Godwin Adeboye a découvert quelque chose d’intéressant là où les habitants d’Ibadan, une ville du sud-ouest du Nigeria, jetaient leurs ordures.

À un endroit, le gouvernement avait placé un panneau disant : « Ne déposez pas vos déchets ici. Si vous le faites, le gouvernement vous imposera une amende. »

Ailleurs, quelqu’un avait écrit un message différent : « Si vous mettez vos saletés ici, je vous maudis au nom du dieu de ma famille. »

« Si quelqu’un dit : “Si vous jetez vos déchets ici, vous mourrez jeune, vous perdrez votre fortune ou tous vos enfants en un jour”, personne n’y va, car ils craignent les malédictions », explique Adeboye, pasteur et directeur de recherche au séminaire théologique de l’ECWA (Evangelical Church Winning All) à Igbaja, au Nigéria.

Le poids des malédictions n’est pas seulement une chose qu’Adeboye contemple de loin. Lorsqu’il a vu de nombreux membres de sa famille mourir, apparemment de causes mystérieuses, beaucoup ont suggéré que des malédictions pourraient en être responsables. Ces arguments l’ont conduit à étudier ce phénomène d’un point de vue biblique et à écrire Can a Christian Be Cursed? (« Un chrétien peut-il être maudit ? », Langham, 2023).

« J’ai écrit ce livre à partir de ma propre expérience et de ce que je vois chez mes frères et sœurs africains », explique-t-il. « De nombreux Africains, même chrétiens, croient parfois que leurs échecs financiers, moraux ou conjugaux sont dus à une malédiction “spirituelle” particulière qui les tourmente, au lieu d’en assumer la responsabilité personnelle. »

En outre, Adeboye sentait la nécessité d’aborder cette question importante pour le christianisme africain d’un point de vue chrétien africain.

« J’ai lu de nombreux ouvrages sur le christianisme africain et beaucoup d’auteurs ne sont pas sensibles à l’expérience africaine », estime-t-il. « Pour rendre l’Évangile chrétien concret pour les Africains, nous devons dialoguer avec l’expérience africaine. »

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Voici une conversation récente d’Adeboye avec Geethanjali Tupps, notre responsable du suivi des livres à l’international.

Parlez-nous un peu de vos origines nigérianes.

Je viens de l’État de Kwara, dans le centre-nord du Nigeria, où vivent des centaines de groupes ethniques et culturels et plusieurs traditions religieuses, avec de fortes tensions interreligieuses. Les Yorubas constituent un groupe ethnique important au Nigeria. Il existe des réseaux d’églises africaines pentecôtistes et charismatiques profondément religieux, fondés et dirigés par de nombreux Yorubas. La plupart des chrétiens d’origine yoruba, comme moi, ont de profonds antécédents dans les religions traditionnelles africaines.

Le Kwara n’est cependant pas un État uniquement yoruba, mais un État mixte, religieusement et culturellement, composé de groupes ethniques haoussa, peul, nupe et yoruba, ainsi que de musulmans, de chrétiens, de pratiquants des religions traditionnelles et d’autres groupes religieux.

Dans ma communauté, les gens donnent régulièrement des explications métaphysiques à leurs expériences de vie. Parce que j’ai eu le privilège d’accepter le Seigneur à un âge très précoce, j’ai donc une réponse différente aux questions de la vie. Lorsque je suis confronté à des situations difficiles, je ne suis pas l’interprétation traditionnelle qui attribue les défis de la vie à des malédictions ou au diable.

Qu’est-ce qu’une malédiction ? Comment se manifeste-t-elle dans la vie quotidienne des Africains ?

De nombreux Africains interprètent les différentes circonstances de la vie comme l’expression d’une malédiction. Lorsqu’un couple marié ne peut pas avoir d’enfant, par exemple, il pense que sa famille ou son mariage est maudit. Ou une personne qui lutte contre l’alcoolisme pourra par exemple croire que ses parents sont maudits.

En outre, nombreux sont ceux qui pensent que les noms peuvent être maudits. Ils croient que les malédictions peuvent être générationnelles. Ils changent donc parfois de nom. Les sociétés africaines ont une riche tradition en matière d’attribution de noms. Un nom reflète certaines choses sur son porteur. C’est pour cela que de nombreux Africains pensent que leur nom est une entité spirituelle qui doit être purifiée et bénie. Lorsque certaines personnes deviennent chrétiennes, par exemple, elles changent le nom que leur avaient donné leurs « parents non chrétiens ». De nombreux chrétiens craignent que les malédictions soient transmises par le biais des noms de famille.

