Au lendemain des massacres commis par le Hamas en Israël le jour de Sim'hat Torah, des foules se retrouvaient dans le quartier new-yorkais de Times Square pour un rassemblement organisé par les Socialistes démocrates d’Amérique. Un orateur s’exprimait ainsi : « Notre résistance a pris d’assaut les colonies illégales et a franchi les frontières coloniales en parapente. » La foule a répondu par des applaudissements nourris.

On célébrait là sans équivoque l’assaut sur plusieurs fronts mené par des terroristes contre des villes israéliennes, des kibboutzim (villages agricoles progressistes et communautaires) et un festival de musique en plein air. Les membres du Hamas ont assassiné plus de 1 400 Israéliens, violé, torturé et blessé des milliers d’autres, et enlevé environ 200 otages. La plupart des victimes étaient des civils, et beaucoup étaient des enfants, des personnes âgées ou des nourrissons. La grande majorité d’entre eux étaient juifs.

Ce rassemblement de Times Square ne représente pas un cas isolé d’activisme pro-Hamas. Aux États-Unis, des manifestations pro-Hamas ont notamment été organisées par la section de Chicago de Black Lives Matter et par Students for Justice in Palestine à l’université d’État de Californie à Long Beach et à l’université de Louisville. Dans chaque cas, le matériel promotionnel incluait des images de parapentes — une référence non pas à la cause palestinienne en général, mais à cette attaque spécifique du Hamas contre des milliers d’Israéliens innocents.

L’organisation mère de ces groupes universitaires a qualifié l’assaut initial du Hamas de « victoire historique pour la résistance palestinienne », encourageant ses membres non seulement à se rassembler, mais aussi à envisager une « confrontation armée avec les oppresseurs ».

Cette guerre n’en est qu’à ses débuts. Il peut être difficile de distinguer la vérité du mensonge et de discerner exactement pourquoi ce type d’activisme — présenté à tort par ses partisans comme en faveur des opprimés — est très problématique. Mais nous aurons une vision morale plus claire de la situation en nous remémorant l’histoire sombre que ce moment fait ressurgir.

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On pourrait se demander comment la conscience peut être déformée à un point tel qu’elle justifie ou même célèbre une violence aussi horrible. En me montrant généreux, je peux envisager que l’apparent différentiel de pouvoir entre Israéliens et Palestiniens façonne une partie de cette réponse. Il ne fait aucun doute (comme l’a souligné le journaliste juif Bari Weiss la semaine dernière) qu’une incohérence idéologique à l’œuvre sur les campus américains en est également dans une large mesure responsable. Mais nous ne pouvons pas ignorer une autre raison plus subtile et plus universelle derrière au moins certaines de ces réactions : l’antisémitisme.

D’une certaine manière, l’antisémitisme est aussi vieux que l’Exode, lorsque les Israélites furent réduits en esclavage par Pharaon (Ex 1.9-10) ou menacés de destruction par les Amalécites (Ex 17.8-9 ; Dt 25.17-18). La haine des Juifs parce qu’ils sont juifs — parce qu’ils refusent de s’assimiler — est au cœur du livre d’Esther et est restée fréquente sous les régimes assyrien et romain. Ce même antisémitisme a également joué un rôle lorsque les Romains ont mis à sac Jérusalem après l’échec d’une révolte juive en l’an 70, poussant les Juifs à se disperser hors de Judée et à travers tout le Moyen-Orient, l’Afrique, la Russie et l’Europe.

Au fil des siècles, les Juifs ont continué jusqu’à aujourd’hui à résister à l’assimilation, en conservant et en développant leurs pratiques religieuses, leur langue et leurs coutumes. Comme l’a décrit l’auteur Walker Percy, la résilience du peuple juif est une sorte de miracle historique :

Lorsque l’on rencontre un juif à New York, à La Nouvelle-Orléans, à Paris ou à Melbourne, il est remarquable que personne ne considère ce fait comme remarquable. Que font-ils ici ? Mais il est encore plus intéressant de se demander, s’il y a des Juifs ici, pourquoi il n’y a pas de Hittites. Où sont les Hittites ? Pouvez-vous me montrer un seul Hittite à New York ?

