Joseph Bosco Bangura s’est donné pour mission de modifier la façon dont nous percevons les églises de migrants.

Depuis plus de 25 ans, il étudie la manière dont les nouveaux mouvements chrétiens créent des possibilités de contact et de transformation au sein des sociétés. Ses recherches sur le mouvement pentecôtiste en plein essor dans son pays d’origine, la Sierra Leone, ont révélé à la fois l’important attrait populaire de ce mouvement et la créativité avec laquelle les églises charismatiques et pentecôtistes ont intégré les traditions religieuses africaines indigènes.

Aujourd’hui, il s’intéresse à l’impact des églises de migrants en Europe. Il enseigne la missiologie à la Faculté de théologie évangélique de Louvain (ETF) en Belgique et à l’Université de théologie protestante (PThU) aux Pays-Bas, et est également pasteur d’une église de migrants. Il s’est entretenu avec nous sur les opportunités et les défis auxquels sont confrontées les communautés de migrants dans les sociétés européennes sécularisées.

Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier les églises de migrants en Europe ?

Il y a toujours un lien entre la mobilité des personnes et la diffusion de leur foi. Chaque fois que les Juifs ont émigré — c’est d’ailleurs d’eux que vient le terme de diaspora — cela a eu une incidence sur leur foi. Il en est allé de même dans l’Église primitive. Les chrétiens ne sont pas partis tout de suite ; c’est la persécution qui a entraîné leur dispersion. La migration coïncide systématiquement avec une nouvelle diffusion de l’Évangile. Elle élargit les possibilités d’apporter de nouveaux éléments de foi dans des lieux où ils étaient jusque-là inconnus.

En Europe occidentale, les églises autochtones (c’est-à-dire les églises européennes blanches) sont aujourd’hui plus conscientes des enjeux missionnaires des communautés de migrants. Que peuvent faire ces dernières pour l’Église dans une Europe sécularisée ? Elles pourraient être la bouée de sauvetage pour la survie de la foi dans un monde sécularisé.

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Certaines organisations missionnaires prennent au sérieux la présence des migrants et réfléchissent à la manière de les impliquer. Ainsi, Harvey Kwiyani, un universitaire du Malawi qui a beaucoup écrit sur la mission et la migration, travaille pour la Church Mission Society. Leita Ngoy, originaire de la République démocratique du Congo (RDC) et enseignante en Allemagne, est consultante pour Pain pour le monde, qui aide les églises allemandes à mieux accueillir les migrants. La Société biblique pour les Pays-Bas et la Flandre (Belgique) a nommé Samuel Ekpo, un Nigérian, au poste de responsable des relations avec les églises migrantes et internationales.

Ma propre nomination en tant que professeur de missiologie à l’ETF, financée par une organisation missionnaire néerlandaise, et mon rôle d’enseignant à la PThU reflètent également ce qui se passe. Les Occidentaux se rendent compte que s’ils veulent contribuer au développement du christianisme mondial, ils doivent faire en sorte que leurs propres établissements d’enseignement reflètent la diversité de l’Église de Dieu.

Pourriez-vous décrire votre propre communauté ?

En tant que pasteur de l’église Exceeding Grace Bible Church à Anvers, en Belgique, je sers auprès de migrants qui souhaitent vivre ensemble leur foi. Les 70 personnes qui nous rejoignent régulièrement reflètent une grande diversité ethnique. Ils sont originaires de la RDC, du Tchad, du Ghana, du Nigeria et du Cameroun. Nombre d’entre eux sont naturalisés Belges. Nous sommes parfaitement bilingues en anglais et en français.

Nous sommes tous Africains de par la couleur de notre peau, mais les cultures sont différentes. Lorsque nous nous réunissons ou prenons des décisions, nous avons des représentants de chacune de ces cultures, afin de montrer qu’en Christ nous ne faisons qu’un. Nous avons également des origines chrétiennes diverses : charismatiques, évangéliques, catholiques. Nous essayons de construire des ponts. C’est un travail constant.

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Indépendamment des différences culturelles internes, nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes que les migrants partout ailleurs en Belgique : l’intégration dans la société, la langue et le fait d’être considérés comme des étrangers qui ne sont pas tout à fait à leur place.

Quelle est l’histoire des églises de migrants en Belgique ?