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Dans la culture indigène africaine, beaucoup de choses peuvent être maudites : une famille, un mariage, une terre, un bâtiment, un lieu de travail, voire une église.

Les chrétiens africains sont parfois désorientés. La Bible leur enseigne qu’ils sont de nouvelles créatures, mais lorsqu’ils vivent des situations difficiles, ils se demandent si ce qui est arrivé à leurs parents avant qu’ils ne deviennent chrétiens n’a pas tout de même un impact négatif sur leur vie.

Comment la Bible traite-t-elle des malédictions ?

Pour les chrétiens, la réponse aux malédictions doit être christologique. La croix du Christ a payé toutes les dettes. Cependant, la Bible nous montre clairement que la grâce pour l’humanité et le libre arbitre individuel sont tous deux essentiels à la finalité humaine, c’est-à-dire que la façon dont les choses se dérouleront pour les êtres humains est déterminée par la grâce de Dieu et la réponse de l’être humain. Lorsque les humains acceptent le Christ, ils sont purifiés des malédictions ou des dettes générationnelles.

La première étape de la délivrance des malédictions générationnelles ou ancestrales consiste à vivre une vie transformée, modelée par la Parole de Dieu. Mais le phénomène des malédictions peut être complexe, et mon livre explique comment traiter certaines questions difficiles liées aux malédictions.

Quel est le lien entre les malédictions et la famille ?

Les malédictions générationnelles, ou malédictions héréditaires relèvent d’une croyance selon laquelle les choses négatives qui sont arrivées aux ancêtres d’une personne peuvent également arriver aux membres de la famille (comme la mort soudaine, la pauvreté, les accidents, l’absence d’emploi, l’instabilité financière, l’éclatement de la famille).

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J’ai interrogé des collègues du Zimbabwe, du Kenya, du Malawi, du Mozambique, du Ghana, de la République du Bénin, du Nigeria et du Congo, et j’ai constaté que, dans toute l’Afrique, les gens craignent les malédictions, et que de nombreux chrétiens pensent qu’ils sont affectés par des malédictions héréditaires.

En Afrique, la famille n’est pas seulement une institution sociale, c’est aussi une institution spirituelle. Le mariage aussi est une institution spirituelle. Il existe un lien spirituel entre le père et l’enfant, entre la mère et l’enfant, et les gens pensent que si quelque chose arrive au père, cela pourrait aussi arriver à l’enfant, parce qu’ils sont liés spirituellement.

Les malédictions générationnelles existent bel et bien, mais seulement pour ceux qui n’ont pas accepté le Seigneur Jésus. Si une personne est en Christ, elle est une nouvelle créature. Cette liberté en Christ n’annule pas la responsabilité morale du chrétien. Lorsqu’un véritable enfant de Dieu, né de nouveau, traverse des épreuves dans sa vie, ce n’est pas à cause d’une malédiction, mais pour la gloire du Seigneur et sa croissance spirituelle.

Quelle place ont les sorcières ?

En général, pour que les malédictions soient efficaces, la plupart des Africains pensent que le « maudit » doit avoir offensé le « maudisseur ». Cependant, les sorcières sont des personnes dont les malédictions peuvent entrer en action sans qu’il y ait eu aucune offense. Naturellement, les gens les craignent.

La peur des malédictions des sorcières n’est pas seulement due au fait qu’elles sont des sorcières. De nombreux Africains craignent également les paroles négatives de n’importe quel chef religieux. Les chrétiens africains craignent que leurs pasteurs les maudissent dans leurs prières. En outre, dans les prières de nombreuses églises d’Afrique, les malédictions contre les ennemis ont une grande importance. C’est ce que j’appelle « guérir les malédictions par les malédictions » dans mon livre.

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Dans l’Ancien Testament, on voit souvent Dieu proclamer des bénédictions ou des malédictions sur les générations futures. Comment conciliez-vous les croyances de vos compatriotes africains avec les paroles de Dieu dans l’Ancien Testament ?

