Le gouvernement de République démocratique du Congo retient prisonnier un responsable chrétien et ne divulgue aucune information sur son lieu de détention ou sur les faits qui lui sont reprochés. Lazare Sebitereko Rukundwa n’a pas accès aux soins et la Croix-Rouge n’a pas été autorisée à le voir, selon plusieurs personnes en lien avec la situation.

Son arrestation est intervenue après qu’un rapport des Nations unies ait indiqué qu’il aurait mené une campagne encourageant les membres de son groupe ethnique à prendre les armes. Avec un long passif d’engagement en faveur de la paix dans la région, il dément catégoriquement les accusations du rapport, qui, selon lui, est basé sur des accusations mensongères.

« Il est évident que le groupe d’experts de l’ONU a été induit en erreur par ses informateurs aux intentions malveillantes visant à ternir mon nom et à mettre ma vie en danger », écrit-il dans un communiqué. « Le partage des fausses informations est une arme qui détruit des vies innocentes. »

Après une précédente arrestation, Rukundwa avait été relâché en l’absence de preuves pour étayer les allégations contre lui. Mais certains responsables officiels se sont plaints et il a été à nouveau arrêté.

Rukundwa est président de l’université Eben-Ezer de Minembwe et a consacré sa vie à l’éducation, au développement et à l’autonomisation des Églises dans l’est du Congo. Il a également joué un rôle essentiel dans l’introduction de l’énergie solaire dans la région.

« Lazare est l’une des rares personnes dans ces montagnes à être respecté et aimé par-delà les divisions tribales, même dans les communautés en proie à des conflits et à des combats constants », raconte son ami de 25 ans, Freddy Kaniki.

Morgan Lee, éditrice responsable de CT Global, s’était entretenue avec lui avant son arrestation au sujet des défis auxquels sont actuellement confrontés les chrétiens au Congo et de l’espoir qu’il nourrit pour le changement.

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Comment votre vie et votre travail ont-ils été influencés par les troubles persistants en République démocratique du Congo ?

Plus de 80 % de notre région a été ravagée et il ne reste que très peu d’endroits intacts. Il y a eu de nombreux massacres. Nous avons des conflits armés. Nous sommes confrontés à une crise humanitaire.

Le conflit qui dure depuis 2017 jusqu’à aujourd’hui est à 100 % le fruit de manipulations politiques et n’est devenu tribal que dans un second temps. Il a détruit des villages, du bétail et des récoltes et a poussé les gens à fuir leurs maisons. À partir de 2019, nous avons commencé à accueillir des milliers et des milliers de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui arrivaient dépourvues de tout soutien.

Nous avons transformé notre université en agence humanitaire et les Églises et les écoles en lieux d’hébergement pour ces personnes déplacées, et chaque maison est devenue un abri pouvant accueillir jusqu’à cinq familles. Nous avons partagé la nourriture, les vêtements et tout ce que nous avions.

Nous sommes allés discuter avec le gouvernement. J’ai rencontré le président, de nombreux ministres, des ambassadeurs et des agences humanitaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Nous sommes accrédités à Kinshasa, la capitale. Nous avons rédigé des rapports et envoyé des lettres pour demander de l’aide. Mais le gouvernement n’a pas aidé et les agences de l’ONU non plus. Personne n’a voulu venir aider.

Actuellement, nous n’entendons pas de voix prophétiques venant du terrain pour s’opposer à ce qui se passe. Nous entendons quelques voix, que ce soit dans les médias sociaux ou dans certaines Églises, mais nous ne voyons pas le corps du Christ s’adresser aux médias, utiliser la radio ou la télévision, ou même se rendre dans les régions touchées.

Où êtes-vous en RDC ?

Nous nous trouvons dans la partie orientale du Congo, à la frontière du Burundi, du Rwanda et de la Tanzanie. Avant la partition de l’Afrique, les populations se répartissaient sur l’ensemble de ces territoires. Le tracé des frontières nationales a donc divisé les familles entre ces pays.

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Dans cet est du Congo, nous vivons à Minembwe, une région très montagneuse et très isolée. Nous sommes parmi les villages, dans un espace qui a été développé par les habitants eux-mêmes. Notre université se trouve en fait au milieu de tous ces villages. Là se retrouvent plusieurs tribus différentes, dont les Banyamulenge qui sont des Tutsis congolais, les Bembe, les Bafuliru, les Banyindu, les Bashi, et beaucoup d’autres petits groupes. C’est une région qui attire des personnes de différentes ethnies en raison de l’agriculture et de l’élevage.

Il est très difficile d’accéder à la zone. Il n’y a pas de routes et les moyens de communication sont très limités. Dans le passé, nous avions déjà de mauvaises routes, mais vers 2017, lorsque les guerres ont commencé, cela a encore limité le nombre de voitures qui arrivaient.

