Lorsqu’Emmanuel Nabieu a commencé à travailler au Child Rescue Center (CRC) en Sierra Leone, il rentrait en quelque sorte à la maison.

Seize ans plus tôt, le 4 juillet 2000, il avait été recueilli par ce même orphelinat.

À l’âge de neuf ans, sa vie avait été bouleversée par la guerre civile. Son père avait été tué lors d’une attaque contre son village et il avait été séparé de sa mère dans le chaos qui avait suivi. La stabilité de la structure de sa famille élargie avait volé en éclats. Le dernier parent vivant qu’il connaissait, un oncle, n’avait pas les moyens de s’occuper de lui.

L’orphelinat semblait être la seule option. Il a donc été amené au CRC. À partir de ce moment, c’est là qu’il s’est installé.

« J’ai vécu dans une belle maison d’enfants avec toutes les commodités », nous raconte Nabieu, ou Nabs, comme tout le monde l’appelle aujourd’hui. « Mais j’aspirais à être aimé. »

Lorsqu’il a grandi et a poursuivi sa formation à l’université de Njala en Sierra Leone, puis à l’université de Galles du Sud, il a découvert que, comme lui, 80 à 90 % des orphelins avaient un membre de leur famille en vie qui aurait pu s’occuper d’eux avec les ressources et le soutien nécessaires. En consultant les dossiers du CRC en 2016, il a été stupéfait de découvrir que 98 % des enfants pris en charge par le ministère avaient un membre de leur famille en vie.

« Les orphelinats ne servaient pas vraiment les orphelins », explique Nabieu, qui expose son expérience et sa vision de la prise en charge des enfants dans My Long Journey Back Home (« Mon long voyage de retour ») « Ils ne s’occupaient que d’enfants issus de familles pauvres. »

Nabieu a proposé un changement radical. Pour lui, le CRC n’avait pas besoin d’offrir de nouveaux foyers aux enfants. L’institution devait trouver le moyen d’aider les familles à pouvoir s’occuper de leurs propres enfants.

Aujourd’hui, le centre a été transformé. Le « rescue » (« secours ») de l’acronyme CRC a été remplacé par « reintegration » (« réintégration ») et ses programmes visent à aider les familles à devenir financièrement autonomes. Il propose des cours, des prêts financiers et du mentorat afin de donner aux gens les compétences nécessaires pour s’en sortir.

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« Nous devions être en mesure d’aider ces enfants à se construire un avenir meilleur, un avenir plus heureux qui inclurait leurs familles et les communautés auxquelles ils appartiennent », dit Nabieu.

Le 21e siècle a vu les institutions et les organisations gouvernementales se distancier de la prise en charge institutionnelle des enfants. En 2019, les Nations unies ont adopté une résolution donnant la priorité à la prise en charge familiale et appelant à l’élimination à terme de tous les orphelinats, ou « foyers institutionnels ». Tous les États membres ont signé la résolution et des organisations du monde entier ont commencé à adapter leurs pratiques.

Elli Oswald, directrice exécutive de Faith to Action, un groupe qui s’est engagé à repenser la prise en charge des orphelins, estime qu’il existe également un « mouvement croissant de chrétiens qui s’éloignent de l’utilisation excessive de la prise en charge en institution et qui se tournent vers la prévention de l’entrée des enfants dans ce contexte ».

Cette décision est notamment motivée par des recherches montrant que la prise en charge en institution entraîne des taux plus importants de pauvreté et de problèmes relationnels à l’âge adulte.

« La plupart des enfants qui passent beaucoup de temps dans les orphelinats sont vraiment en difficulté », explique-t-elle. « Ce que nous savons, c’est que les enfants grandissent mieux dans le cadre de l’amour et des soins de leur famille. »

Cela ne veut pas dire que les institutions ne sont jamais la solution.

Oswald souligne qu’il y a des situations où il n’est pas sûr qu’un enfant rentre chez lui. Et il y a des cas où un enfant est vraiment complètement seul. Un séjour de courte durée en institution suivi d’un placement plus durable dans une famille peut être le meilleur choix pour un enfant.

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Mais la plupart du temps, les orphelinats ont répondu au symptôme d’un problème au lieu de s’attaquer au problème lui-même.

