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Déplacés de la frontière israélienne, les chrétiens libanais peinent à savoir qui blâmer.

À cause d’affrontements avec le Hezbollah qui menacent d’étendre la guerre d’Israël contre le Hamas, les presbytériens et baptistes locaux sont affectés par une guerre qui n’est pas la leur.
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Déplacés de la frontière israélienne, les chrétiens libanais peinent à savoir qui blâmer.
Image: Hussein Malla/AP Images
De la fumée s’élève d’une position de l’armée israélienne, attaquée par des combattants du Hezbollah, près de la frontière libanaise avec Israël.

Du haut de la chaire, Rabih Taleb porte le regard sur son assemblée d’une trentaine de croyants dans l’église évangélique presbytérienne d’Alma al-Shaab, située dans le sud du Liban, à moins d’un kilomètre du nord-ouest d’Israël. Tous sont choqués. La veille, des terroristes du Hamas ont tué 1 200 Israéliens, pour la plupart des civils, à 200 km au sud, à la frontière de Gaza.

Ce dimanche matin, 8 octobre, le Hezbollah, la milice chiite libanaise, désignée comme entité terroriste par de nombreux gouvernements, a tiré des roquettes sur l’enclave contestée des fermes de Sheba, occupée par Israël, mais revendiquée par le Liban. De son côté, Israël entame sa campagne de bombardements massifs contre le Hamas à Gaza, touchant également des positions du Hezbollah à 50 km à l’est d’Alma al-Shaab.

Quelques familles de l’église ont immédiatement pris la fuite, notamment l’ancien qui conduit habituellement la louange, laissant l’assemblée chanter a cappella. Les familles présentes au culte veulent rentrer chez elles au plus vite, pour se préparer au pire. Elles ont prié le pasteur d’écourter le service, mais le sujet du sermon du jour — le deuxième d’une série sur la foi réformée — semble avoir été divinement orienté. Le pasteur traite du péché originel, de la souffrance et de la douleur.

« Mes paroissiens me posent la question : « Pourquoi sommes-nous toujours confrontés à ces difficultés ?Nous sommes des croyants. Pourquoi y a-t-il toujours des guerres, des guerres, des guerres ? », nous rapporte Rabih Taleb.

Au cours de ces 50 dernières années, ces croyants auraient été déplacés à sept reprises.

Alma al-Shaab, l’un des douze villages entièrement chrétiens situés près de la frontière israélienne, comptait environ 700 habitants. Aujourd’hui, avec les tensions à la frontière, il n’en reste qu’une vingtaine, dont le prêtre catholique maronite. C’est lui qui dirige les offices lors des accalmies dans les combats, accueillant désormais toutes les confessions ensemble.

Rabih Taleb et sa famille ont quitté Alma al-Shaab le 9 octobre. Une bombe était tombée dans un champ à trois minutes de route de leur église, ébranlant leur presbytère. Une grande partie des 40 familles presbytériennes se sont installées chez des parents à Beyrouth. D’autres familles ont fui à l’intérieur du Liban vers les villes de Sidon ou de Tyr, dont les noms sont familiers aux lecteurs de la Bible. Le synode local, chapeautant sept églises presbytériennes près de la frontière avec Israël, a également ouvert son centre de retraite à Zahlé dans l’éventualité d’une nouvelle escalade dans les conflits.

À l’heure actuelle, seules trois familles sont restées sur place.

Taleb est retourné dans son village natal de Minyara, à environ 200 km au nord, près de la frontière syrienne. Mais chaque jour, il prend des nouvelles de son assemblée dispersée, et tous les 7 à 10 jours, si la situation le permet, il retourne à Alma al-Shaab.

Tandis que la guerre fait ouvertement rage à Gaza, Israël et le Hezbollah entretiennent entre eux un conflit de moindre intensité, chacun veillant à éviter l’escalade. Les analystes estiment qu’Israël ne veut pas ouvrir un second front. Le Hezbollah reste prudent, car Israël a menacé, avant la guerre, de « ramener par ses bombes le Liban à l’âge de pierre » en cas de confrontation.

Israël a déjà évacué 42 villages du nord, près de la frontière libanaise, limitant les pertes israéliennes à sept soldats et trois civils. Entre-temps, au moins 70 combattants du Hezbollah ont été tués, ainsi qu’au moins 10 civils libanais. Près de 30 000 Libanais ont été déplacés.

« Nous sommes au cœur d’un combat qui n’est pas le nôtre », nous dit Taleb. « Pour nous, les Palestiniens ont le droit de vivre librement, mais ce n’est pas notre rôle de les soutenir dans la guerre. »

Ce sentiment correspond à celui de la plupart des citoyens libanais. Une enquête récente a révélé que 74 % d’entre eux rejettent l’affirmation selon laquelle « le Hamas a déclenché la guerre et pris pour cible des civils, ce qui légitime la riposte d’Israël ». Les griefs d’Israël envers le Hamas remontent en effet pour beaucoup à bien avant le 7 octobre. Néanmoins, 61 % des personnes interrogées rejettent la participation du Hezbollah à la guerre et 74 % estiment que leur pays devrait rester neutre.