Aujourd’hui, le seul moyen dont nous disposons pour quitter la région est l’avion. Nous avons une petite piste d’atterrissage qui a été créée par des responsables d’Église et des missionnaires qui voulaient transporter des plaques de tôle ou du ciment pour construire des Églises ou des écoles.

Mon université a été la première à s’implanter dans la région, ce qui a été une véritable aventure. Mais bien sûr, quand personne ne fera les choses pour vous, vous devez vous lancer avec l’aide Dieu. À Minembwe, Dieu a travaillé avec les Églises, les ONG locales et les particuliers pour remplacer le gouvernement et apporter le développement souhaité.

Comment le christianisme est-il arrivé à Minembwe ?

Les missionnaires britanniques des Assemblées de Dieu sont arrivés les premiers dans la région, suivis par les Églises pentecôtistes suédoise et norvégienne et par les catholiques.

Les Banyamulenge, qui constituaient le groupe ethnique majoritaire de la région, ont été les derniers à se convertir au christianisme. Ils ont résisté jusqu’au début des années 50, lorsqu’un grand vent de renouveau s’est levé et qu’ils ont commencé à se convertir par eux-mêmes.

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Nous avons demandé à des personnes âgées présentes à l’époque ce qui s’était passé, et elles nous ont dit qu’elles ne savaient pas. Il y a eu un vent de réveil, l’Esprit de Dieu a soufflé sur les forêts et les savanes où ils vivaient, et les gens se sont déplacés d’un endroit à l’autre, à la recherche d’une Église, d’un pasteur ou d’un évangéliste pour prier pour eux.

Aujourd’hui, environ 90 % des habitants de la région sont chrétiens.

La question suivante que vous allez probablement me poser est : « Si 90 % des Congolais sont chrétiens, comment se fait-il qu’il y ait une guerre ? »

Oui, exactement. C’est la question que je me posais.

Juste après l’indépendance, nous avons connu toute cette guerre, un conflit créé par les Européens avides qui avaient colonisé l’Afrique. Au Congo, nous avions les Belges et le roi Léopold. Près de 10 millions de Congolais ont été tués par la brutalité du colonialisme.

Il y a une tendance au conflit et aux tueries qui ne sont pas nécessairement le fait des Congolais eux-mêmes, mais constituent un héritage du passé colonial. Depuis l’indépendance, nous n’avons pas eu la chance d’avoir de bons dirigeants ou une bonne gouvernance.

L’autre problème est probablement que le Congo possède de vastes réserves de tous les minerais dont le monde a besoin. Tout le monde aimerait venir les acheter. Cela m’évoque la Bible qui dit que le diable vient pour voler, tuer et détruire.

Mais ce problème ne concerne pas que les Congolais. Tous ceux qui aujourd’hui utilisent un téléphone, un ordinateur portable, une voiture électrique, tout ce qui fonctionne à l’énergie solaire, tous ceux qui utilisent des matériaux provenant de ces pays en difficulté devraient également y réfléchir.

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Bien sûr, les gens peuvent s’en emparer et l’utiliser pour s’enrichir. Mais si nous avons l’Esprit de Dieu en nous, nous devrions réfléchir à cette réalité.

La violence vise-t-elle les chrétiens ?

Les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe islamiste militant, s’en prennent aux Églises dans la province occidentale du Nord-Kivu. Il s’agit d’une évolution très récente. Les ADF tuent sans distinction.

Des Églises ont également été détruites en même temps que des villages par les groupes armés Maï-Maï. Les Maï-Maï viennent, tuent et détruisent le village, les propriétés et les infrastructures communautaires, y compris les Églises, les écoles et les cliniques.

Récemment, des Églises appartenant aux Banyamulenge à Goma, capitale du Nord-Kivu, ont été complètement détruites, uniquement parce que les personnes qui y prient appartiennent à la communauté Banyamulenge ou à des communautés tutsies.

Les évangéliques prennent-ils part à la violence ?

Si 90 % de la population du Congo se déclare chrétienne, tous les problèmes qui se posent sont le fait de chrétiens.

Il y a de l’insécurité partout, les gens craignent pour leur vie, et nous n’entendons pas de voix prophétiques. Lorsque vous savez que vous vous trouvez dans une zone contrôlée par des groupes armés et que vous osez leur dire d’arrêter, vous en serez la victime. Tout le monde n’est pas prêt à donner sa vie pour les autres. Il y a donc beaucoup de gens qui voient le mal dans ce qui se passe, mais qui ne le dénoncent pas.

J’ai parlé à des évêques et à des pasteurs dans différentes régions et différents pays, mais tout le monde semble peu intéressé. Les rebelles travaillent ensemble. Mais nous ne voyons pas l’Église travailler ensemble.

Comment votre université a-t-elle contribué à la paix dans le conflit actuel ?

