Pour la remise de mon diplôme de fin d’études, mon père a fait le voyage du Texas au Minnesota. Lors d’un rassemblement précédant la cérémonie, il discutait avec mon référent des travaux de celui-ci dans le domaine de l’herméneutique biblique. « Mais », demanda-t-il, perplexe, « est-ce que vous ne lisez pas simplement la Bible pour la comprendre ? Ne signifie-t-elle pas simplement ce qu’elle dit ? »

Sept ans plus tard, [en février de cette année,] la candidate républicaine à la présidence Nikki Haley lançait sa campagne en prononçant un discours introduit par le télévangéliste, auteur et activiste John Hagee. Après avoir commencé par une prière, celui-ci a fait l’éloge de Haley, qui brigue le poste de commandant en chef des États-Unis, en la qualifiant de « défenseuse d’Israël ».

À la même époque, je travaillais sur un article concernant le scepticisme des évangéliques américains à l’égard de l’origine humaine des changements climatiques. La question inévitable à laquelle je tentais de répondre était celle-ci : les évangéliques pensent-ils qu’il est normal de maltraiter la terre parce que nous attendons tous l’enlèvement ? Comme le formulait l’animateur de la chaîne Fox News Sean Hannity en 2022, « si [le monde] doit vraiment prendre fin dans 12 ans, au diable tout cela ! Faisons une grande fête pour les dix dernières années, et ensuite nous rentrerons tous à la maison pour voir Jésus. »

Le lien entre ces trois sujets est le thème d’un nouvel ouvrage perspicace de Daniel G. Hummel : The Rise and Fall of Dispensationalism: How the Evangelical Battle over the End Times Shaped a Nation (« L’ascension et la chute du dispensationalisme : comment la bataille évangélique sur la fin des temps a façonné une nation »). Le dispensationalisme est souvent réduit à son aspect eschatologique, mais comme le démontre Hummel dans son étude sur les deux siècles de son développement ecclésial, scientifique, politique et culturel, « la fin des temps n’est qu’une dimension de la théologie du dispensationalisme et de son héritage plus large ».

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Qu’il s’agisse du modèle d’interprétation biblique invoqué par mon père se référant au « simple sens » du texte, du présupposé de Hagee selon lequel le soutien à l’État d’Israël est une qualification clé pour la présidence américaine, ou de l’idée largement répandue que les évangéliques ne se soucient pas d’une planète que nous nous attendons à voir consumée, si quelque chose de ce genre vous est familier, dit Hummel, « alors vous avez été exposé à des schémas de pensée qui ont été profondément façonnés par le dispensationalisme ».

La thèse de son ouvrage est ambitieuse : Hummel affirme que le dispensationalisme n’a pas seulement façonné le fondamentalisme ou l’évangélisme américain, mais les États-Unis dans leur ensemble. Aujourd’hui encore, écrit-il, le dispensationalisme reste « l’une des traditions religieuses américaines les plus persistantes et les plus populaires, une tradition qui enseignait aux chrétiens d’attendre avec impatience la venue d’un royaume de Dieu qui effacerait les royaumes guerriers des hommes, mais pas maintenant ».

Mais cette école de pensée s’est également propagée bien au-delà des murs de l’Église, à tel point que « les Américains de toutes origines » ont « une vision fondamentalement prémillénariste de l’avenir », une attente sécularisée « d’un déclin de la cohésion sociale et de menaces existentielles croissantes qui se termineront par une catastrophe induisant un changement d’ère ». En tant qu’école de théologie formelle, le dispensationalisme a fortement décliné au cours des 50 dernières années. Mais en tant que force culturelle et politique, son influence est plus forte que jamais. En ce sens, nous sommes tous aujourd’hui un peu dispensationalistes.

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Cinq traits distinctifs

Le livre de Hummel est fouillé, mais facile d’accès. Il écrit dans une prose claire et accessible aux lecteurs non spécialistes et son intérêt pour le dispensationalisme n’est pas seulement académique. Élevé dans une famille dont les étagères théologiques étaient garnies d’auteurs dispensationalistes, il travaille aujourd’hui pour une organisation universitaire chrétienne à l’université de Wisconsin-Madison et a déjà écrit pour notre magazine.

