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Les gangs haïtiens menacent au quotidien. Une Église a pris les armes.

Les évangéliques déplorent la situation de leur pays, mais se distancient de la contre-attaque d’un pasteur syncrétiste.
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Les gangs haïtiens menacent au quotidien. Une Église a pris les armes.
Image: Odelyn Joseph / AP
Des manifestants se rassemblent à Port-au-Prince, en Haïti.

Vijonet Déméro n’a guère de sympathie à l’égard du pasteur haïtien qui a entraîné sa communauté dans une confrontation mortelle avec des gangs locaux il y a une dizaine de jours.

« Il s’agissait d’une action absolument insensée », considère Déméro, responsable protestant et secrétaire général de l’Université INUFOCAD à Port-au-Prince, évoquant les paroles de Jésus à propos des aveugles conduisant des aveugles. « Pour moi, le pasteur a oublié son rôle de pasteur. Il n’est pas la police. »

Le pasteur au centre de la controverse s’appelle Marcorel Zidor, également connu sous le nom de Pasteur Marco, qui dirige l’Église Piscine de Bethesda, dans la banlieue nord du quartier de Canaan.

Le 26 août dernier, des membres de gangs ont ouvert le feu, tuant au moins sept personnes à l’aide d’armes automatiques, alors que Zidor et des membres de sa communauté s’approchaient du groupe avec la volonté d’en découdre.

Malgré les critiques des groupes de défense des droits de l’homme et des autres responsables chrétiens, et bien qu’il ait lui-même reconnu avoir subi des préjudices, Marcorel Zidor a défendu son action.

« Quatre-vingt-quinze pour cent de mes fidèles n’ont pas été blessés par les balles, même s’ils ont été touchés », a-t-il déclaré lors d’une interview en début de semaine. « Les personnes décédées sont celles qui ont couru se réfugier dans des maisons. S’ils n’avaient pas perdu la foi et s’ils avaient couru dans la même direction que le gros de la foule [des fidèles], ils ne seraient pas morts. »

Le ministère haïtien des affaires étrangères et des cultes a depuis suspendu la licence de l'Église, notant que de nombreux parents de victimes s'étaient présentés à l'Église Piscine de Bethesda pour exiger des réponses et des réparations. (Le ministère a dans le même temps souligné son engagement en faveur de la liberté religieuse.)

L’initiative de ce pasteur est intervenue dans une période où les Églises de l’ouest d’Haïti luttent pour garder leurs portes ouvertes. Les communautés ont réduit les rencontres du dimanche et les études bibliques et ont annulé des événements en soirée.

« Certains se rapprochent de Dieu parce qu’ils croient que lui seul peut faire quelque chose pour soulager la douleur », disait Samson Doreliens, pasteur d’une Église de 600 personnes, à Baptist Press. « D’autres sont découragés, se demandant pourquoi Dieu laisse toutes ces choses se produire dans le pays : violence, catastrophes naturelles, etc. »

La situation en Haïti est suffisamment grave pour que, même si le théologien haïtien Andrikson Descolines voit en Zidor un « zélote », il comprenne le désir du pasteur d’agir alors que les autorités qui sont censées intervenir ne peuvent ou ne veulent pas le faire.

« Les personnes désespérées prennent des décisions désespérées », dit Descolines, professeur au Séminaire théologique évangélique de Port-au-Prince (STEP). « Ce pasteur est une victime de la situation qui prévaut actuellement en Haïti. […] Les membres de son Église sont chaque jour en danger comme proies et victimes potentielles de membres de gangs, et le gouvernement ne fait rien. Il a pris le problème en main et a essayé de le résoudre en se basant sur sa compréhension des Écritures. »

Andrikson Descolines estime que l’initiative prise par Zidor et sa communauté n’est « ni courageuse ni stupide », mais que le pasteur n’a pas suffisamment réfléchi à son action.

Ni Vijonet Déméro ni Descolines ne décrivent la communauté en question comme évangélique. Ils la considèrent plutôt comme syncrétiste, combinant l’enseignement chrétien et les pratiques vaudou.