En tant qu’ancienne puissance colonisatrice de la RDC, la Belgique a fait venir des étudiants congolais pour étudier dans les universités belges avant même l’indépendance de la RDC en 1960, avec l’intention d’en faire l’élite politique qui façonnerait le pays. Mais certains n’y sont pas retournés. La première église de migrants à Bruxelles a été créée dans les années 1980 avec le soutien de Campus Crusade for Christ. En raison de sa politique libérale à l’égard des demandeurs d’asile, la Belgique a ensuite attiré d’autres migrants africains tels que les Rwandais pendant le génocide de 1994 ou les Africains de l’Ouest fuyant la crise économique dans leur pays d’origine.

Les responsables des églises de migrants ont commencé à s’intégrer dans diverses organisations ecclésiastiques, comme l’Alliance évangélique belge. Plus récemment, une association a été créée pour permettre aux pasteurs d’origine africaine et caribéenne de se rencontrer et de s’encourager. Dans le nord de la Belgique en particulier, on trouve des églises de migrants dans presque toutes les villes, généralement affiliées à des associations évangéliques et pentecôtistes locales. La présence d’églises de migrants a revivifié l’ensemble du christianisme protestant dans ce pays majoritairement catholique.

Quels sont les différents types d’églises que l’on rencontre en Belgique ?

Dans mon enseignement, je décris quatre catégories. Il y a les églises de migrants, définies sur la base de leur composition ethnique et de leur différence par rapport à leur contexte d’accueil. D’autre part, il y a les églises autochtones, bien que j’entende rarement mes collègues flamands qualifier leur église de la sorte. Pour eux, il s’agit simplement de leur église d’origine.

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Troisièmement, il y a des églises multiculturelles, où une église autochtone ouvre ses portes à d’autres rassemblements plus culturels en son sein. Vous pouvez avoir un pasteur européen à la tête de l’ensemble, mais on organise un rassemblement de Philippins le mercredi ou un groupe d’Africains se réunit le vendredi. Ils ont leurs propres activités pendant la semaine et se retrouvent tous ensemble le dimanche. C’est une bonne chose, mais cela soulève des questions quant à la réalité de la multiculturalité de l’église dans ses organes de gouvernance. Les personnes de couleur peuvent-elles prendre la parole à d’autres moments que lors d’un dimanche de la mission ? La vision est souvent sapée par le manque de diversité dans la structure de direction elle-même.

Enfin, il existe des églises internationales, qui utilisent exclusivement l’anglais et attirent principalement des professionnels liés à l’OTAN, à l’Union européenne, aux ambassades occidentales ou aux grandes entreprises. Comme elles sont économiquement indépendantes et capables de subvenir à leurs besoins, elles n’accordent pas la priorité aux contacts avec les communautés chrétiennes locales. La direction est exclusivement blanche. Elles servent elles aussi un groupe spécifique d’immigrés, mais comme il s’agit de diplomates ou de cadres d’entreprise représentant l’échelon supérieur de la société, on ne les présente pas comme des églises de migrants.

Joseph Bosco Bangura enseigne à la Faculté de théologie évangélique de Louvain (ETF) en Belgique.
Image: fournie par Joseph Bosco Bangura

Joseph Bosco Bangura enseigne à la Faculté de théologie évangélique de Louvain (ETF) en Belgique.

Pourquoi est-il si difficile pour les églises multiculturelles d’avoir une direction multiculturelle ?

L’idée d’avoir des responsables qui représentent la multiculturalité de l’Église est un excellent objectif. J’aimerais penser qu’une telle église serait un bon exemple de ce que nous vivrons au paradis. Mais il est très compliqué d’y parvenir, et de nombreuses questions doivent être abordées.

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Il y a une vingtaine d’années, l’International Baptist Church d’Anvers se portait bien sous la direction de ses fondateurs européens. Lorsque l’église a été confiée à des responsables africains, le nombre d’Européens a lentement diminué en raison de préoccupations liées au fait que l’enseignement biblique n’était pas suffisamment solide sur le plan théologique.

Actuellement, la question de la migration est très polarisante dans la sphère politique. Cela affecte les perceptions des chrétiens et leur capacité à collaborer les uns avec les autres.

On reproche parfois aux églises de migrants de ne s’intéresser qu’aux personnes de leur propre ethnie et d’entretenir une ségrégation au sein du corps du Christ. Que pensez-vous de cette critique ?