Bien qu’il ne soit pas dépourvu de perspective d’auteur, cet ouvrage n’est donc pas fondamentalement polémique. Il ne prend pas non plus le ton de l’anthropologue cultivé bravant l’arrière-pays fondamentaliste. Hummel n’est jamais méprisant à l’égard de ses sujets, mais il ne tente pas de dédouaner certaines idées de liens avec le dispensationalisme que leurs adeptes pourraient trouver embarrassants. Rise and Fall est un livre bien fait et sa « grande contribution », comme l’écrit l’auteur de The Scandal of the Evangelical Mind, Mark A. Noll, dans une préface élogieuse, « est de prendre une histoire que “tout le monde connaît” et de montrer que ce que “tout le monde connaît” effleure à peine la surface ».

Cette histoire commence par la définition de la portée du dispensationalisme en tant que théologie. Dans l’esquisse de Hummel, il se distingue par cinq traits principaux, avec en premier lieu sa fameuse chronologie de la fin des temps : l’enlèvement, la tribulation, l’antichrist, la préservation divine d’un reste d’Israël, le second avènement, Armageddon, l’enchaînement de Satan, le règne de 1000 ans du Christ à partir de Jérusalem, une seconde défaite de Satan, le jugement dernier et une éternité de félicité avec Dieu — pour les principaux événements.

Quels sont les autres traits du dispensationalisme ? Le dispensationalisme tire son nom de l’élément qui s’est avéré le moins influent dans la culture américaine en général : sa théorie du temps, qui divise l’histoire humaine en « une série de dispensations qui se concluent inévitablement par l’incapacité des humains à remplir leurs obligations envers Dieu ». Dans la plupart des approches, il y a sept dispensations au total, et nous sommes au bout de la sixième. La théorie du système dispensationaliste à propos de l’humanité est étroitement liée à cela : elle est strictement divisée entre deux peuples de Dieu d’une part — l’Église et Israël, dont les objectifs célestes et terrestres respectifs sont à jamais distincts — et « les nations » d’autre part, soit tous les autres.

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Le dispensationalisme comprend également « une herméneutique biblique propre ». Cependant, celle-ci a évolué au fil du temps, de premiers investissements « dans les lectures symboliques, allégoriques et typologiques de l’Écriture » jusqu’à l’insistance des 20e et 21e siècles sur les lectures « simples », « de bon sens » ou « littérales » qui tend à « assimiler les lectures non littérales des textes prophétiques à un rejet de l’inerrance ».

Finalement, le dispensationalisme a une approche distincte du salut, un élément qui rivalise avec son eschatologie dans son influence sur les idées populaires au sein du mouvement évangélique. Ce modèle de la « grâce gratuite » est à l’arrière-plan de l’accent sur la « prière du pécheur » à prononcer une fois pour toutes ou de l’idée d’« accepter Jésus dans son cœur » aux pieds de quelque évangéliste. Comme l’explique Hummel, le système « a abaissé la barre du salut à tout juste un peu plus que l’assentiment mental d’un moment donné à l’affirmation selon laquelle Jésus est Sauveur » et a bouleversé « les compréhensions américaines plus larges de la notion de “nouvelle naissance” ».

Une fois cette description posée, Hummel passe à l’histoire proprement dite. Il retrace le développement du dispensationalisme en partant des prédicateurs des Frères de Plymouth comme John Nelson Darby dans l’Irlande rurale, passant ensuite par les églises institutionnelles comme le complexe Moody de Chicago pendant l’ère de la reconstruction et l’âge doré [d’après la guerre de Sécession], jusqu’aux controverses entre fondamentalistes et libéraux du début du 20e siècle et l’essor au milieu de ce siècle de ce que nous appelons aujourd’hui l’évangélisme. (Notre magazine fait quelques apparitions dans le récit, et Billy Graham, notre fondateur, y tient une bonne place.)

