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Constitutionnalisation de l’avortement : les évangéliques français appellent à une culture de la vie.

Malgré la déception suscitée par le vote de leurs législateurs, les églises ont encore devant elle des occasions d’aimer et de servir.
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Constitutionnalisation de l’avortement : les évangéliques français appellent à une culture de la vie.
Image: NurPhoto/Contributeur/Getty
Des manifestants pro-vie rassemblés silencieusement à Paris tandis que le Sénat entamait les débats sur l’inscription de l’avortement dans la Constitution

Lors d’une rare session conjointe au château de Versailles, les législateurs français ont voté par 780 voix contre 72 l’inscription de l’accès à l’avortement dans la Constitution, faisant de leur pays le premier au monde à se doter d’une telle disposition.

Bien que l’avortement soit déjà légal en France, le Parlement réagissait ainsi à l’annulation par la Cour suprême des États-Unis de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, ainsi qu’au virage conservateur pris par divers pays à travers le monde. Le gouvernement français a voulu consolider les lois existantes en prévision d’une éventuelle victoire de l’extrême droite lors des prochaines élections présidentielles en France en 2027, même si aucun parti politique ne prône ouvertement la fin de l’avortement.

Le vote a largement dépassé le seuil des trois cinquièmes des sénateurs et députés nécessaire pour modifier la Constitution, qui stipule désormais que la liberté d’avorter est « garantie » en France. Si de nombreuses voix se sont réjouies de cette décision, des voix pro-vie s’expriment aussi, notamment issues du catholicisme et de la petite minorité évangélique du pays (qui représente environ 1 % de la population). Un groupe d’environ 2 500 manifestants, ralliés par les organisateurs de la Marche pour la Vie, proche des milieux catholiques, s’était rassemblé à Versailles lundi, alors que les députés arrivaient pour le vote.

« Je pense qu’il est très important de constater que de nombreux Français ne sont pas d’accord avec l’inscription de l’avortement dans la Constitution », déclarait Nicolas Tardy-Joubert, président de Marche pour la Vie. « Cette [manifestation] est essentielle pour montrer qu’il existe une autre façon d’envisager la vie publique dans notre pays. […] Nous devons protéger la vie, et pas introduire dans notre constitution une liberté garantie de pouvoir tuer quelqu’un. »

Il souligne cependant que, si cette journée a été marquée par la tristesse, « elle devrait également être porteuse d’espoir, parce que nous devons réveiller les consciences et soigner les blessures […] Il s’agit d’un processus à long terme. »

Dans son discours prononcé avant le vote historique, le Premier ministre Gabriel Attal a salué l’ajout à la Constitution comme une deuxième victoire pour Simone Veil, survivante de l’Holocauste et ministre française de la Santé qui avait défendu la loi de 1975 légalisant l’avortement en France, connue sous le nom de « loi Veil ».

Cependant, comme le rappelle la déclaration du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), la loi Veil considérait l’avortement comme un dernier recours : « L’exception devait être le principe. La situation de détresse, le critère. » Le CNEF souligne que, pour Simone Veil, l’avortement devrait garder son « “caractère d’exception” […] afin d’éviter que la société ne “paraisse l’encourager” », mais le dissuade plutôt.

Mais aujourd’hui, note la déclaration, « [l]a liberté garantie devient le principe. La situation de détresse a été évacuée de la loi. »

Le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH) estime lui aussi que cette mesure fait apparaître l’avortement comme la solution privilégiée par le gouvernement pour les femmes confrontées à des grossesses non désirées.

« Cet isolement face à la décision d’une IVG est une forme d’abandon des autorités publiques, face au désarroi que peut connaître une femme dans un moment délicat de sa vie, sans lui fournir d’autre alternative que de mettre fin à la vie qu’elle porte en elle. », déclare l’instance dans un communiqué. « La liberté qu’on lui offre est aussi le soutien dont on la prive. »

Le CPDH note également que le vote de lundi, par lequel « l’interruption volontaire de vie deviendra sûrement une des valeurs de la République » constituera « [u]ne avancée politique pour le Président Macron — et il s’en félicite naturellement — mais aussi un vrai recul éthique. »

Marjorie Legendre, pasteure, professeure d’éthique et de spiritualité à la Faculté Libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et membre de la Commission d’éthique protestante évangélique (CEPE), estime que l’inclusion de l’avortement dans la Constitution est un signal d’alarme pour les évangéliques français. Au lieu de s’opposer uniquement à l’avortement en privé, ils en parlent désormais plus ouvertement dans l’Église et dans la société.

Il est assez courant que le gouvernement organise des tournées d’écoute et invite le public à participer et à débattre lorsqu’il s’agit de grandes questions, mais tel n’a pas été le cas avec la décision de constitutionnaliser l’avortement. Erwan Cloarec, président du CNEF, rapporte que, bien que le gouvernement organise des rencontres avec son organisation et d’autres groupes religieux sur d’autres sujets, il ne les a pas invités à s’exprimer sur celui-ci. À sa connaissance, le gouvernement n’a même pas entendu l’Église catholique, qui a toujours un poids historique en France. Malgré cela, « c’est notre devoir de dire ce que nous croyons ».

