Imaginez-vous dans la peau d’Indiana Jones, traversant l’étroite gorge du Siq, longue de près d’un kilomètre, de hautes falaises s’élevant de part et d’autre. Soudain, derrière un tournant, apparaît l’ancienne cité de Pétra et son majestueux Trésor, tombeau du premier siècle taillé dans le roc pour un ancien roi nabatéen. Vous passez devant la structure de 40 mètres de haut et ses statues de dieux romains et égyptiens, avant de vous diriger vers le monastère, tout aussi impressionnant, par une raide montée de 800 marches.

Mais avant d’atteindre le plus grand monument de Pétra, vous quittez le sentier pour entrer dans des vestiges d’un autre genre, où flotte une odeur d’encens et où des mosaïques tapissent le sol autour de petites colonnes réaménagées. Contrairement au héros incarné par Harrison Ford, vous ne rencontrez pas un chevalier du 11e siècle préservé par le Saint Graal. En face de vous, le métropolite grec orthodoxe de Jordanie vous tend une coupe de communion.

En janvier, il a conduit les premières prières chrétiennes officielles à Pétra depuis 1 400 ans.

D’autres générations de cinéphiles se référeront peut-être plutôt à Le retour de la momie, Transformers: La Revanche, ou même Mortal Kombat : Destruction finale. Les productions hollywoodiennes sur place ont généré bien des revenus pour la Jordanie, mais ceux-ci ne sont pas grand-chose à côté des 5,3 milliards de dollars que le pays a engrangé en 2022 grâce à son industrie du tourisme. Cette année-là, Pétra a reçu 900 000 visiteurs, soit près d’un quart du total national.

Mais aujourd’hui, le royaume hachémite y ajoute une composante religieuse.

« C’est une grande bénédiction de se trouver dans ce lieu saint de Pétra », a déclaré l’archevêque Christophore, avant de procéder à la distribution du pain et du vin. « Nous ne pensons pas d’abord à la pierre qui nous entoure, mais aux saints et à l’identité spirituelle de cet héritage, cette histoire et cette civilisation, ainsi qu’à notre grande et bienheureuse patrie. »

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En 2021, la Jordanie a lancé une stratégie nationale de promotion du tourisme sur cinq ans mettant l’accent sur les sites religieux, notamment les lieux de pèlerinage approuvés par le Vatican, à savoir le lieu du baptême de Jésus à Béthanie au-delà du Jourdain, le mont Nébo, d’où Moïse a vu la Terre promise, et Mukawir, qui abrite un palais hérodien associé au site biblique de Machéronte où Jean-Baptiste a peut-être été décapité. Environ 85 % des touristes viennent pour des raisons culturelles et patrimoniales, et un quart des visiteurs du site de baptême de Jésus viennent des États-Unis.

La Jordanie souhaiterait prolonger le séjour de ces touristes déjà susceptibles de visiter Pétra.

« Malheureusement, Pétra est surtout connue pour son Trésor et son Siq », explique Fares al-Braizat, chef du conseil des commissaires de l’autorité régionale de Pétra. « Elle peut offrir bien d’autres choses, et les églises sont une découverte supplémentaire. »

Dix ont été découvertes à ce jour, et des fouilles sont encore en cours. Mais la cathédrale byzantine du cinquième siècle n’a été découverte qu’en 1990 et entièrement mise au jour que huit ans plus tard. La restauration a suffisamment progressé non seulement pour inciter al-Braizat à ajouter Pétra à la liste des sites historiques chrétiens de Jordanie, mais aussi pour faire revivre le patrimoine religieux de l’ancienne cité. Cela ne fait qu’ajouter à la réputation de la nation en tant que musée à ciel ouvert, dit-il.

La communauté évangélique de Jordanie s’en réjouit.

« Comment peut-on avoir un site ecclésial historique et ne pas le bénir par la prière ? », dit David Rihani, président des Assemblées de Dieu de Jordanie. « Pétra montre que le gouvernement se préoccupe de l’histoire du christianisme dans ce pays. »

L’histoire biblique est encore plus longue. Pétra pourrait avoir été habitée dès 7000 ans av. J.-C. et est devenue la capitale du royaume nabatéen vers le quatrième siècle avant notre ère. L’historien juif Josèphe et les traducteurs de la Septante ont rattaché cette tribu arabe au fils premier-né d’Ismaël, Nebajoth, et certains identifient Pétra au Kadès biblique où Moïse a frappé le rocher qui a fait jaillir de l’eau dans Nombres 20.

