Dune, deuxième partie fait s’entrechoquer foi et pouvoir. Le film est le deuxième d’une adaptation en trilogie des célèbres romans de Frank Herbert, un conte mystique nous entraînant dans des guerres entre familles à travers l’immensité de l’espace et la montée d’une figure messianique dénommée Paul Atréides (Timothée Chalamet).

Ce film intermédiaire reprend l’histoire après le massacre brutal du clan familial de Paul. Héritier d’une noble maison et sujet de prophéties, celui-ci se débat avec son destin apparent de sauveur et de meneur. Sa mère, dame Jessica (Rebecca Ferguson), prêtresse extralucide de l’ordre religieux matriarcal Bene Gesserit, tente de l’orienter vers ce destin. Mais l’élue de son cœur, Chani (Zendaya), ne veut qu’une simple vie à deux. Au milieu de ce drame relationnel, Paul dirige une tribu du désert dans une guérilla contre des forces impériales brutales cherchant à s’emparer de la précieuse ressource de sa planète, l’épice.

Le film nous offre une riche adaptation d’un dense matériau de base. Ses 2 heures et 46 minutes sont bien remplies, intrigues et sous-intrigues s’entremêlant sous la menace constante des vers de sable voraces et mangeurs d’hommes. Les batailles spatiales sont un mélange impressionnant de suspens et de spectacle, et le sable du désert constituerait presque un personnage à part entière, servant à la fois de bouclier et d’arme aux guerriers que Paul conduit. Bien que les combattants soient équipés de vaisseaux spatiaux et d’armes atomiques, de nombreuses batailles aboutissent à des combats au corps à corps à l’épée, chorégraphiés pour être rapides, vifs et saisissants.

Ces éléments donnent lieu à une adaptation plaisante et captivante, avec de solides performances et une belle cinématographie. Mais Dune, deuxième partie doit son attrait intellectuel au matériau offert par les livres de Herbert. La foi n’est-elle qu’une ressource de plus à exploiter dans la quête du pouvoir ? S’agit-il d’une autre drogue, comme l’épice, que les puissants peuvent s’approprier, utiliser et mettre à leur service ? Ou s’agit-il d’une véritable source de connaissances et de vie ? La série Dune pose la question, mais n’essaie pas d’y répondre.

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Fruit du début des années 1960, l’œuvre de Herbert s’intéresse de près aux effets des drogues psychédéliques. L’épice est légèrement psychédélique et ouvre l’esprit à des visions et à des cauchemars. Une autre substance, appelée « eau de vie », est profondément psychédélique, souvent mortelle et affectant sérieusement le cours de l’existence.

Les récits de Dune présentent ces drogues comme étant à la fois bénéfiques et dangereuses, un cadeau pour les quelques personnes assez fortes pour recevoir les visions qu’elles provoquent et y survivre. Cette perspective semble être le produit d’une époque révolue, étrange à considérer après six décennies d’évolution de nos normes et de nos lois en matière de consommation de drogues. Le point de vue de la série de livres sur les drogues était peut-être provocateur en 1965, mais il semble daté et superficiel à la lumière des réflexions et des préoccupations actuelles à propos des drogues.

S’inspirant également des livres de Herbert, l’univers du film évoque le monde arabo-musulman. Le sable, les vêtements et même la langue lui donnent un air de Lawrence d’Arabie dans l’espace. Il s’agit d’un regard occidental, bien sûr, et non d’une interprétation provenant du monde musulman lui-même. D’autre part, certains éléments, comme les Bene Gesserit, sont plus inspirés du catholicisme que d’éléments de l’islam.

Ce genre de syncrétisme narratif peut être risqué, mais en prenant des éléments de religions connues et en les projetant dans un autre monde, Dune, deuxième partie soulève des questions importantes sur la religion et le pouvoir.

Tout comme dans notre monde, de nombreuses factions s’affrontent pour le contrôle, même en leur sein. Certains sont de véritables croyants, convaincus que Paul Atréides est une figure messianique qui conduira son peuple au paradis. D’autres, comme Chani, ne croient en rien d’autre qu’en leur épée et leur propre force. Et si les croyants sont tournés en dérision pour leur capacité à transformer n’importe quel événement en « accomplissement » d’une prophétie, personne ne peut nier la force de leur foi ou l’énergie que celle-ci leur procure. Comme l’épice psychédélique, la foi est puissante et difficile à contrôler. Les fidèles deviennent une force en soi.

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La foi ne coïncide pas pour autant toujours avec la pureté du cœur. Les prêtresses du Bene Gesserit, dont la mère de Paul, façonnent et exploitent la foi des masses. Ce deuxième Dune laisse ouverte la question de savoir si les prêtresses croient elles-mêmes en ce qu’elles enseignent ou si elles s’en servent simplement pour acquérir du pouvoir. Elles se montrent à la fois bienveillantes et sinistres, imprévisibles et insaisissables. D’une certaine manière, par leur égoïsme et leur impénétrabilité, elles évoquent les dieux païens : leurs objectifs sont centrés sur eux-mêmes, et les simples mortels qui les croisent sont aisément sacrifiés.

Paul est différent. Il se soucie des gens. Il est réticent face au pouvoir, du moins dans un premier temps. En effet, il craint le rôle qu’il pourrait endosser face à une croyance qu’il n’est pas sûr de partager, redoutant ses adeptes fondamentalistes et les horreurs qu’ils pourraient commettre en raison de leur foi en lui. Il peut voir l’avenir, voire plusieurs avenirs possibles, et ses visions impliquent une guerre sainte dévastatrice menée en son nom. Quoiqu’il y répugne, il est inexorablement entraîné dans la mêlée.

Les parallèles avec Jésus sont évidents et fascinants. Paul Atréides commence sa route en ressemblant beaucoup au Christ : il est annoncé, attendu, et on croit en lui avant même qu’il ne naisse. Il se soucie de la justice et de la paix. Il est humble, aimant, prêt à servir. Comme Jésus sur le chemin du Calvaire, Paul souhaiterait éviter l’avenir sombre qui l’attend.

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Mais leurs chemins se séparent alors. Paul chemine vers plus de pouvoir terrestre, plus de contrôle, plus d’effusion de sang. Malgré les attentes et les encouragements de ses disciples (Ac 1.6), Jésus, lui, a rejeté cette voie. Il a choisi la croix. Tel n’est pas le cas de Paul Atréides. À certains égards, Dune ressemble à une exploration de ce qui aurait pu se produire si Jésus avait dit à Pierre d’affuter son épée au lieu de la rengainer (Mt 26.52-53).

Les leçons du christianisme sont inversées dans cet univers. Pour sauver sa vie, on ne l’abandonne pas : on prend celle d’un autre. Les derniers ne deviennent pas les premiers. Les plus petits ne deviennent pas les plus grands. En fin de compte, ce sont eux qui sont sacrifiés. Les doux n’héritent de rien. Et pourtant, ici aussi, pour gagner le monde, Paul Atréides doit perdre son âme.

Rebecca Cusey est avocate et critique de cinéma à Washington, DC.

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