Marjorie Legendre, s’exprimant à titre personnel et non en tant que représentante d’une institution, attire l’attention sur la manière dont le gouvernement privilégie le droit de choisir de la femme par rapport aux droits de l’enfant.

« J’ai l’impression qu’on met tellement en avant le droit des femmes qu’on oublie le droit de l’enfant à naître. Mais qui est le plus faible dans l’histoire ? Le chrétien est appelé à prendre la défense du plus faible. Je ne dis pas qu’il faut opposer le droit de la femme, qui peut elle aussi être en situation de fragilité, et le droit de l’enfant à naître, mais là il y a une disproportion au profit uniquement du droit de la femme. »

Si l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution n’entraîne pas de changements immédiats dans la pratique, puisque des lois protégeant l’avortement sont déjà en place, certains évangéliques craignent qu’elle n’ait une incidence sur d’autres formes de liberté. Par exemple, le CNEF déclare : « les protestants évangéliques de France appellent le gouvernement à veiller à offrir aux femmes qui le souhaiteraient la liberté et les moyens de garder ou de confier leur enfant. »

Certains craignent également que le changement constitutionnel n’empiète sur le droit des professionnels de la santé de ne pas pratiquer des procédures qui vont à l’encontre de leur conscience. Marjorie Legendre ne pense pas que la clause de conscience soit juridiquement menacée. Elle fait partie de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Mais elle craint que, dans la pratique, les médecins ou les infirmières ne subissent des pressions pour pratiquer des avortements, ce qui affaiblirait en fin de compte la clause de liberté de conscience.

Si les chrétiens occidentaux peuvent considérer ce qui se passe en France comme une mise en garde, Erwan Cloarec observe qu’il est essentiel de prendre en compte les contextes culturels et historiques distincts de chaque pays.

« Notre posture c’est d’essayer d’être constructifs et d’être crédibles, de dialoguer avec les autorités du pays sans être dans une démarche de confrontation, conscients de vivre dans un contexte sécularisé, mais sans renoncer pour autant à dire ce que nous croyons », explique-t-il. En fin de compte, « nous souhaitons être l’Église de Jésus Christ. C’est-à-dire aimants, accueillants pour tous. »

Pour la suite, Luc Olekhnovitch, président du CEPE et pasteur depuis 30 ans, se réjouit que le CNEF ait publié un communiqué de presse afin qu’il y ait une réaction publique. Au-delà, les églises ont du pain sur la planche. « La bataille culturelle est perdue sur cette question », déclare-t-il. « En revanche, il ne faut pas abandonner la bataille culturelle dans les églises, la bataille de respecter la vie de la conception jusqu’à la mort. »

Selon Nicolas Tardy-Joubert, de la Marche pour la Vie, il est encore possible d’empêcher des avortements. Il relève que, selon une étude réalisée en 2020 par le groupe pro-vie Alliance Vita, 88 % des Français seraient intéressés à mieux comprendre les causes et les conséquences de l’avortement, dont le nombre s’élève à environ 200 000 par an dans le pays.

« Nous pensons donc que les députés et les sénateurs devraient s’impliquer dans des recherches pour mieux comprendre pourquoi nous avons autant d’avortements et quelles en sont les conséquences en termes de santé publique, de démographie et d’économie », souligne-t-il. « L’objectif de réduire de moitié les avortements en France, par exemple, est atteignable si nous sommes prêts à mettre en place les politiques nécessaires. »

De telles initiatives pourraient être accueillies favorablement même par ceux qui n’ont pas de raisons éthiques de souhaiter une baisse du nombre d’avortements. Comme de nombreuses régions du monde, la France est confrontée à une baisse rapide de la natalité qui aura des répercussions sur la main-d’œuvre du pays et pèsera sur son système de protection sociale : en 2023, le nombre de naissances dans le pays a été le plus bas depuis 1946.

Marjorie Legendre estime que les églises ont un rôle à jouer dans la lutte contre une « culture de la mort » en s’exprimant de manière prophétique en faveur d’une « culture de la vie ». Selon elle, cela se fera « dans l’enseignement des jeunes, dans l’enseignement des adultes qui ont des parents vieillissants, etc. Il y a de la marge de manœuvre dans nos communautés à ce niveau-là. Et, en ce sens nous pouvons être des modèles et des témoins au sein de la société de la “culture de la vie”. »

Elle ajoute : « Nous avons toutes les raisons d’avoir une “culture de la vie” : nous adorons le Dieu vivant, le Dieu de la vie, le Christ ressuscité ! Nous avons toutes les raisons de célébrer la vie, de savourer la vie, de respecter la vie : à nous d’être des modèles et des témoins de la vie, du commencement à son terme. »

[ This article is also available in English. See all of our French (Français) coverage. ]

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