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Les Édomites de l’âge du fer refusèrent alors aux Hébreux le passage sur la route du roi — située en Jordanie — et Aaron mourut ensuite et fut enterré au mont Hor. La tradition locale, Josèphe et l’historien chrétien Eusèbe le situent à Pétra, où un sanctuaire au sommet de la montagne recouvrirait son tombeau.

Hérode le Grand, soutenu par Cléopâtre, pille Nabatée en 32 av. J.-C., mais son fils Hérode Antipas épouse la fille du roi nabatéen Arétas IV, dont il divorce en l’an 27 en faveur d’Hérodiade, la femme de son frère, ce qui provoque la controverse avec Jean-Baptiste.

L’histoire des débuts du christianisme à Pétra est assez contestée. Après sa conversion, Paul déclare dans Galates 1 qu’il s’est immédiatement rendu en « Arabie », que des spécialistes identifient au royaume nabatéen, qui comprenait la Syrie. Nombreux sont ceux qui pensent que ce séjour de trois ans était une période de contemplation. Mais, notant que l’expérience de Paul sur le chemin de Damas s’est accompagnée de son appel à l’apostolat, Martin Hengel soutenait qu’il s’agissait en fait du premier voyage missionnaire de Paul.

Fares al-Braizat et Giovanni Pietro Dal Toso, ambassadeur du Vatican en Jordanie, devant le Trésor de Pétra.
Image: fournie par le Conseil des commissaires de l’Autorité régionale de Pétra/Adaptations par CT 

Fares al-Braizat et Giovanni Pietro Dal Toso, ambassadeur du Vatican en Jordanie, devant le Trésor de Pétra.

Les targums juifs racontent que la femme d’Abraham, Agar, s’est installée dans la région. Paul parle d’elle en Galates 4. On sait qu’une communauté juive a existé à Hégra, la deuxième ville la plus importante du royaume nabatéen, située non loin de Pétra. Ésaïe 60 mentionne les « béliers de Nebajoth » offerts sur l’autel de Jérusalem, et Hengel imaginait que Paul aurait pu être motivé par cette vision du royaume messianique.

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Cette explication fournit un contexte au récit de 2 Corinthiens 11 concernant la fuite de Paul hors de Damas, descendu dans un panier depuis le mur de la ville. Actes 9 attribue les troubles aux responsables juifs, mais Paul nomme spécifiquement le gouverneur du roi Arétas, seule mention d’un souverain contemporain dans ses épîtres. Il n’est pas difficile d’imaginer que la prédication de l’apôtre ait dérangé ses frères hellénistes et que le responsable local soit intervenu pour calmer la situation.

Mais il n’y a aucune preuve archéologique que Paul ait visité Pétra, ou que l’apôtre ait participé à la conversion du peuple nabatéen, souligne Pearce Paul Creasman, directeur exécutif de l’American Center of Research (ACOR), décrit comme un « génie » par le National Geographic. Basé à Amman, l’ACOR a été fondé en 1968 et a fouillé l’église byzantine de Pétra en 1992. Au cours des années suivantes, trois autres sites ecclésiaux ont été mis au jour, descendant chronologiquement le long de la montagne.

L’église de la crête, datant de la fin du 4e siècle, est considérée comme la plus ancienne, tandis que la chapelle bleue, nommée d’après la couleur du granit égyptien de ses colonnes, a probablement précédé de peu celle que l’on a initialement nommée l’église de Pétra, à laquelle une quatrième structure, un baptistère, a été rattachée plus tard. Toutes sont aujourd’hui facilement accessibles aux touristes.

