Il y a à mes yeux peu de questions qui hantent autant les pasteurs que celle-ci : « Qu’est-ce qui fait le succès d’un culte ? »

Il peut être assez facile de proposer une réponse théologiquement solide à la question, mais la frénésie de réunions qui agitent souvent les Églises à l’approche de Pâques me laisse penser que ces réponses ne sont pas suffisantes. En exerçant notre ministère dans nos milieux évangéliques contemporains, nous préparant à conduire notre communauté dans le culte et à l’écoute de la Parole, nous connaissons probablement tous la tension entre le choix d’un service paisible et fidèle et nos tentations de mettre le spirituel au service de nos propres ambitions. Beaucoup d’entre nous savent combien il peut être difficile de cheminer avec l’Église tel qu’elle est sans se laisser obnubiler par l’idéal de l’Église telle que nous aimerions la voir : quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus unique à mettre en avant… Ces définitions du succès pour l’Église et ses rassemblements ne finissent-elles pas par paraître mondaines, dépourvues d’imagination ?

Cette tension dans le ministère me paraît souvent plus forte pendant la période du carême. Alors que des millions de croyants du monde entier entament dans diverses traditions un voyage de tranquille et laborieuse préparation spirituelle jusqu’à Pâques, beaucoup de leurs pasteurs s’affairent à rassembler des équipes pour mettre en œuvre de grandes idées susceptibles d’attirer les foules. Ce dimanche crucial du calendrier de l’Église moderne est réservé à la proclamation de la victoire du Christ, mais cette date s’accompagne d’idées très spécifiques sur ce qu’est la réussite et de charges particulièrement lourdes pour l’atteindre. Les budgets s’envolent. Le nombre de volontaires nécessaires augmente. La joyeuse célébration de Pâques pour la communauté ressemble parfois davantage à une fin de marathon épuisante pour les personnes engagées dans son organisation.

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Si la mesure du succès est simplement la croissance numérique, ce prix vaut la peine d’être payé. Après tout, la hausse de la fréquentation des Églises autour de Pâques est un phénomène réel, qui nécessite une préparation réfléchie et une stratégie appropriée. Certaines communautés considèrent que la morosité et la lourdeur de certains aspects du carême constituent un obstacle à leurs projets de Pâques. Elles écartent ainsi complètement cette tradition. J’ai entendu des évangéliques qualifier le carême de « catholique » ou de fruit de dénominations mourantes et de leurs traditions liturgiques désuètes. Après tout, nous sommes encore en début d’année. Les gens sont pleins d’espoir. Pourquoi alourdir le début de leur course annuelle sous le poids d’une introspection en profondeur ? Pourquoi freiner l’élan du début du printemps par le difficile exercice de certaines contemplations et risquer de ne pas suffisamment préparer la fête en avril ?

Une grande partie de cette pensée découle du désir louable que l’Église soit bien intégrée et pertinente dans sa culture. Comment pouvons-nous espérer atteindre ceux qui se trouvent dans un monde pressé et bruyant en faisant la promotion d’un temps d’arrêt et de calme ? Entre nous, nous pouvons apprécier les pratiques de la confession et du jeûne, mais comment ces étrangetés pourraient-elles éclairer les cœurs dans ce monde de ténèbres ? Je ne voudrais pas donner d’illusions à mon propos : dans chaque contexte de mon ministère, j’ai ressenti année après année cette tension en conduisant les cultes et en planifiant nos activités. Préparer Pâques en étant tout à la fois croyant et pasteur est un défi dans lequel j’ai échoué à maintes reprises. Pour les responsables d’Église, le souci d’être pertinent dans une culture donnée tend parfois à occulter la possibilité d’exercer une influence subversive dans cette culture.

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La célébration de Pâques a pris une signification très spécifique : c’est le moment où nos chants se font les plus retentissants et où nous organisons les activités les plus importantes et les plus nombreuses de l’année. Là où va notre attention, là vont aussi nos budgets et nos engagements les plus passionnés.

Persévérer dans cette voie pourrait finir par nous conduire à des impasses. Comparé au décorum de certains de nos rassemblements de Pâques, le message qu’ils sont censés véhiculer peut finir par sembler lui-même terne aux yeux de certains. De nombreux pasteurs à qui j’ai parlé expriment un certain malaise à vouloir essayer de tirer quelque chose d’unique et de spécial d’une histoire qui, selon eux, a été racontée des centaines de fois — et souvent mieux racontée dans l’Église de l’autre côté de la rue ou en ligne. Cela pourra peut-être paraître choquant pour quelqu’un qui n’exerce pas de responsabilité professionnelle dans l’Église, mais je pense que les pasteurs qui liront ceci connaissent au moins un peu ce sentiment. Là où le succès a été mesuré en termes d’ingéniosité et de mise en scène, les imaginations se sont épuisées. Tout comme pour les parents qui organisent une grande fête d’anniversaire pour leur enfant, tout le travail nécessaire laisse peu de place pour prendre le temps de célébrer.