« La pauvreté est la principale raison pour laquelle les enfants se retrouvent dans des orphelinats », dit Oswald, « et si nous parvenons à convaincre les familles de les soutenir, elles sont le plus souvent en mesure de s’occuper de ces enfants. »

Jedd Medefind, président de l’Alliance chrétienne pour les orphelins, une organisation à but non lucratif qui travaille avec plus de 250 organisations répondant aux besoins des enfants vulnérables, rapporte que, historiquement, les orphelinats étaient créés rapidement pour répondre à une situation d’urgence massive. Des personnes bien intentionnées estimaient nécessaire d’agir immédiatement face à la guerre, la peste ou d’autres catastrophes, même si elles étaient conscientes des potentiels inconvénients.

Mais les gens repensent l’équilibre entre efficacité et idéal de soins.

« Nous devons viser l’idéal tout en reconnaissant que nous travaillons dans un monde profondément meurtri », dit Medefind. « Nous devons adopter des solutions réalistes. »

Même aux États-Unis, qui disposent de beaucoup plus de ressources que les pays en développement, les soins en institution n’ont pas été éliminés, note-t-il encore. Plus de 10 % des enfants placés dans le système d’accueil sont dans des foyers de groupe. Certains ne peuvent pas être confiés à des membres de leur famille en raison de problèmes de dépendance ou d’abus. Il y a une pénurie de familles d’accueil et il est difficile, voire impossible, de trouver des places pour certains enfants ayant des besoins importants.

Medefind soutient « un continuum complet de soins disponibles partout et donnant la priorité à la famille ».

Cela commence par des services de soutien de la famille afin d’éviter avant tout la séparation, dit-il. Dans un second temps vient un système de placement en famille d’accueil et d’adoption. Et dans les rares cas où il n’est pas possible de placer un enfant chez quelqu’un, Medefind soutient les soins résidentiels de type familial, où les enfants sont placés dans des foyers de groupe avec un faible nombre d’enfants par adulte encadrant. L’idéal serait que ces adultes restent impliqués dans la vie des enfants, même à l’âge adulte.

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« La réalité est que, lorsqu’il s’agit du développement du cœur, du corps et de l’âme des enfants, le meilleur endroit pour un enfant est la famille. Il est tout simplement impossible de remplacer cela à grande échelle », dit Medefind. « À tous les stades du développement, mais surtout pendant les premières années de formation de la petite enfance, le besoin de ressentir de l’amour est profond. »

Selon Emmanuel Nabieu, le changement doit commencer par une réflexion globale. En réfléchissant à sa propre expérience, il se rend compte aujourd’hui qu’il n’était pas un enfant dans le besoin parmi d’autres. Il éprouvait avec plus de force un problème plus vaste, un problème que le CRC pouvait résoudre.

L’une des premières personnes à qui il a parlé de son projet de transformer le centre en quelque chose d’autre a été Laura Horvath, une chrétienne qui s’était occupée de lui à l’orphelinat. Elle lui a répondu que, d’une certaine manière, elle n’était pas surprise de sa vision. Nabieu avait toujours été un leader, et Horvath et d’autres membres du ministère réfléchissaient également à de meilleures façons de s’occuper des enfants, si bien qu’ils ont été réceptifs à ses idées.

Horvath n’était pas entièrement sereine à l’idée des grandes transitions envisagées. Mais elle a vite été happée par la vision de Nabieu.

« Nous sommes rapidement entrés dans cet espace où l’on peut faire de grands rêves », se souvient-elle. « À quoi cela pourrait-il ressembler ? »

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L’approche adaptée a été plus fructueuse que ne l’espéraient ceux qui travaillaient pour ce nouveau « Centre pour la réintégration des enfants ». Les nouveaux programmes étaient plus rentables et permettaient d’aider beaucoup plus d’enfants. Alors qu’elle apportait auparavant de l’aide à environ 300 orphelins, l’organisation a pu porter ce nombre à près de 2 000 enfants dans plus de 400 familles.

Nabieu estime que cette approche holistique est non seulement pragmatique, mais aussi biblique, puisque « Dieu accorde aux gens seuls une famille » (Ps 68.7 SEM). Il croit fermement que le lieu qui lui a offert un foyer peut devenir un puissant outil de restauration.

« Ces structures peuvent devenir de réelles sources d’espoir et de stabilité pour les enfants et les familles vulnérables », dit-il. « Il ne s’agit pas seulement d’un enfant. Il s’agit de toute une famille qui forme une unité. Il s’agit de la communauté. »

Adam MacInnis est journaliste au Canada.

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