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La seconde moitié de cette chronologie, à partir de 1920 environ, sera certainement la plus intéressante pour bon nombre de lecteurs, ou du moins ceux qui abordent le livre en tant qu’observateurs du monde évangélique contemporain. Faisant apparaître de nombreux personnages qui façonnent encore activement les États-Unis, on a là un compte-rendu accablant de la popularisation du dispensationalisme. Le dispensationalisme vulgarisé que la plupart des Américains connaissent aujourd’hui a été façonné, selon Hummel, « non pas par des théologiens, mais par des personnes théologiquement peu intéressées ou analphabètes », ce qui a eu des effets délétères sur le mouvement évangélique et sur la société américaine dans son ensemble.

La cohérence politique du dispensationalisme au fil des décennies est particulièrement frappante. Le terme même de conservateur en tant qu’étiquette à la fois politique et théologique, aujourd’hui très ancrée dans nos réalités, a des racines dispensationalistes. Le concept de « système mondial » (« world system »), utilisé par une ancienne génération de dispensationalistes pour désigner « les institutions, organisations et pouvoirs structurels interdépendants dirigés par les élites qui ont gouverné le monde » — n’a pas changé depuis cent ans. Les accents de l’évangéliste Billy Sunday qui insistait en 1918 pour dire que « aucun homme ne peut être fidèle à son Dieu sans être fidèle à son pays » trouveraient aisément leur place dans de nombreux discours de campagne républicains de 2024. En 1923, la prédicatrice pentecôtiste Aimee Semple McPherson devançait de loin la franchise Dieu n’est pas mort avec un sermon intitulé « Le procès du professeur d’université libéral moderne contre le Seigneur Jésus-Christ ».

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Même la dernière mode conspirationniste de droite [à propos d’un prétendu futur envisagé par le Forum économique mondial] — Vous ne posséderez rien. Et vous serez heureux. Vous mangerez les insectes. Vous vivrez dans une capsule. — était préfigurée par l’auteur de la série de romans Left Behind, Tim LaHaye, qui affirmait en 1983 que l’objectif des « Illuminati, des Bilderbergs, du Council on Foreign Relations et, plus récemment, de la Commission trilatérale » était de « réduire le niveau de vie dans notre pays afin qu’un jour les citoyens américains fusionnent volontairement avec l’Union soviétique ». Le « pop dispensationalisme » a offert dans les générations précédentes « un sens cosmique à la mobilisation des électeurs chrétiens », observe Hummel, et il en va de même aujourd’hui.

Trois questions

Les derniers chapitres de l’ouvrage ramènent son récit à des souvenirs très récents et me laissent avec trois grandes questions : l’une qu’il soulève et deux autres que j’aurais aimé qu’il aborde au moins brièvement.

La première de cette seconde catégorie est d’ordre historique. Hummel indique clairement que la question des précédents théologique est depuis longtemps un point de discorde autour du dispensationalisme en général et de la doctrine de l’enlèvement en particulier. Dès le début, Darby « insista sur le fait que [ses innovations] étaient des redécouvertes plutôt que des nouveautés », et jusqu’à la fin du 20e siècle, les dispensationalistes et leurs détracteurs « s’accusèrent mutuellement de manquer de précédents prémodernes […] les deux parties revendiquant le soutien des premiers pères ».

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Comme le note Hummel, le reconstructionniste chrétien Gary North, aujourd’hui décédé, encouragea des recherches « visant à discréditer les origines de [la doctrine de] l’enlèvement en les faisant remonter à une adolescente mentalement instable, Margaret MacDonald, qui eut des visions en 1830, et à qui John Nelson Darby aurait volé l’idée d’un enlèvement imminent ». Hummel qualifie cette histoire d’origine de « théorie du complot [que] des experts impartiaux ont jugée […] improbable », mais il ne précise pas comment Darby est arrivé à l’idée de l’enlèvement ni dans quelle mesure ses affirmations sur la longue histoire théologique de cette doctrine sont fondées.