Les réticences de ceux qui organisent de grandes célébrations de Pâques à l’égard du carême ne sont pas étonnantes. Faire du carême quelque chose qui ne soit pas contre-intuitif pour beaucoup de nos cultures est pratiquement mission impossible. Qu’il en soit ainsi ! C’est l’étrangeté du carême — sa lenteur obstinée au milieu de la ruée dans les activités de la nouvelle année, son invitation à la confession lorsque l’orgueil et la confiance en soi sont à leur paroxysme — qui le rend si puissant et potentiellement si transformateur, à la fois dans la culture que nous essayons d’atteindre et dans celle que nous cherchons à construire au sein de nos communautés.

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Arbre tombé
Image: Alexandre Calame/National Gallery of Art Open Access

Arbre tombé

Vous imaginerez peut-être que je plaide pour une célébration de Pâques moins resplendissante. C’est tout le contraire. C’est le cheminement du carême qui place Pâques dans la lumière la plus éclatante. C’est le mouvement contre-culturel offert par les notions de reconnaissance de notre péché et de sacrifice qui rend le chemin que le Christ a emprunté pour nous si lumineux dans nos cœurs, dans nos esprits et dans nos assemblées. De tous les dimanches, Pâques devrait être la note la plus haute que nous atteignons dans nos calendriers ecclésiastiques, et non pas simplement un week-end auquel nous survivons en serrant les dents et en affichant un sourire de circonstance. Pâques est la source d’une joie florissante, abondante. Mais si l’on ne fait pas face à la réalité de notre servitude, si l’on ne regarde pas en face notre monde brisé, quelle valeur a la libération apportée par Pâques ? Sans affronter les tentations de notre chair et les échecs de notre péché, quel espoir y a-t-il que le récit de l’Évangile vienne faire vibrer notre imagination d’une manière rédemptrice ? Si nous ne sommes pas capables de ralentir et de déposer nos fardeaux pour savourer le don de la Croix, comment pourrions-nous espérer communiquer efficacement la joie de la résurrection du Christ à nos amis et nos familles qui ne le connaissent pas ?

Si Pâques a parfois silencieusement perdu de son éclat parmi les pasteurs et les responsables d’Église en raison d’attentes et de rythmes trompeurs, le carême offre plus qu’un correctif. Cette pratique peut nous aider à raviver un premier amour. Dans son livre sur le sujet, Great Lent, Alexander Schmemann écrit :

Les traditions liturgiques de l’Église, tous ses cycles et ses célébrations, existent avant tout pour nous aider à retrouver la vision et le goût de cette vie nouvelle que nous perdons et trahissons si facilement, afin que nous puissions nous repentir et y revenir. Comment pouvons-nous aimer et désirer quelque chose que nous ne connaissons pas ? Comment pouvons-nous placer au-dessus de tout dans notre vie quelque chose que nous n’avons pas vu et apprécié ?

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La nature contre-culturelle du carême est précisément ce que cette tradition a à apporter. Le carême est un temps de purification spirituelle en vue d’une transformation de notre manière de vivre et d’être avec Dieu. Cette saison nous ouvre la possibilité de laisser mourir les faux dieux afin que le Christ puisse s’élever en nous.

« Qu’est-ce qui fait le succès d’un culte ? » Un culte « réussi » sera certainement un moment où Jésus est présenté avec clarté, apprécié, remercié, loué. Ce sera un lieu où tous les affamés — invités ou habitués — peuvent trouver le repos à la table que le Seigneur a préparée. Si nous sommes prêts à accepter l’invitation que nous lance le carême, à ralentir et à laisser tomber les ambitions trompeuses ou les rythmes épuisants, nous rencontrerons plus facilement le type de joie que nous attendons de la célébration de Pâques — celle qu’elle a toujours été censée procurer.

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Caleb Saenz est le pasteur chargé de la formation spirituelle à l’Alamo Community Church de San Antonio, au Texas, où sa famille et lui démarreront une implantation d’Église nommée The Garden dans le courant de l’année. Il suit actuellement des études à l’Institute of Worship Studies de Jacksonville, en Floride.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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