À première vue, la compréhension africaine des malédictions est analogue aux situations de l’Ancien Testament (AT) où Dieu impose des malédictions aux gens. Mais un examen plus approfondi révèle des différences essentielles. Les malédictions de Yahweh dans l’AT sont en grande partie des malédictions conditionnelles et liées à la sainteté de Dieu. Mais en Afrique, la majorité des malédictions sont inconditionnelles. Dans mon livre, je soutiens que Dieu ne maudit pas ses enfants, même dans l’Ancien Testament. Les fameuses malédictions de Genèse 3, par exemple, ne sont pas des malédictions, mais des sanctions. Dieu n’a pas maudit Adam ou Eve. Il a maudit le sol, le travail humain et l’accouchement. Et dans l’annonce même du châtiment se trouve la promesse de la bénédiction la plus importante : la promesse de la venue du Christ.

Mon livre soutient que les malédictions et les bénédictions de Yahweh dans l’AT ne sont pas automatiques ou inconditionnelles ; elles font appel à la responsabilité morale, à la justice et à la sainteté divine. Les malédictions de Yahweh dans l’AT ne doivent pas nous faire voir Dieu comme un être terrifiant, mais comme un Dieu juste. Elles montrent que les actions humaines ont des conséquences sur ce qui arrive. La société africaine a besoin d’une libération mentale sur ce point, car beaucoup pensent que même lorsque la personne devient chrétienne les malédictions familiales continuent d’opérer.

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Croyez-vous que les bénédictions générationnelles existent aussi ?

Partout sur le continent, j’ai vu des montagnes de prières, des centres de prières et des maisons de prières, tous nommés d’après des malédictions. Au Nigeria, l’Église passe pour un centre de délivrance des malédictions. J’ai été témoin de programmes d’église où, au lieu de prêcher la parole de Dieu, le prédicateur demande aux membres de se laver la tête avec de l’eau afin d’être délivrés des malédictions.

Beaucoup de chrétiens africains prient de manière négative et non positive. Ce n’est pas comme en Occident, où l’on dit « Que Dieu vous bénisse. Que Dieu subvienne à vos besoins. » Au contraire, les Africains prient en maudissant l’ennemi, en disant par exemple : « Mon Dieu, que mes ennemis meurent. Dieu, fais que mes ennemis s’endorment et ne se réveillent jamais. »

Je pose donc une question dans mon livre : est-il bon d’utiliser des malédictions pour résoudre les malédictions ? Ma réponse est non ; nous préférons utiliser la Parole de Dieu pour expliquer et connaître Dieu et sa Parole.

Que pensez-vous des prières imprécatoires de la Bible ?

À bien des égards, les chrétiens africains sont particulièrement intéressés par l’utilisation des psaumes imprécatoires pour réfléchir et répondre aux défis de la vie. Ces psaumes reviennent fréquemment dans la liturgie, les sermons et les livres de prières de nombreuses confessions religieuses, en particulier dans les églises africaines autochtones. Ces psaumes constituent une ressource biblique importante pour la réflexion sur l’expérience existentielle et les défis de la vie pour de nombreux chrétiens africains.

Cependant, nombre de ces psaumes sont souvent lus, appliqués et interprétés sans tenir compte de leur contexte historique et théologique. Ces psaumes ne sont pas de simples « déclarations négatives », mais des réflexions personnelles des psalmistes sur la justice divine à l’encontre de ceux qu’ils considèrent comme des ennemis de Dieu.

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Cependant, de nombreux Africains utilisent ces psaumes comme moyen de vengeance personnelle, par exemple en invoquant le nom de leurs ennemis humains tout en récitant un psaume imprécatoire spécifique (par exemple, le psaume 35) pendant un certain nombre de fois prescrites. Il n’est pas rare de voir un Africain en conflit avec un collègue choisir des psaumes imprécatoires pour maudire son adversaire.

C’est ce que j’appelle « guérir les malédictions par les malédictions. » Dans leur tentative de gérer la peur des malédictions, ils maudissent leurs maudisseurs. Les livres de prières de nombreuses églises autochtones africaines contiennent des prières consacrées à la malédiction des ennemis plutôt qu’à l’invocation de la bénédiction de Dieu.

Les théologiens chrétiens africains ont beaucoup conceptualisé la pertinence des psaumes imprécatoires pour réfléchir à l’expérience contextuelle africaine, mais les guides pratiques sur la manière d’utiliser correctement ces psaumes sont rares. Mon livre comble des lacunes de la théologie chrétienne africaine en fournissant des conseils théologiques et pratiques et comporte une section avec des étapes pratiques et des exemples sur la façon d’interpréter et d’appliquer correctement les psaumes imprécatoires.

