Un article de juin 2021 sur le site Atlas Obscuraoffrait ce sous-titre : « Le passe-temps auquel Tom Brown consacre sa retraite est une aubaine pour les cuisiniers, les écologistes et le cidre ». J’ajouterais : « et pour l’Église ».

Brown, un ingénieur chimiste à la retraite, a passé ces dernières années à rechercher des variétés de pommes oubliées ou perdues. Au début du 20e siècle, il y avait environ 14 000 variétés de pommes aux États-Unis. Mais comme le rapporte Eric J. Wallace dans l’article d’Atlas Obscura, « à la fin des années 1990, la production indigène de pommes destinées au marché intérieur américain reposait sur moins de 100 variétés ! »

Au cours des 25 dernières années, Brown « a retrouvé environ 1 200 variétés, et son verger d’un hectare […] contient 700 des plus rares d’entre elles » — jaunes tachetées, rouges ou vertes, avec des surnoms tels Carolina Beauty ou Sheepnose. Pourtant, poursuit Wallace, « les experts ont estimé qu’environ 11 000 variétés anciennes ont disparu ». Autant de subtiles nuances de douceur, d’acidité, de couleur et de texture. Autant de glorieux parcours de culture ou d’hybridation. Disparus. Remplacés par l’homogénéité industrielle.

Les débats sur la biodiversité peuvent s’enliser dans des échanges abstraits. L’ampleur de la catastrophe environnementale pourrait plonger n’importe qui dans une inhibition paralysante. Le problème est trop complexe, trop difficile à saisir dans sa globalité. Mais dans les particularités des oiseaux du jardin, des vers de terre et des variétés de pommes, les questions concernant la création me deviennent compréhensibles.

Comme Matthew Sleeth, défenseur de la cause environnementale, le souligne à juste titre, si l’on comprend que le changement climatique est bien d’origine humaine, on en déduit intuitivement que le monde est en train de mourir. Ne devrions-nous pas alors, en tant qu’Église, nous lamenter devant ce dépeuplement des cieux et des mers qui défigure non seulement la terre mais aussi notre foi ? La destruction de la création affecte inévitablement notre éthique et le culte que nous rendons à Dieu.

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Toute disparition d’espèce, végétale ou animale, signe la perte de quelque chose qui, au départ, a été conçu avec un amour infini. La nature est une icône, une fenêtre sur le ciel de Dieu. Lorsque nous détruisons l’icône, nous ne pouvons plus entendre son appel à l’adoration.

Dans son livre Against Nature (« Contre la nature »), Steven Vogel écrit que lorsque la nature est réduite à une simple fonction d’objet, nous voyons la création comme l’obstacle « à surmonter et maîtriser pour satisfaire les besoins matériels humains ». Il en résulte une « séparation fondamentale des humains et de la nature ».

Le monde créé cesse d’être un lieu qui reflète la gloire de Dieu, un lieu d’émerveillement. Il devient au contraire la matière brute qui alimente l’exploitation commerciale et la consommation personnelle irréfléchie. Un monde déraciné est un monde sans Dieu.

De plus, notre vision de la nature a un impact considérable sur notre théologie, nos croyances et notre éthique. Si la création est dévalorisée, nous perdons notre identité de créatures incarnées et le sens de nos existences. Si la perte de 11 000 variétés de pommes n’pas de sens, alors pourquoi la façon dont j’utilise mon corps serait-elle si importante ? Et d’ailleurs pourquoi les corps sont-ils si importants après tout ?

Dans un éditorial sur l’éthique sexuelle chrétienne, Andy Crouch écrivait que « la question du corps est un des éléments-clé d’une saine théologie sexuelle. Car derrière le rejet du corps se cache en fin de compte un dégoût gnostique pour l’incarnation en général ».

Bien que je parle beaucoup de la sainteté de l’incarnation, je flirte régulièrement avec le gnosticisme. Je passe mes journées à discuter avec des collègues sur des écrans. Je mange de la nourriture qui apparaît comme par magie sur ma table sans avoir à me salir les mains puisque je n’ai participé ni à la plantation ni à la récolte des ingrédients qui la composent. Mes écrits et mes prédications me maintiennent dans un monde d’idées déconnectées de la réalité.

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Pour beaucoup d’entre nous, nos corps semblent à peine nécessaires pour vivre. Avec notre déconnexion culturelle de la réalité, des limites et des rythmes du monde naturel, nous peinons à entretenir une théologie du corps qui apparaît aussi arbitraire qu’abstraite.

Une partie de la vocation de l’Église et de sa contribution pour aujourd’hui consiste à montrer aux gens comment vivre à nouveau en tant que créatures. Pour beaucoup, le chemin du retour à la foi ne se trouvera pas dans de meilleurs arguments en sa faveur — bien que ceux-ci soient importants — mais dans une relation plus profonde avec ce monde bien terrestre, poussiéreux, et glorieux dans lequel nous nous trouvons. Préserver la beauté de la création préserve notre adoration de Dieu.

Tom Brown est donc bel et bien un héros. Il a récupéré 1 200 échantillons de la délicieuse sagesse de Dieu – 1 200 témoins que la substance de la création, y compris notre corps, compte. Il a sauvé un trésor d’icônes aussi sacrées qu’une voûte parée d’or du Vatican.

J’espère lui ressembler davantage. J’espère me salir les mains aujourd’hui au contact de la terre. J’espère me promener ou apprendre à connaître une autre variété d’arbre dans mon jardin. J’espère manger des produits du potager récemment planté par mon mari et me rappeler que le Créateur m’a également créée. Il a fait de moi une partie de ce monde où les rochers, les rouges-gorges et même les pommes « crient » son nom.

Traduit par Jacques Lemaire

Révisé par Léo Lehmann

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