Les combats ont déjà causé des dégâts importants à l’agriculture locale, rapporte le coordinateur humanitaire des Nations unies au Liban. Les données satellitaires font état de 400 incendies dans les terres agricoles entourant Alma al-Shaab et un professeur libanais de l’université de Balamand parle d’environ 440 ha de forêts du sud qui auraient brûlé. Le ministre de l’Agriculture dénombre 40 000 oliviers détruits en pleine saison des récoltes. Le ministre de l’Environnement, de son côté, estime les dégâts à 20 millions de dollars.

Un paroissien presbytérien est resté à Alma al-Shaab pour aider à lutter contre les incendies.

Un autre, ancien de l’église témoigne, sous couvert d’anonymat en raison des risques encourus dans cette région contrôlée par le Hezbollah, qu’il peut se débrouiller pour survivre, mais pas pour reconstruire ce qui a été détruit. « Je ne blâme personne. Je ne suis pas un politicien. Je suis juste une victime. »

Sa ferme a été détruite, ainsi qu’une dizaine d’autres maisons du village. Selon lui, l’une des explosions a été provoquée par une roquette palestinienne du Hamas. Aujourd’hui déplacé à Beyrouth, il ne sait pas combien de ses quelque 100 oliviers et 200 avocatiers ont été endommagés. Mais, comme un missile israélien a détruit le réservoir d’eau du village, il sait que ses arbres ne tiendront pas le coup.

Église presbytérienne d’Alma al-Shaab
Image: Fournie par Rabih al-Taleb

Église presbytérienne d’Alma al-Shaab

Selon un professeur de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), la réhabilitation de la terre pourrait prendre des décennies.

Un deuxième ancien de l’église accuse le Hezbollah et Israël. Mais il s’en veut surtout à lui-même d’être resté sur la terre de ses ancêtres. En effet, sa maison avait déjà été détruite lors de la guerre frontalière de 2006. Un combattant du Hezbollah avait tiré des roquettes depuis le toit et s’était fait descendre par un hélicoptère israélien. Avec son maigre salaire, le propriétaire a réussi à reconstruire sa maison abattue. Il y a installé des caméras et sait, au moins, qu’elle est toujours debout. Mais après avoir vu deux jeunes hommes essayer d’entrer par effraction chez lui — probablement pour se cacher des Israéliens — il est rentré pour renforcer les serrures.

« Quel profit la Palestine tire-t-elle de tout cela ? » demande-t-il. « Nous voulons simplement la paix avec les juifs, avec les musulmans, avec tout le monde. »

Exprimer son désir de paix avec l’État d’Israël est toutefois une position controversée au Liban. La nation méditerranéenne reste techniquement en état de guerre avec ce qu’elle appelle souvent « l’entité sioniste », qui l’a envahie en 1978 et 1982 pendant la guerre civile libanaise. Un de nos interlocuteurs, également déplacé à Beyrouth, vit dans une maison qu’il a achetée à l’époque pour éloigner ses fils du recrutement par Israël de jeunes hommes chrétiens pour sa milice libanaise.

L’occupation israélienne des régions méridionales n’avait pris fin qu’en 2000, lorsqu’Israël s’était retiré sous la pression d’une résistance naissante dirigée par le Hezbollah. Son secrétaire général, Hassan Nasrallah, avait fait, à l’époque, l’éloge des villages frontaliers pour avoir accueilli ses combattants djihadistes à bras ouverts et supporté le poids des déplacements et des deuils.

À côté des presbytériens, d’autres évangéliques font face à ces épreuves et s’engagent dans l’aide humanitaire.

Le petit village chrétien de Deir Mimas, situé à 40 km au nord-est d’Alma al-Shaab, comptait autrefois environ 1 000 habitants. La guerre de 2006 l’a réduit à environ 350 âmes. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une centaine. Lors du dernier conflit, la maison du pasteur baptiste Maroun Shammas a été endommagée par les bombardements israéliens et les terres cultivables environnantes ont été touchées par quelques frappes. Le pasteur et 9 des 12 familles de l’église se sont réinstallés ailleurs.

Shammas affirme n’avoir aucun problème avec ses voisins musulmans. Ancien enseignant dans le village chiite voisin de Kafr Killa, il raconte que, comme d’autres chrétiens, il entretenait des amitiés avec des croyants d’autres confessions et interagissait librement avec tous les groupes religieux libanais.