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Mais cette même résilience et cette résistance à l’assimilation continuent de susciter la méfiance et la haine ou, autrement dit, cet antisémitisme ancestral.

D’une certaine manière, cela n’est pas surprenant. Comme l’ont montré des biologistes, nous sommes programmés pour ressentir de l’anxiété face aux étrangers. Ce qui les distingue — leur langue et leurs habitudes sociales — déclenche une alerte dans notre cerveau nous signifiant que nous pourrions être en compétition avec eux pour des ressources limitées.

Mais en tant que chrétiens, nous sommes invités à résister à cette impulsion. Une prescription biblique qui traverse les deux Testaments nous appelle à aimer notre prochain et à prendre soin des immigrants et des étrangers (p. ex. Dt 1.16 ; Mt 25.35). Cette idée va à l’encontre de notre nature humaine (déchue). On le voit bien dans toutes les justifications que les chrétiens ont inventées pour éviter d’aimer ceux qui leur sont étrangers. Malheureusement, le traitement que nous avons réservé au peuple juif au cours de l’histoire en est un bon exemple.

Le christianisme était d’abord une histoire d’hommes et de femmes juifs qui reconnaissaient un homme juif comme le Fils de Dieu. Ils lisaient des livres saints juifs et beaucoup continuaient à observer les pratiques religieuses juives.

Pourtant, au 4e siècle, les origines juives du christianisme ont été éclipsées par le mépris de responsables ecclésiastiques tels qu’Ambroise de Milan, qui qualifia les Juifs d’« odieux assassins du Christ ». Les chrétiens ne devraient « jamais cesser » de chercher à se venger du peuple juif, déclarait Ambroise, allant même jusqu’à affirmer que « Dieu a toujours détesté les Juifs. Il est essentiel que tous les chrétiens les détestent ».

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Toutes ces affirmations sont des mensonges antisémites. Toutes sont également antichristiques. Tout l’Ancien Testament montre l’amour de Dieu pour Israël en tant que tribu mise à part dans un monde déchu et Paul indique clairement dans Romains 9 que cet amour de Dieu pour Israël n’a pas pris fin, même si un « nouvel Israël » a vu le jour en Christ.

L’allégation selon laquelle les Juifs auraient « assassiné » Jésus va également à l’encontre des paroles du Christ, qui dit à propos de sa vie : « Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre. Tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. » (Jean 10.18) Dire que les juifs ont « assassiné » Jésus, c’est traiter Jésus de menteur.

Mais les mensonges sont séduisants, surtout lorsqu’ils servent à atténuer l’anxiété ou la peur. L’idée reçue selon laquelle « les Juifs ont assassiné Jésus » s’est imposée et a perduré pendant des siècles, servant de justification à l’hostilité envers nos prochains juifs. Dans les périodes de bouleversements sociaux de l’histoire, les Juifs ont régulièrement servi de boucs émissaires, accusés de tous les maux, de l’instabilité politique à la peste noire.

Au 19e siècle, le prisme de compréhension des événements historiques est passé du récit chrétien à de nouvelles notions comme le darwinisme et l’idée de progrès de l’histoire sous l’impulsion de l’homme (un sujet que j’ai récemment abordé dans un article de CT). Mais l’antisémitisme n’a pas disparu pour autant, il a simplement changé de forme. Au lieu d’une inflexion historique et chrétienne, l’antisémitisme occidental a pris une tournure « scientifique ».

Une nouvelle rhétorique présentait les Juifs comme une race étrangère rivalisant avec les autres nations et les spoliant de leurs richesses. La « question juive » (comme on a fini par l’appeler) relevait en fait de l’anxiété collective des nations européennes qui ne voulaient pas offrir une place aux Juifs en tant que citoyens égaux.

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Cette rhétorique s’est intensifiée au 20e siècle et les nazis se sont appuyés sur des siècles d’histoire antisémite pour présenter les Juifs comme une « maladie » ou une « vermine ». Il est terrible, mais essentiel, de noter qu’aussi profond et dépravé que soit l’antisémitisme nazi, la réponse majoritaire des pays alliés de l’Allemagne nazie ou conquis par elle — tels que la Pologne, la France et l’Italie — a été la collaboration dans le mauvais traitement des Juifs.