Deuxièmement, Hummel montre comment les bouleversements politiques passés ont joué un rôle dans le changement de la perspective américaine dominante sur la fin des temps. Par exemple, « l’époque du consensus postmillénariste [parmi les chrétiens américains] a pris fin dans les années 1860 », écrit-il, car « de nombreux évangéliques ayant vécu la [guerre civile] et ses conséquences » ont estimé que « la correction des maux sociaux modernes [était] une entreprise trop difficile et, en tout état de cause, une tâche secondaire par rapport à l’évangélisation ». Contre le dispensationalisme, cependant, certains membres de la première droite religieuse, estimant que la victoire politique était à portée de main, « rejetaient l’idée d’un enlèvement imminent et d’un royaume futur, qu’ils considéraient comme incompatibles avec une l’urgence de leur organisation politique ».

Mais Hummel ne se demande pas si un changement comparable n’est pas en train de se produire à mesure que le nationalisme chrétien et d’autres idéologies illibérales gagnent du terrain. Si vous avez un nouvel espoir d’établir une gouvernance explicitement chrétienne, que vous croyez (comme l’a dit l’ancien président Donald Trump en mars) que la prochaine élection présidentielle est « la bataille finale » pour l’Amérique, que vous vous attendez sincèrement à « reprendre » votre pays, y a-t-il de la place pour l’enlèvement de l’Église dans votre plan décennal ? Le sociologue Samuel Perry a émis l’hypothèse sur Twitter que « nous pourrions assister à une recrudescence du postmillénarisme dans les cercles de la droite chrétienne, car le postmillénarisme fournit une meilleure justification aux objectifs nationalistes chrétiens que la vision prémillénariste dominante ». J’ai eu l’occasion de m’entretenir de ce sujet avec Perry et Hummel pour un autre article.

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Finalement, Rise and Fall se termine par une observation stimulante :

Dans le sillage de l’effondrement du dispensationalisme [académique], la vision eschatologique de l’Église américaine s’est brouillée. « Bien », pourraient s’exclamer les détracteurs du système : mieux vaut une vision vague qu’une vision erronée. Pourtant, l’histoire du dispensationalisme ne permet pas de porter un jugement aussi simple.

Le vide théologique laissé par le dispensationalisme — l’une des rares tentatives soutenues de créer un système théologique fondamentaliste au vingtième siècle — n’est pas resté vide. Les évangéliques, et plus largement les Américains, n’ont fait que multiplier les spéculations apocalyptiques depuis l’effondrement de la théologie dispensationaliste dans les années 1990. Les vestiges du dispensationalisme populaire ont été projetés dans un océan d’apocalyptiques déchaîné mêlant prophètes de la fin de l’anthropocène, extrémistes de la théorie du remplacement, trolls de QAnon, pessimistes technologiques et néo-malthusiens.

Malgré tous les problèmes que l’apocalyptique théologique a posés au 20e siècle, il est probable que l’apocalyptique irréligieuse du 21e siècle s’avérera encore plus problématique.

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En tant que sceptique du dispensationalisme, c’est une question à laquelle je vais devoir réfléchir : Les chrétiens sont-ils mieux lotis après la chute du dispensationalisme qu’avant ?

En d’autres termes, sommes-nous passés à une vision vague, fidèle et fructueuse de la fin des temps, ou avons-nous plutôt plongé dans un océan de visions trompeuses ? Attendons-nous sincèrement le retour du Christ, peu importe le calendrier ? Quels que soient leurs défauts, les dispensationalistes n’ont jamais manqué de redire avec ferveur : « Viens, Seigneur Jésus. »

Bonnie Kristian est directrice éditoriale pour les idées et les livres chez Christianity Today. Elle est l’autrice de Untrustworthy : The Knowledge Crisis Breaking Our Brains, Polluting Our Politics, and Corrupting Christian Community .

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