« Je suis en Haïti depuis 49 ans et c’est la première fois que je vois ce qui vient de se passer dans ce pays », dit Descolines. « Je n’ai jamais vu une chose pareille, où une bande de gens armés de leur foi et de machettes essayent de prendre l’ascendant sur des gangs équipés d’armes automatiques. »

Quelques jours après l’incident, la police nationale haïtienne a annoncé qu’elle allait ouvrir une enquête sur les responsables du massacre.

Dans un communiqué, Frantz Elbé, directeur général de la police, a décrit comment des centaines de personnes s’étaient rassemblées sur les lieux, dont beaucoup portaient des uniformes et des vêtements au nom de Zidor. Il a déclaré que la police avait créé un périmètre de sécurité, mais n’avait pas réussi à dissuader la foule.

« Les fidèles du pasteur croyaient vraiment à ce qu’il leur disait », a relaté François Vicner, l’un des participants, au New York Times. « Il leur a dit qu’ils étaient à l’épreuve des balles, que ceux qui étaient blessés n’avaient pas la foi. »

Dans une vidéo qui circule actuellement sur les réseaux sociaux haïtiens, le chef du gang, Jeff, interroge l’une des membres de l’Église kidnappées. Elle explique qu’elle attendait des nouvelles du programme d’immigration légale du président américain Biden et qu’elle était allée à l’Église pour prier et jeûner afin d’obtenir une réponse, lorsqu’elle a fini par se joindre à la marche pour affronter le gang.

Alors que la police s’efforce de repousser les bastions de nombreux gangs dans le pays, certains Haïtiens ont rejoint des groupes d’autodéfense citoyens connus sous le nom de « Bwa Kale ».

« L’Église n’a pas la responsabilité d’attaquer un gang », dit Déméro. « C’est la responsabilité de la police de le faire. En outre, la façon dont ils manifestent ne ressemble pas à une manifestation. Cela ressemble à une offensive contre les gangs. »

La situation sécuritaire d’Haïti s’est effondrée lorsque les forces de maintien de la paix de l’ONU ont quitté le pays en 2019, nous expliquait en 2021 David Shedd, ancien agent de la CIA et conseiller exécutif de VDI, une société régionale de conseil en sécurité bien respectée par les missionnaires. Peu après, un grand nombre d’agents de la police nationale haïtienne ont fait défection, et des Haïtiens fortunés se sont associés à des gangs en engageant des membres pour assurer leur protection.

Nous rapportions alors que « les gangs de la région de Port-au-Prince travaillent ensemble de manière informelle pour délimiter le territoire afin d’éviter de s’entretuer. Ils aident également leurs membres à éviter les points de contrôle de la police nationale et à se déplacer facilement dans la ville d’environ un million d’habitants. Les gangs continuent souvent à enlever des personnes dans des quartiers de la ville qui échappent au contrôle des autorités. »

« Je ne pense pas qu’il y ait une prise de conscience suffisante du pouvoir énorme et vicieux que ces gangs exercent », déclarait David Shedd.

Dans les jours qui ont suivi la confrontation de Marcorel Zidor et son Église avec le gang, Andrikson Descolines a noté qu’il y avait eu « beaucoup de fusillades dans [son] quartier ». Mais il estime que l’Église doit continuer à éviter la violence :

« Je ne peux pas encourager les gens à se comporter comme le font les membres de gangs. La Bible nous encourage à prier pour nos ennemis et surtout pour leur salut. La prière est donc la première réponse appropriée que nous puissions donner à ce qui se passe actuellement en Haïti. Nous devons garder les yeux fixés sur Dieu et promouvoir son amour à travers notre pays, jusqu’à ce que ceux qui sont payés pour gérer le pays correctement fassent leur travail. »

Vijonet Déméro, qui a été représentant en Haïti pour Bethany Christian Services, rejoint ces propos :

« Moi, en tant que chrétien, je prie. Je tente de sensibiliser le Premier ministre et ses ministres. J’enseigne à mon peuple à faire la différence, à agir et à servir différemment, à comprendre que Dieu contrôle la situation », dit-il en se référant à Exode 14.14 :

« L’Éternel combattra pour vous, et vous, tenez-vous tranquilles. » (BDS)

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[ This article is also available in English. See all of our French (Français) coverage. ]

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