Notre université est devenue l’un des piliers de l’espoir dans cette région. Nous avons pu non seulement travailler avec d’autres pour fournir de la nourriture, mais nous avons également pu fournir de la formation. Nous avons pu donner notre salle de conférence aux Églises déplacées.

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De nombreux membres de ces Églises ont reçu de la nourriture et des semences. J’ai été encouragé de les voir apporter la récolte à l’Église et partager les semences avec d’autres personnes qui n’en ont pas.

Nous créons un espace où les gens peuvent venir et ressentir la paix qui vient de Dieu. Nous créons une communauté au sein de la crise, une communauté qui travaille ensemble, une communauté qui se soutient mutuellement. Les gens partagent non seulement la nourriture, mais aussi les rires.

Une façon de donner de l’espoir […] au milieu de ce conflit est d’être l’Église au milieu des guerres, des crises et des conflits, un lieu où l’on peut dire : « J’étais malade, vous m’avez donné des médicaments ; j’avais faim, vous m’avez donné à manger ; j’étais en deuil, vous m’avez apporté vos condoléances ; j’étais nu, vous m’avez vêtu. » C’est l’Église que Dieu veut voir.

Dans le monde dans lequel nous vivons, les conflits sont omniprésents. Mais l’Église est là pour être le sel et la lumière. Nous ne pouvons peut-être pas tout faire, mais nous jouons au moins notre rôle.

Comment nos lecteurs pourraient-ils contribuer à vous soutenir ?

Il y a tout un éventail de possibilités pour ceux qui voudraient intervenir.

Il y a des centaines de veuves que nous pouvons aider. Nous avons également notre clinique, où tous ceux qui le souhaitent peuvent payer les salaires des infirmières ou des médecins ou fournir du matériel médical. Vous pouvez contribuer aux semences, à l’agriculture ou à l’élevage, ou nous aider à trouver une autre source d’eau.

Nous disposons d’une école primaire, d’une école secondaire et d’une formation professionnelle pour ceux qui ne peuvent pas aller à l’université ou qui ne peuvent pas terminer leurs études secondaires. Nous avons des mères célibataires, dont beaucoup ont été violées ou sont tombées enceintes dans d’autres circonstances difficiles, et dont certaines sont mineures. Nous leur offrons une formation professionnelle.

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Il y a aussi des chrétiens dans le monde entier qui peuvent faire pression en faveur de la paix. Ils peuvent parler au nom des milliers de personnes qui ne peuvent pas s’exprimer et demander à leurs gouvernements de s’informer sur la crise du Congo.

Il faut demander au monde humanitaire pourquoi il n’aide pas Minembwe

Pour ceux qui veulent intervenir par la prière, nous avons besoin de paix. Nous avons l’impression que les puissances des ténèbres planent sur l’est du Congo. Priez pour nos dirigeants. Il est absolument vital que Dieu les remplisse de son Esprit et d’un esprit de leadership pour les conduire à mettre fin à cette guerre. Priez pour les pays voisins, afin que Dieu leur donne de la bonne volonté pour contribuer à des solutions au Congo plutôt que d’alimenter le conflit.

Priez pour que Dieu puisse parler aux entreprises nationales qui sont impliquées dans l’exploitation des minerais du Congo ou qui les convoitent. Les Congolais doivent bénéficier de l’exploitation minière pour mettre fin à la pauvreté.

Le conflit ébranle-t-il la foi des gens ?

Oui et non.

Aujourd’hui, des Églises déplacées d’au moins six confessions différentes se sont réunies pour former une Église appelée Umoja, mot qui signifie « unité ». Ils prient ensemble dans le même bâtiment, et nous le leur avons laissé.

Tout ce travail a été effectué par des personnes d’ici qui ont aidé les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les populations locales elles-mêmes ont travaillé ensemble et se sont soutenues mutuellement. À présent, une dizaine de villages ont été reconstruits autour de Minembwe.

Aujourd’hui, je peux dire que de nombreuses personnes ont choisi de travailler ensemble, sans attendre que quelqu’un d’autre vienne le faire à leur place. Le gouvernement est absent, les agences humanitaires sont absentes, les politiciens sont absents. Mais je vois venir l’espoir. Je vois la paix et la possibilité d’une réhabilitation, de la réconciliation et de la stabilité.

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À travers le conflit, à travers les difficultés, à travers tous ces défis, la foi de certains s’affermit.

Mais nous voyons aussi que d’autres ont perdu la foi. Nous voyons des chrétiens qui ont volé les vaches des autres. Nous les avons vus se livrer à des actes de violence et détruire les maisons d’autres gens. Nous les avons vus tuer d’autres gens.

Les conflits et les temps d’épreuve peuvent renforcer la foi, mais nous voyons qu’ils peuvent aussi la fragiliser.

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