypte, mais un héritier d’Abraham. Peu importe la renommée ou la richesse, il était un étranger en Égypte. Cependant, cette fragilité était aussi porteuse d’espoir. Comme ses ancêtres, Joseph était appelé à contempler de loin la promesse de Dieu, au-delà des âges.

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Dans l’un des épisodes les plus cruciaux de l’Ancien Testament, alors qu’Israël est sur le point de quitter l’Égypte dans le tumulte que l’on connaît, le texte de l’Exode nous dit : « Moïse prit avec lui les ossements de Joseph » (Ex 13.19). Voici accompli ce que Joseph avait fait jurer à ses frères. Et lorsque seront passés la traversée de la Mer Rouge, l’errance dans le désert, la réception des commandements et les luttes contre les Cananéens, le livre de Josué se termine par ces mots : « Les ossements de Joseph, que les Israélites avaient emportés d’Égypte, furent ensevelis à Sichem, dans la parcelle de terre que Jacob avait achetée… » (Jos 24.32) Joseph avait non seulement perçu que le futur était plus grand que lui, mais aussi qu’il y aurait sa place.

Les Évangiles nous apprennent qu’après sa mort, Jésus fut placé dans un tombeau emprunté à un chef religieux nommé Joseph (Mc 15.43-46). Jésus n’eut pas besoin de compter sur ses frères pour l’emmener vers la terre promise. Au contraire, après sa résurrection, il dit aux femmes : « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (Mt 28.10). Tous les os de Jésus restèrent intacts. Aucun ne fut brisé (Jn 19.36).

Que ce soit dans l’Église locale ou dans toute autre association ou mouvement, les conflits, la colère et le désespoir ne sont-ils finalement pas liés à la peur que suscitent en nous notre insignifiance ou notre finitude ? Peut-être aussi que ce qui rend difficile la transmission de la foi à une nouvelle génération est que nous ne lui faisons pas assez confiance pour envisager de la laisser un jour nous porter. Nous manquerait-il parfois la perspective d’un avenir qui nous dépasse, mais dont nous faisons partie intégrante ? Pour nous qui sommes le peuple de Pâques, il ne devrait pas en être ainsi.

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L’espoir dont nous avons besoin consiste probablement à réaliser que chacun d’entre nous se dirige bel et bien vers la tombe, mais pas pour longtemps. Aucun d’entre nous ne mènera le Royaume vers la gloire. Nous serons portés par des mains que nous ne verrons pas. Cela n’a rien de décevant. Tel est simplement le processus de la nouvelle création. Même pour une boite d’ossements oubliés de tous, lorsque Dieu dit « Que la vie soit ! », la vie advient. Jésus peut compter tous ses os. Il peut compter les nôtres aussi.

Russell Moore est rédacteur en chef de CT.

Traduit par Anne Haumont.

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