En de très nombreux endroits, les Juifs ont été rassemblés par les autorités locales, dépouillés de leurs biens et de leurs terres, forcés de s’installer dans des ghettos et internés jusqu’à ce qu’ils puissent être entassés dans des trains et envoyés dans les camps de la mort. Pour les nazis, il s’agissait de la « solution finale à la question juive ».

Cette semaine, lorsque nous avons vu des images d’une horreur inimaginable en Israël — des Juifs torturés et brûlés vifs, des parents contraints d’assister à la mort de leurs enfants — cette histoire est plus que jamais d’actualité. Israël existe en partie pour prévenir ces horreurs. Le fait qu’elles aient pu se reproduire et que certains Occidentaux peinent à réagir ou s’en réjouissent est le signe d’une profonde décadence morale.

Le vocabulaire que nous utilisons en ce moment est important. Avant que les propagandistes nazis ne qualifient les Juifs de « vermine » à exterminer, on les décrivait comme des étrangers et on les rendait apatrides — on leur refusait une place dans le monde. Il nous faut comprendre que lorsque les manifestants pro-Hamas scandent « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », ils ne se contentent pas de défendre le sort des Palestiniens ordinaires. Ils appellent à l’éradication de l’État juif et, implicitement, à la violence envers les Juifs israéliens. Et lorsque les alliés idéologiques du Hamas qualifient les citoyens israéliens vivant dans des kibboutzim centenaires de « colonisateurs » ou de « colons blancs », ils sous-entendent que les Juifs seraient des étrangers sans liens historiques légitimes avec la terre. Il s’agit toujours du même antisémitisme aliénant.

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J’avoue avoir été particulièrement troublé par l’iconographie des parapentes. Telle a été la méthode utilisée pour attaquer (entre autres) le festival de musique où plus de 260 jeunes Israéliens — pour la plupart juifs — ont été tués alors qu’ils se réunissaient pour célébrer la cause de la paix. Ils ont été abattus en plein champ. Des femmes ont été violées à côté des cadavres de leurs amis et enlevées à Gaza pour y attendre des horreurs inconnues. C’est à ces crimes que nous devrions associer ces parapentes, tout comme nous associons les nazis aux fours crématoires crachant leur fumée, aux fosses communes et aux corps empilés comme du bois coupé. Brandir ces pancartes avec un parapente, c’est comme brandir une croix gammée.

Être horrifié par le massacre d’Israéliens innocents ne nécessite pas de nier la souffrance du peuple palestinien. Et se préoccuper des Palestiniens innocents ne nécessite pas de se montrer froid ou insensible face aux horreurs de l’antisémitisme et du Hamas. Nous pouvons condamner le Hamas tout en demandant des comptes aux dirigeants israéliens qui ont alimenté la violence, encouragé les extrémistes de droite et excusé les violations du droit international. Les chrétiens devraient se distinguer par leur volonté de s’opposer à toute injustice et de prendre soin des victimes, qu’elles soient israéliennes ou palestiniennes.

Cela implique de comprendre que les Palestiniens ont subi de grandes injustices de la part du gouvernement israélien — ainsi que de la part d’États voisins comme l’Égypte, la Jordanie, l’Iran, le Liban, la Syrie et l’Arabie saoudite et du Hamas et de l’Autorité palestinienne elle-même. Mais cela implique aussi un rejet actif de l’antisémitisme.

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Comme me l’a dit un ami juif peu après les attentats, « nous savons tous ce qui va arriver. Aujourd’hui, les gens sont horrifiés. Demain, ils feront ce que les gens font depuis des siècles. Ils accuseront les Juifs. Ce n’est qu’une question de temps. »

Cela a déjà commencé. J’espère et je prie que les chrétiens puissent jouer leur rôle en s’y opposant.

Mike Cosper est directeur responsable des podcasts pour Christianity Today.

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