Un père de l’Église, Athanase, mentionne un évêque, Astérios de Pétra, qui dénonça l’arianisme comme hérésie et fut envoyé en exil avant d’être rétabli dans ses fonctions par l’empereur Julien en l’an 362. L’archevêque Christophore a affirmé qu’il y avait sept diocèses à Pétra, sous la juridiction de l’église de Jérusalem. Un ensemble d’environ 140 papyrus découverts dans l’église byzantine en 1993 témoigne de l’existence d’une communauté florissante dès le 6e siècle. Les textes grecs présentent un type de protoarabe et décrivent comment des édits de l’empereur Justinien ont été appliqués localement dans l’année qui a suivi leur publication.

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Selon Pearce Paul Creasman, les recherches actuelles ne permettent pas de déterminer comment le christianisme est arrivé dans la ville. Les tombes témoignent de la déification des rois nabatéens, tandis que les temples soutenaient le culte du dieu local Dusarès et de ses trois compagnes al-Uzza, Allat et Manat. Pétra perdit son indépendance au profit des Romains en l’an 106, et un tremblement de terre en 363 scella le déclin de son âge d’or en tant que plaque tournante régionale des caravanes, supplantée par Palmyre, en Syrie, et par les nouvelles routes maritimes.

Pourtant, l’histoire regorge d’exemples où les nouvelles idées religieuses ont pris racine dans les villes commerçantes, et Pétra était alors un centre verdoyant dans un désert régional qui a attiré une population allant jusqu’à plus de 20 000 personnes. Cependant, tous les sites chrétiens découverts actuellement datent d’après le tremblement de terre, la recomposition du paysage ayant probablement offert l’occasion de donner à la ville une identité plus chrétienne.

Certains spécialistes pensent que Pétra est restée majoritairement païenne et que, si certains temples ont été réaffectés — ou du moins marqués d’une croix —, d’autres ont conservé leur fonction d’origine. Le célèbre monastère, dédié à l’origine au roi Obodas premier, a été transformé en église à une date inconnue, tandis que le Trésor présente également des sculptures chrétiennes plus tardives.

« Les idées et les croyances changent », dit Creasman, « même si les populations restent les mêmes. »

Pétra disparaît ensuite de l’histoire, et l’on sait peu de choses sur l’islamisation de la région. On y trouve un château croisé du 12e siècle, ainsi que des preuves de la curiosité musulmane lors de la visite du sultan mamelouk égyptien un siècle plus tard. Pétra n’a été redécouverte par les explorateurs occidentaux qu’en 1812 et a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985. En 2007, elle a été élue comme l’une des sept nouvelles merveilles du monde.

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Mais c’est le statut de Pétra en tant qu’« icône du monde arabe » qui lui confère une signification particulière pour les chrétiens jordaniens, dit Chris Dawson, professeur adjoint britannique de théologie historique au Jordan Evangelical Theological Seminary (JETS). Auteur de Travel Through Jordan, qu’il qualifie de petit guide pour les étudiants de la Bible, il a conduit des groupes de touristes sur des sites chrétiens pendant des dizaines d’années et décrit 60 lieux qui éclairent les Écritures.

« Il existe une idée selon laquelle pour être authentiquement arabe, il faut être musulman », explique-t-il Dawson. « Le fait de présenter Pétra comme une ville authentiquement arabe et chrétienne, aussi pluraliste qu’elle ait été, est une occasion de montrer le contraire. »

Mais il y a aussi d’autres endroits. Pella, par exemple, est une ville de la Décapole dans laquelle les chrétiens se sont réfugiés après la destruction de Jérusalem en l’an 70. Madaba, outre sa célèbre carte en mosaïque de la Terre sainte, possède une église voisine présentant clairement une identité arabe. Et Jerash, l’une des villes gréco-romaines les mieux préservées au monde, permet aux croyants d’aujourd’hui d’imaginer ce qu’était la vie civile imprégnée de paganisme.

Avec un ancien temple à Zeus construit par un « fils de Zébédée », certainement sans lien avec ceux de l’Écriture, Jerash abritait des autels d’encens pour les dieux, ainsi que ce que les archéologues ont identifié comme un oracle, une fabrique d’idoles et un marché de viande jadis approvisionné avec les restes des sacrifices. Compte tenu de l’enseignement de Paul en 1 Corinthiens 8, comment les chrétiens pouvaient-ils gérer leur régime alimentaire et s’adapter culturellement à leur environnement ?