Comment voyez-vous l’idée de malédiction dans un contexte occidental ?

Le phénomène des malédictions ne se limite pas au contexte africain. Premièrement, le contexte occidental n’est plus purement occidental en raison de l’immigration et des interactions interculturelles. Deuxièmement, les croyances religieuses institutionnelles occidentales ne définissent peut-être pas clairement le concept de malédiction, mais l’idée de malédiction et la crainte qu’elle suscite sont perceptibles dans les expériences vécues par certaines personnes en Occident. L’hypothèse de la sécularisation, selon laquelle les humains deviennent moins religieux à mesure que les sociétés progressent sur le plan technologique, a échoué. Être occidental ne signifie pas nécessairement être moins religieux ou moins spirituel.

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Je veux encore étudier et comparer les notions occidentales de malédiction par rapport au contexte africain.

Comment surmonter ce genre de malédiction, en particulier dans votre propre culture ?

Tout d’abord, nous devons croire en la Parole de Dieu et nous engager envers elle. Le christianisme se développe en Afrique. Certains prédisent que dans les prochaines décennies, le centre du christianisme sera sur notre continent. Mais j’ai des inquiétudes.

Le christianisme africain augmente en nombre, mais pas en qualité. La croissance quantitative du christianisme africain doit être soutenue par une croissance qualitative : la connaissance de la Parole de Dieu.

Dans le christianisme africain, les dirigeants se placent parfois au-dessus de la parole de Dieu. Les membres de l’église sont ainsi désorientés. Nous devons donner la primauté à la Parole de Dieu, non seulement en théorie, mais aussi en pratique dans notre liturgie, dans nos programmes d’accompagnement, dans les autres activités et dans l’étude personnelle.

Deuxièmement, nous devons mettre l’accent sur la doctrine de l’expiation. Il faut rappeler aux chrétiens africains que l’expiation du Christ est définitive et absolue. Ils doivent être centrés sur la croix et sur le Christ.

De plus, Jésus a dit à ses disciples qu’ils devaient porter leur croix et le suivre. La souffrance et la pauvreté peuvent faire partie de notre croix ; par conséquent, lorsque les chrétiens africains rencontrent des difficultés, celles-ci peuvent être une croix qu’ils doivent porter, et non une malédiction.

Troisièmement, les responsables africains doivent mettre l’accent sur le contact personnel et l’expérience confessionnelle. Si un individu est vraiment régénéré par le Saint-Esprit, il ne devrait en principe pas être tourmenté par des malédictions.

Enfin, les responsables des églises chrétiennes africaines doivent mettre l’accent sur la mission, l’évangélisation et la formation des disciples. Nous devons nous efforcer de faire des disciples des nouveaux chrétiens. Si nous faisons cela, les chrétiens africains seront équipés pour faire face à la peur des malédictions.

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Un chrétien peut-il être maudit ?

S’il s’engage à suivre une formation spirituelle biblique et à assumer ses responsabilités chrétiennes, un chrétien ne peut pas être maudit. La formation spirituelle biblique comprend la connaissance, l’appréciation, l’acceptation et la reconnaissance continues de l’œuvre de salut de Christ.

La victoire chrétienne sur les malédictions, qu’elles soient héréditaires, familiales ou personnelles, repose sur Christ, car Christ est la solution à tous nos défis individuels et collectifs. Cependant, nous avons un rôle à jouer dans notre vie chrétienne personnelle et collective pour nous approprier notre victoire en Christ. C’est pour cela qu’il faut comprendre et s’approprier la compréhension chrétienne de la responsabilité morale.

La théologie de la responsabilité morale n’est pas suffisamment ancrée dans le christianisme contemporain. La responsabilité morale implique que nous sachions que nous devons approfondir notre vie spirituelle en suivant le Christ. La Bible est claire sur les mécanismes de récompense et de punition pour les chrétiens. Nous ne devons pas faire certaines choses ; si nous les faisons, il pourrait y avoir des répercussions négatives. Ces répercussions sont parfois qualifiées de malédictions.

Les chrétiens ne peuvent pas être maudits parce que le Christ a été fait malédiction pour nous. Mais si nous transgressons les lignes établies par les préceptes du Christ, nous risquons d’en subir les conséquences. La vie chrétienne a des exigences, et les chrétiens doivent les respecter.

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