C’est au grand âge de cinq ans que j’ai inventé ma propre version de la formule memento mori, ce fameux « souviens-toi que tu vas mourir ». Cela arriva sans autre arrière-plan que celui d’un enfant curieux (et adopté) qui se bat pour donner un sens à son existence. L’expérience m’est restée en mémoire de par son caractère traumatique : imaginez vous-mêmes ce qui se passe lorsqu’un enfant est allongé dans son lit et fixe l’obscurité en répétant « pour toujours, et toujours, et toujours, et toujours, et toujours, et toujours… »

Si ce tableau suscite en vous quelque empathie, je vous en suis reconnaissant. Ces répétitions allaient jusqu’à l’hystérie. Je finissais par sauter du lit et courir dans les escaliers pour tomber dans les bras de ma mère inquiète. J’étais inconsolable, balbutiant de manière ininterrompue : « pour toujours », « éternité ». Cela allait devenir une habitude, mais les premières fois furent aussi alarmantes pour ma mère que pour moi. Alors, sur un fond sonore de sitcom américaine émanant de la télévision, ma mère essayait de répondre à ma seule et unique question : « Que se passe-t-il quand on meurt ? » Comme bien d’autres mères attentionnées, elle parlait de « ciel », de « Dieu », d’« être bon » et ainsi de suite jusqu’à ce que je me calme enfin et retourne me coucher. Pourtant, elle eut beau essayer, je n’entendis jamais de réponse qui satisfasse vraiment le puissant mélange de peur et de curiosité qui m’habitait.

Heureusement, mes excursions nocturnes en bas des escaliers diminuèrent avec le temps, mais pas mon obsession pour la question. Ce n’est que presque deux décennies plus tard que j’ai trouvé la réponse que je cherchais. Il s’est avéré que ma mère avait raison : une bonne compréhension de la mort est indubitablement liée à nos idées de Dieu, du ciel et de la Bible. Il faut simplement faire pas mal de recherches pour bien en saisir les détails.

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Le fait est que les gens meurent, les rêves meurent, l’amour meurt, les habitudes meurent, les animaux meurent, les plantes meurent, même les personnages principaux meurent. La mort est essentielle : « Tuez vos chéris », recommande l’écrivain William Faulkner. « La mort nous sourit à tous », entend-on dans Gladiator. « Jusqu’à ce que la mort nous sépare », disent les amoureux le jour de leur mariage. La mort joue un rôle majeur dans tous les aspects de la vie, alors pourquoi l’humanité a-t-elle tant de mal à accepter l’idée de memento mori : se rappeler le caractère inévitable de notre mort ?

L’ironie dans tout cela, c’est qu’alors que nous cherchons souvent à fuir la réalité de notre propre caractère mortel, nous sommes obsédés par la mort. La mort est très vendeuse dans le monde du divertissement. Nous nous laissons captiver par les histoires de tueurs en série, d’assassins, de vampires, de zombies, de guerres. Tout ce qui a trait à la mort, que ce soit dans un livre ou sur un écran, retient notre attention. Chacun d’entre nous possède un sens de la curiosité morbide qui alimente une pulsion subconsciente très profonde de recherche incessante de réponses à propos de la mort. Si la conversation porte sur notre propre mort ou celle d’un être cher, nous esquivons volontiers le sujet, mais, paradoxalement, si c’est la mort d’un autre dont il est question, nous peinons à détourner le regard.

Ce mélange de fascination pour la mort et d’évitement du sujet ne sont pas l’apanage de l’ère moderne. Depuis des millénaires, les écrivains sont saisis par ce sujet. En fait, tout au long de l’histoire littéraire, la mort a bien souvent été sacrée comme « le grand ennemi ». Nous nous posons la même question depuis la nuit des temps.

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Dans chaque culture, certains éléments limitent notre capacité à avoir une bonne compréhension de la mort. Dans des cultures d’abondance, nous sommes souvent tout particulièrement protégés de la mort. Plus une communauté est riche, plus elle utilise les possessions matérielles pour se distraire des choses qu’elle craint. L’inimitable prédicateur et théologien Charles Haddon Spurgeon a dit un jour, alors qu’il visitait la luxueuse maison d’un fidèle : « Voilà le genre de choses qui rendent la mort difficile. » Lorsque nous disposons de ressources abondantes, nous pouvons atténuer, ou au moins adoucir, les dures réalités de la vie. Quand nous n’avons pas de besoins immédiats, l’envie d’approfondir les choses nous vient moins, et la dernière chose dont nous avons envie est de nous aventurer dans un memento mori. Pourquoi me rappeler la seule chose que je ne peux pas résoudre ?

Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil lorsqu’il s’agit de notre relation amour-haine avec la mortalité et de la vanité avec laquelle nous en traitons souvent. Nous nous disons que ce n’est pas ce qu’il y a à l’extérieur qui compte, mais ce que nous sommes à l’intérieur. Si les secteurs de la santé et de la beauté offrent une indication de ce que sont nos vraies préoccupations, alors ceux qui consacrent plus de temps à l’« intérieur » sont loin de constituer la majorité. La santé physique est certainement très importante. Cependant, lorsque notre santé physique devient centrale dans notre identité, nous perdons de vue le ciel. Il n’y a pas de sujet plus menaçant que la mort pour quelqu’un qui est terrifié par le vieillissement.

Pourtant, peu importe le nombre de kilomètres que nous courons, de longueurs que nous nageons ou la quantité de botox que nous nous injectons, il n’y a pas d’échappatoire : la mort finit tous par nous trouver. Malgré tous nos efforts, notre caractère mortel se rappelle sans cesse à nous : nos yeux s’assombrissent, nos cheveux s’affinent, notre taille s’élargit, nos muscles se contractent, nous nous affaissons davantage, nous dormons moins et oublions de plus en plus. En vieillissant, nous sentons davantage la température baisser et la pression atmosphérique augmenter, nous entendons trembler les feuilles alors que la tempête de la mort se profile à l’horizon. Ainsi parle le psalmiste face au grand et incompréhensible abîme qui le guette : « Les liens de la mort m’avaient enserré, et les angoisses du séjour des morts s’étaient emparées de moi ; j’étais accablé par la détresse et la douleur. » (Ps 116.3)

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Prenons donc courage. Notre problème n’est pas que nous éprouvons de la peur face à la mort — tout le monde en éprouve. Le potentiel nocif ou bénéfique de cette peur réside dans la façon dont nous y réagissons. Une vision saine de la mort peut être très utile dans la façon dont nous envisageons cette vie. Lorsque nous acceptons notre mortalité, notre capacité à voir certaines choses change. Nos yeux terrestres qui s’assombrissent gagnent en fait en clarté lorsqu’ils se concentrent sur l’éternité. Le memento mori favorise ce genre de vision. Comme l’apôtre Paul le dit : « Ainsi nous regardons non pas à ce qui est visible, mais à ce qui est invisible, car les réalités visibles sont passagères et les invisibles sont éternelles. » (2 Co 4:18)

Quand je repense à mes traumatisantes interrogations sur la mort dans mon enfance, je suis profondément reconnaissant d’avoir trouvé, à 19 ans, une réponse qui m’a changé et a changé le cours de ma vie. Certaines des craintes que suscite la mortalité n’ont jamais complètement disparu. En fait, je ressens encore une forme d’effroi lorsque j’essaie de comprendre ce que peut signifier un départ « pour toujours ». Cependant, aujourd’hui, mon attention se porte d’abord sur une confession, une nouvelle question et une requête. La confession est simple : « Seigneur, je m’inquiète à propos de ce que je possède, je me préoccupe de mon apparence et je m’inquiète de mon avenir. » La question est d’ordre pratique : « Seigneur, comment dois-je vivre aujourd’hui en vue de passer l’éternité avec toi ? » Et voici la requête : « Seigneur, aide-moi à voir ce qui est véritablement important pour que je puisse faire ce qui est le plus important à tes yeux. »

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En ce temps de Pâques, dans votre regard sur vous et le monde qui vous entoure, mon espoir est que vous pensiez aussi au jour de votre mort. Mon espoir est que le thème du memento mori de cette série de méditations vous conduira vers de nouveaux horizons. Après tout, ce qui point à l’horizon n’est pas une tempête, mais la foule des saints qui nous ont précédés et qui attendent de nous accueillir dans l’éternité.

Erik Petrik est directeur des projets créatifs pour Christianity Today. Lui et sa femme Kelli ont cinq enfants adultes et vivent à Edwards, dans le Colorado.

Cet article fait partie de notre série « À l’aube d’une vie nouvelle » qui vous propose des articles et des réflexions bibliques sur la signification de la mort et de la résurrection de Jésus pour aujourd’hui.

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