Pour la plupart des Africains, il n’y a pas de dichotomie entre les domaines du sacré et du profane. Si cette approche holistique de la vie a de réels mérites, elle peut aussi conduire à agir un peu à la manière d’une éponge prête à absorber toutes sortes de spiritualités. Dans ce contexte, l’apologétique chrétienne offre un garde-fou pour faire obstacle au syncrétisme et aux enseignements mensongers.

Comme nous le dit 1 Pierre 3.15-16, nous devons être prêts à défendre notre foi tout « en gardant une bonne conscience, afin que là même où ils vous calomnient, ceux qui critiquent votre bonne conduite en Christ soient couverts de honte. » En d’autres termes, l’apologétique est une conversation amicale sur la foi, et non un combat à gagner. Apologetics in Africa: An Introduction (« L’apologétique en Afrique : une introduction ») offre des réponses aux croyants comme aux non-croyants sur un continent où les chrétiens restent largement démunis pour répondre aux attaques contre la foi qui est la leur.

Ce livre n’est assurément pas le premier ouvrage sur l’apologétique en Afrique, mais il aurait dû être publié depuis longtemps. Il se distingue par les perspectives variées de ses divers auteurs sur ses sujets apologétiques. Dans un contexte où le danger du syncrétisme est très réel, une approche pertinente de l’apologétique est cruciale, non seulement en tant que sujet académique, mais aussi dans la vie quotidienne des croyants.

Originaires du Kenya, d’Éthiopie, du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, du Nigeria et d’Ouganda, les auteurs de cet ouvrage abordent le christianisme comme une foi qui a été largement acceptée sur tout le continent, mais se trouve en manque de contextualisation. Les 16 parties abordant diverses questions culturelles et pratiques offrent des orientations pour une meilleure intégration de la foi dans la vie d’une Église chrétienne africaine au carrefour de l’influence des croyances traditionnelles africaines, de la colonisation, de la pensée occidentale et des tendances de la culture mondiale contemporaine. Notons toutefois que, malgré son titre, l’ouvrage traite principalement de questions relatives à l’Afrique subsaharienne et que tous ses auteurs sont originaires de pays anglophones.

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La théologie chrétienne dans le contexte africain doit être complétée par l’apologétique, car les croyants ont besoin d’une foi qu’ils peuvent expliquer. Par ailleurs, la foi s’approfondit lorsqu’elle est ouverte à l’examen. L’apologétique peut donc être considérée comme un sous-ensemble essentiel de la théologie africaine et cet ouvrage est à la hauteur de la tâche, même s’il est modestement intitulé « introduction », comme une invitation à poursuivre la discussion. Et en effet, la tâche de l’apologétique ne s’arrête jamais.

L’arrière-plan historique

Le musicien gospel et apologète kenyan Reuben Kigame écrivait que « l’apologétique chrétienne a ses racines les plus profondes en Afrique du Nord ». D’une certaine manière, ce livre revient en effet au sujet de l’apologétique en Afrique après une longue interruption. Logiquement, Kevin Muriithi Ndereba, responsable de la théologie pratique à l’Université Saint-Paul au Kenya et directeur de cette publication, ouvre Apologetics in Africa en revenant sur Augustin, Tertullien et d’autres qui vécurent en Afrique du Nord lorsque l’apologétique était le « mode de mission par défaut ».

Ndereba décrit l’apologétique comme pluridisciplinaire et au bénéfice des autres disciplines. La précision est importante : les questions que les gens se posent sur la foi ne sont pas confinées à une catégorie particulière. Lorsqu’un cursus universitaire comprend un cours d’apologétique, il s’agit généralement d’un séminaire de degré supérieur. Les étudiants ont en effet besoin d’un solide réservoir d’informations de base pour leur permettre une approche pluridisciplinaire de leur travail d’apologétique.

L’organisation du livre en quatre catégories (bible, philosophie, culture et pratique) ouvre au développement d’une réflexion de large envergure pour guider les chercheurs et autres personnes engagées dans l’apologétique africaine. Naturellement, les questions bibliques servent de point de départ. Il ne peut y avoir de défense de la foi chrétienne sans fondement biblique. Dans la section qui y est consacrée, l’article d’Elizabeth Mburu, spécialiste kenyane du Nouveau Testament, intitulé « La Bible est-elle fiable ? Critique biblique et herméneutique en Afrique » est particulièrement bien articulé. L’approche de l’autrice combine deux perspectives — les questions classiques et l’herméneutique contextualisée — avec en vue la transformation du croyant.