En 2003, Jan Jongeneel avançait que lorsque des communautés religieuses émigrent, la première étape, en particulier pour la première génération, consiste à se tourner vers l’intérieur et à répondre aux besoins des membres de cette communauté. Vous devez disposer d’une base à partir de laquelle partir en mission. Nous devons donner aux nouvelles églises de migrants le temps de redéfinir leur identité en fonction de leur statut dans leur nouvelle société.

Les églises de migrants tentent de répondre à un besoin missionnaire. Ce n’est pas rendre justice à leur cause que de se concentrer sur les contrastes avec d’autres églises. Voyons plutôt comment les différents types d’églises peuvent collaborer pour atteindre l’Europe pour le Christ.

Comment encouragez-vous les chrétiens migrants à s’intégrer dans la culture qui les entoure ?

Dans mon église, nous encourageons les familles à inscrire leurs enfants aux cours de religion protestante proposés dans les écoles primaires et secondaires de Belgique. Cela leur donne une idée de la manière dont les protestants de Belgique conçoivent la foi. Il est de plus en plus courant de voir des personnes qui me ressemblent enseigner cette matière. En avril, j’organiserai un séminaire pour 400 enseignants, où je parlerai de la religiosité africaine et de la manière dont elle peut contribuer à revitaliser l’enseignement religieux dans les écoles. C’est une ouverture importante.

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J’encourage également mes collègues africains à se rendre dans des communautés évangéliques ou pentecôtistes locales. Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur tout, mais nous sommes une minorité et nous ne pouvons pas nous permettre de rester chacun de notre côté. Nous devrions nous réunir pour partager nos ressources et nous encourager mutuellement. Cela pourrait aider la mission non seulement en Belgique, mais aussi depuis la Belgique vers les pays dont nous sommes originaires. Par exemple, si une église locale belge souhaite partir en mission en Sierra Leone, je pourrais lui fournir des informations utiles avant qu’elle ne se rende sur le terrain.

Comment voyez-vous l’impact de la culture belge sécularisée sur la deuxième génération de migrants africains ?

En 2020, j’ai publié un chapitre sur cette question. Les enfants de migrants n’apprécient pas toujours la spiritualité de leurs parents. Ils sont également confrontés à une crise d’identité. Leurs parents ne les considèrent pas comme des Africains à la maison, mais ils sont considérés comme tels à l’école. La collaboration avec les églises autochtones peut contribuer à répondre à certains de leurs besoins et les aider à se décider pour Christ.

Les parents migrants de la première génération sont souvent en difficulté pour comprendre les défis auxquels est confrontée la deuxième génération, car ils portent encore en eux la formation spirituelle qu’ils ont reçue en Afrique. Par exemple, une jeune femme qui avait terminé ses études secondaires ressentait la pression de la vie académique — de la part de ses pairs et de ses parents — et a voulu prendre une année sabbatique. Elle voulait simplement se rafraîchir l’esprit et éviter le burn-out, mais ses parents ont conclu que le diable l’influençait. Comment ces parents peuvent-ils interpréter ces phénomènes psychologiques d’une manière qui soit bénéfique pour leurs enfants ? C’est une réelle lutte. J’espère que nous pourrons trouver des solutions.

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Comment résumeriez-vous la manière dont les chrétiens devraient réfléchir au rôle des migrants dans la mission de l’Église ?

Pendant longtemps, les communautés chrétiennes de migrants ont été décrites à travers le prisme des autres, les communautés locales autochtones qui sont toujours en position de domination culturelle. Mais nous sommes nous-mêmes des agents missionnaires actifs, qui contribuent à façonner la trajectoire de la mission dans une culture sécularisée. Je me réjouis que l’ETF s’investisse dans de nouvelles approches de la mission.

Lorsque j’ai commencé à étudier la théologie en 1993, la relation entre la migration et la mission n’était pas à l’ordre du jour. Par conséquent, je n’étais pas bien préparée lorsque j’ai dû migrer. Nous devrions préparer les gens à ce que, où que le Seigneur les emmène, pour quelque raison que ce soit, ils puissent considérer leur migration comme un encouragement de Dieu à répandre l’Évangile dans de nouveaux lieux et parmi des personnes qui ont quitté la foi ou ne sont pas chrétiennes.

Puisque vous travaillez à rassembler des chrétiens de cultures diverses, que me serviriez-vous si je venais manger chez vous ?

Nous commencerions par une soupe belge, puis un plat de riz africain épicé et de feuilles de manioc, et nous terminerions par un pudding belge classique au chocolat, le tout servi sur une table décorée d’une nappe africaine tressée.

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