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« Il ne s’agit pas tant de faire un pèlerinage que de se mettre à la place des premiers croyants. Cela nous aide à comprendre les pressions qu’ils subissaient. »

Si le christianisme a disparu de Pétra et d’autres villes jordaniennes avec l’avènement de l’islam, il existe un lien durable entre ces villes et les disciples de Jésus aujourd’hui. Dawson rappelle que les premiers chrétiens arabes ont pris pour patrons Côme et Damien, persécutés par les Romains au 3e siècle, et ont donné leur nom à des églises dans toute la région, y compris dans l’actuelle ville de Jerash. La tribu arabe des Ghassanides, elle, a adopté Serge, un soldat syrien de la même époque décapité pour sa foi, comme saint-patron.

Un collègue de Dawson au JETS est un descendant des Ghassanides.

Haidar Hallasa, 76 ans, membre de la faculté et pasteur de l’église du Nazaréen, a consacré la seconde moitié de sa vie à l’étude de l’histoire du christianisme arabe. Auteur de titres arabes tels que La géographie biblique de Jordanie et Notre histoire oubliée, il explique que de nombreux chrétiens modernes du Levant descendent de cette ancienne tribu, qui a vu le jour au Yémen au 4e siècle.

Son arrière-grand-père, un musulman bédouin, est arrivé dans la région de Transjordanie en 1735, fuyant des crimes qu’il avait commis dans la région de Bethléem. Se présentant comme un Copte égyptien, il se fait alors engager comme berger et se forge une réputation d’honnêteté qui lui permet de se marier avec la fille borgne d’un chef de tribu.

Selon Hallasa, sa sous-tribu qui en est issue compte aujourd’hui 10 000 personnes.

Mais les Ghassanides n’étaient pas la seule tribu chrétienne influente. Au début de l’ère islamique, le premier calife omeyyade, qui régnait depuis Damas, épousa une fille de la tribu des Benu Kalb et nomma son parent chrétien prince régnant de Tibériade. De nombreux membres de ces tribus se convertirent finalement à l’islam et d’autres fuirent vers Constantinople. Pour cette raison, Hallasa explique parfois aux musulmans ouverts d’esprit que leur identité religieuse n’est peut-être pas due à la foi, mais à des raisons économiques. Si les mariages mixtes témoignent de relativement bonnes relations entre chrétiens et musulmans, les chrétiens arabes se voyaient imposer des taxes parfois exorbitantes au titre de leur dhimmitude qui faisait d’eux des citoyens de seconde zone.

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Dans l’espoir qu’une meilleure connaissance de l’histoire puisse inciter certains à réfléchir à l’Évangile, Hallasa a répertorié 52 autres tribus de la péninsule arabique ayant des origines chrétiennes. Mais son message principal est celui de la tolérance au sein de la société.

Bien que cela ait été difficile, il a réussi à se faire accepter dans sa ville natale de Karak, à 120 kilomètres au sud d’Amman, une ville qui appartenait autrefois aux Moabites, aux Nabatéens et aux chrétiens, mais qui est aujourd’hui majoritairement musulmane.

« Les islamistes radicaux veulent nous diviser », dit Hallasa. « Je dis le contraire : vous étiez chrétiens, nous le sommes restés, mais nous sommes tous un seul peuple. »

Également Ghassanide, David Rihani estime que les évangéliques ont un rôle particulier à jouer pour relier la Jordanie au christianisme mondial. Les touristes n’apportent pas seulement des revenus à une économie en difficulté, mais aussi un contact avec leur foi. Et ceux qui viennent en Terre sainte et prolongent leur séjour en Jordanie favorisent des échanges promoteurs de paix.

Les prières des chrétiens à Pétra ne peuvent qu’aider.

Vaguement conscient de cette histoire avant l’annonce, le responsable des Assemblées de Dieu estime que celle-ci met en évidence le rôle de la Jordanie dans la diffusion de la Bible dans toute la région. Mais surtout, la prière chrétienne à Pétra est une forme d’encouragement divin.

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« Dieu nous dit : Je suis déjà venu ici, et je continuerai avec vous », dit Rihani. « Nous ne devrions pas y voir des pierres dépourvue d’aspect spirituel, car le message de l’Évangile est vivant en Jordanie. »

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