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Des sujets doctrinaux cruciaux pour une Afrique diversifiée

L’Afrique est un continent extrêmement divers, comptant 54 pays et plus de 3 000 peuples et présentant de très amples variations dans les croyances et les pratiques culturelles. En conséquence, si les lecteurs africains pourront tous se retrouver à divers niveaux dans ce livre, tous devront aussi réfléchir théologiquement à leurs contextes et problématiques spécifiques pour œuvrer de manière pertinente à la tâche de l’apologétique.

Face à cette diversité culturelle, il est impératif que les croyants africains puissent bien intégrer certaines doctrines bibliques clés afin de construire une base solide pour leurs réflexions ultérieures. Trois doctrines me paraissent particulièrement centrales. Le livre aborde bien la première. Les deux autres pourraient être approfondies.

Christologie

Ce sujet clé, en particulier la personne du Christ, ne trouve pas de correspondance étroite dans les systèmes de croyances traditionnels africains. Mais comme l’écrit le théologien sud-africain Robert Falconer dans son chapitre intitulé « Une apologétique africaine de la résurrection », ce sont bien la vérité historique et la fiabilité de la résurrection du Christ qui rendent le christianisme digne de notre adhésion exclusive.

Offrant une réflexion christologique appliquée à un contexte culturel africain spécifique, Kevin Muriithi Ndereba contribue par un chapitre sur « La doctrine du Christ et les rites traditionnels d’aînesse : mbũrĩ cia kiama ». Mbũrĩ cia kiama peut être traduit par « des chèvres pour le conseil ». L’expression désigne une pratique traditionnelle du peuple des Kikuyus : un homme qui s’est qualifié pour le statut d’ancien donne des chèvres au conseil des anciens.

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Ndereba salue cette tradition pour la valeur qu’elle donne aux mentors, mais soulève également un dilemme : comment les chrétiens doivent-ils aborder cette pratique ? Les chrétiens africains ont-ils encore besoin de sacrifices d’animaux pour prendre au sérieux leur statut et leurs responsabilités ? Comment peuvent-ils mettre en lien cette pratique avec le sacrifice rédempteur du Christ ? Le processus de contextualisation ne peut se contenter de saupoudrer les pratiques traditionnelles africaines de traits chrétiens, car leurs significations ne coïncident pas toujours.

Les apologètes chrétiens en Afrique devraient examiner attentivement leur propre culture et discerner les analogies pertinentes pouvant être utilisées pour leur contexte. Cependant, les convertis au christianisme doivent aussi pouvoir plus largement entendre tout le conseil de Dieu, même dans ses aspects n’ayant pas de lien évident avec leur culture.

Les auteurs travaillant à la contextualisation de leur théologie en Afrique mettent fréquemment en avant les aspects de la christologie qui trouvent des équivalents dans les croyances traditionnelles africaines — notamment l’œuvre du Christ — et évitent des questions moins familières telles que celles liées à la personne du Christ. Pourtant, la doctrine de la personne du Christ est au cœur du christianisme et suscite des questions apologétiques essentielles : comment Dieu peut-il avoir un fils ? Le christianisme a-t-il plus d’un Dieu ? Comment trois personnes divines peuvent-elles être un ? Comment Jésus peut-il être à la fois humain et Dieu ?

Lorsque nous expliquons la personne du Christ, les analogies avec les croyances traditionnelles africaines sont souvent inadéquates et doivent être employées avec prudence. Voici deux exemples.

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  • Le Christ comme ancêtre : Le Christ est souvent présenté de cette manière en Afrique parce qu’il est le médiateur entre les chrétiens et le Dieu de la Bible. Mais le Christ est aussi Dieu lui-même, et il est vivant, alors que les ancêtres sont considérés comme des « morts vivants ». En outre, nous pouvons communiquer avec Dieu par l’intermédiaire du Christ, mais la communication avec ou par l’intermédiaire des ancêtres africains serait considérée comme divination, ce que la bible proscrit.
  • Le Christ en tant qu’aîné (ou frère aîné) : Comme l’explique Ndereba à juste titre, le rôle de l’aîné en Afrique a toujours été important. Cependant, beaucoup de ceux que l’on considère aujourd’hui comme aînés ne revêtent plus autant d’honneur que par le passé ; d’autre part, de nombreux membres de la jeune génération sont détachés de leur milieu traditionnel et ont besoin d’analogies différentes auxquelles s’identifier. Dans la tradition africaine, le frère aîné est considéré comme l’égal du père et il assume les responsabilités de ce dernier à des degrés divers selon les communautés. Mais l’analogie entre le Christ et le frère aîné ne plaira pas à tous les chrétiens africains. Sa réception sera influencée par les expériences de chacun. Beaucoup de frères aînés sont des ennemis du progrès de la famille, et le Christ ne correspond pas à cette description !