« Les chiites sont des villageois, des gens normaux comme nous », explique Shammas. « Mais personne ne nous demande notre avis sur la guerre dans le sud. C’est Satan le fautif. »

Dommages à une maison d’Alma al-Shaab
Image: Fournie par Rabih al-Taleb

Dommages à une maison d’Alma al-Shaab

L’église baptiste de Deir Mimas s’est associée à des œuvres évangéliques locales pour fournir des kits alimentaires à 40 familles du village et couvrir les frais de scolarité de 20 autres familles. En coordination avec la municipalité, des organisations locales ont pu se mettre à l’œuvre : Horizons a pu étendre son soutien alimentaire local à presque toutes les personnes qui sont restées, tandis que Thimar assiste les familles déplacées.

« Ce n’est pas la première fois que nous quittons ce lieu, mais, à chaque fois, nous revenons pour poursuivre notre mission », explique Shammas. « Dieu veut que nous aidions les gens à le connaître. »

Selon certaines sources, les évangéliques jouissent d’une bonne réputation dans le sud du pays, dominé par les chiites, grâce à l’aide humanitaire qu’ils ont apportée aux personnes déplacées pendant la guerre de 2006. L’organisation Heart for Lebanon (HFL), créée à l’époque, continue d’aider les chrétiens et les musulmans de la région.

En octobre, HFL a distribué des kits alimentaires et des produits d’entretien à 340 familles dans huit localités du sud, dont Alma al-Shaab, Deir Mimas et les villages sunnites et chiites voisins. En novembre, l’aide s’est étendue à 15 localités, y compris à des foyers de croyants en Jésus d’arrière-plan musulman.

Le Liban soutient la liberté de religion et le caractère interconfessionnel de ces aides évite les controverses inutiles.

Il en va de même pour le message que veut faire passer l’association HFL. « Nous prions pour la paix et pour que la gloire de Dieu brille sur tous les peuples », nous dit Milad Nassar, responsable pour le sud. « Nous ne parlons pas de politique. »

De nombreux autres Libanais soupçonnent cependant Israël d’avoir de mauvaises intentions à l’égard du Hezbollah.

Les missiles pénètrent maintenant à près de 50 km à l’intérieur des terres israéliennes. Des frappes près de Haïfa, d’Acre et d’autres villes au-delà de la frontière ont été revendiquées par des unités du Hamas au Liban, et non par le Hezbollah. Mais nombreux sont ceux qui affirment qu’aucune unité ne peut agir indépendamment de la milice chiite.

« Dans la chaîne d’actions et de réactions », déclare un analyste de l’université de Beyrouth, « il devient difficile de savoir qui est à l’origine de l’escalade. »

Mais d’autres analystes se demandent si Israël ne cherche pas à provoquer le Hezbollah pour justifier une attaque de grande envergure à son encontre — et peut-être attirer les États-Unis dans ce conflit. Deux groupes de porte-avions américains ont déjà été positionnés en Méditerranée orientale pour dissuader toute agression parrainée par l’Iran. Le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, aurait mis en garde son homologue israélien contre l’idée de s’en prendre au Liban. Israël, de son côté, nie toute intention offensive.

Rabih Taleb, lui, choisit de ne blâmer personne, mais de suivre son « modèle », Jésus.

Selon lui, « jl s’agit d’un cycle. Aucune des deux parties ne peut détruire l’autre. Nous avons besoin qu’elles trouvent un moyen de vivre en paix, afin que nous puissions vivre en paix. »

Il explique à ses fidèles désorientés que cette souffrance n’est pas une punition de Dieu pour leurs péchés. La Croix leur assure l’amour de Dieu et ils ne doivent pas garder cette vérité pour eux seuls. Si les auteurs de l’Écriture avaient agi de la sorte — la plupart d’entre eux ayant également beaucoup souffert — nous n’aurions pas la Bible aujourd’hui.

D’après le pasteur, c’est maintenant à leur tour de faire connaître ces réalités autour d’eux, en bâtissant des ponts fondés sur l’amour et la solidarité.

La chose n’est pas facile. À chaque voyage à Alma al-Shaab, Taleb se demande s’il est bien sage de retourner dans cette zone dangereuse. Mais ce n’est pas tant la fourniture de kits alimentaires qui le motive, c’est la vie avec Dieu qu’il souhaite que d’autres puissent connaître.

Taleb prie avec le prêtre maronite et les chrétiens restés sur place. Il boit du thé avec chacun. S’il n’y avait pas eu sa propre famille avec ses trois jeunes enfants, il serait peut-être resté au village. Après tout, son église presbytérienne est là depuis 1859.

Au lieu de cela, il parcourt le Liban, sans relâche, du nord au sud, pour visiter son troupeau dispersé.

« Il s’agit de vivre ce que nous croyons, de mettre en œuvre notre foi », dit Taleb. « Il s’agit de montrer aux gens que Dieu les aime, à travers nous, pour sa gloire. »

Traduit par Anne Haumont

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