Pneumatologie

Si la christologie fait l’objet d’un traitement attentif tout au long du livre, la doctrine du Saint-Esprit (pneumatologie) ne reçoit pas d’attention particulière dans la section consacrée aux questions bibliques. Il aurait été utile de s’y arrêter, car cette doctrine a fait l’objet d’abus dans les milieux chrétiens et sectaires, ou a parfois été malheureusement négligée.

Dans certains cas, les gens ont du mal à discerner la différence entre la possession démoniaque et la puissance du Saint-Esprit. Ce problème a rendu la question du combat spirituel difficile pour la plupart des chrétiens africains, et beaucoup d’entre eux passent d’une église à l’autre à la recherche d’un prophète qui les sauve. Ces croyants vivent ainsi dans la servitude au lieu d’expérimenter la liberté. Il est urgent de traiter de la personne et de l’action du Saint-Esprit dans la vie des croyants africains, afin de faire la distinction avec le rôle des démons et des autres esprits tels qu’ils sont compris dans les croyances africaines traditionnelles.

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Ecclésiologie

En ce qui concerne la doctrine de l’Église, des questions importantes se posent face à la tentation pour les chrétiens africains d’aligner leurs pratiques en matière d’ordonnances ecclésiastiques sur la manière dont les communautés africaines ont traditionnellement vécu les rites de passage tels que la naissance, la puberté, la mort et l’enterrement.

Le livre examine notamment en détail le mariage et les pratiques culturelles qui y sont associées. Comme l’explique la théologienne zimbabwéenne Primrose Muyambo dans son chapitre, les pratiques africaines en matière de dot (connues dans son contexte sous le nom de lobola) peuvent facilement amener les chrétiens à compromettre leur foi, car le mariage est considéré comme une étape importante dans la vie d’un individu et accroît le statut au sein de la communauté.

Si la pratique de la dot peut être vue positivement comme une affirmation de la valeur de la femme, dans l’Afrique moderne elle est devenue très matérialiste, ce qui est souvent source d’amertume et de conflits. Muyambo rapporte que les parents de jeunes femmes instruites exigent d’importantes sommes d’argent ou des biens coûteux tels que des maisons, des réservoirs d’eau ou des téléphones portables en guise de dot. En raison des coûts élevés, certains couples ont recours à la cohabitation malgré l’opposition de l’Église. L’Église africaine a besoin de réaligner ce rite de passage sur les pratiques chrétiennes afin d’aider les parents à s’adapter et de soutenir les jeunes couples chrétiens qui cherchent à se marier.

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Des problèmes similaires se posent pour d’autres rites de passage qui ne sont pas abordés dans l’ouvrage. Certaines pratiques de l’Église semblent mystérieuses dans leur signification symbolique et pourraient passer pour analogues à des rites de passage traditionnels africains, de la magie ou de l’occultisme. Il serait donc crucial d’aborder ces questions pour l’apologétique africaine. Les responsables d’église doivent identifier les principaux domaines où la foi peut être compromise en raison des pressions culturelles et des visions du monde à l’œuvre autour d’eux, car le syncrétisme est en plein essor dans l’Église africaine et crée d’importants dilemmes apologétiques. Les croyants ont besoin de principes bibliques pour discerner ce qu’ils doivent rejeter et ce qu’ils peuvent judicieusement transférer de leur culture vers la foi chrétienne. Le chapitre « Apologétique et sectes en Afrique » du pasteur ougandais Rodgers Atwebembeire laisse voir ce qui se passe trop souvent et met en garde contre le danger que court le christianisme en Afrique si l’Église n’est pas fondée sur une saine doctrine.

Dans l’ensemble, malgré des aspects qu’il serait utile d’approfondir, ce livre devrait encourager la recherche et la réflexion sur les questions pratiques d’apologétique en Afrique. Il serait en outre merveilleux que ce livre suscite le développement de ressources apologétiques plus accessibles et financièrement abordables. Les contributions de ses auteurs sont un précieux antidote aux barrières intellectuelles et émotionnelles qui se dressent face à la foi, et leur approche contextualisée de l’herméneutique prépare les croyants à pouvoir donner raison de la foi qu’ils professent dans leur environnement culturel contemporain.

Agnes Makau est doyenne de l’école de théologie de l’université chrétienne Scott à Machakos, au Kenya.

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