En tant que femme spécialiste du Nouveau Testament, je n’ai tout simplement pas le luxe de passer à côté de 1 Timothée 2.11-15 où Paul, après avoir déclaré que les femmes devraient « apprendre dans le calme et la pleine soumission », affirme que « la femme sera sauvée en devenant mère ». Cette idée de « salut par la maternité » m’a été citée par plus d’inconnus et de connaissances (plus ou moins) bien intentionnés que n’importe quel autre, mais une situation m’est bien restée en mémoire.

Je ne me souviens pas du contexte qui aurait pu rendre la chose appropriée, mais un jour, il y a une dizaine d’années, un jeune homme m’a dit, au cours d’une conversation à propos de mon enseignement : « Oui, tu es bien sauvée par la maternité. » Il se trouve que j’étais en position d’autorité par rapport à lui, et je voyais bien que ce qui se présentait comme une « blague » visait à me remettre à ma juste place.

« Alors je suppose que je ne suis pas sauvée », ai-je répondu, sachant que son interprétation de ce verset relevait de ma maternité littérale. Je savais aussi, contrairement à lui, que mon corps donnait de nombreux signes indiquant que je ne pourrais jamais avoir d’enfant. (Soit dit en passant, par la grâce de Dieu, j’ai fini par devenir la « mère de quelqu’un ».)

Mon histoire n’est qu’un aperçu de la manière terrible dont les femmes ont été blessées par l’utilisation abusive de 1 Timothée 2.11-15. Dans l’introduction de son récent livre intitulé Nobody’s Mother: Artemis of the Ephesians in Antiquity and the New Testament (« La mère de personne : l’Artémis des Éphésiens dans l’Antiquité et le Nouveau Testament »), Sandra L. Glahn brosse un tableau déchirant de son expérience de la perte d’un enfant et de ses rencontres avec ce texte dans des cultures où il joue un rôle de premier plan pour la participation des femmes au sein de l’Église. Comme moi, elle a intériorisé bien des messages sur la féminité et la façon dont la valeur des femmes peut être mesurée. Il doit y avoir beaucoup de « flèches dans notre carquois », nous dit-on, et notre ministère a lieu dans notre maison.

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Glahn, professeure au Dallas Theological Seminary, présente son livre comme un ouvrage visant à déconstruire soigneusement ce genre de propos en se penchant sur le contexte historique de 1 Timothée. En examinant minutieusement d’anciens témoignages sur Éphèse et la déesse Artémis qui y était honorée et en brisant au passage quelques mythes, Glahn permet de mieux comprendre un passage terriblement complexe. Tout au long de l’ouvrage, sa méthode principale consiste à illustrer ses affirmations par la présentation de données historiques, qu’elle analyse ensuite en relation avec le texte biblique.

Une image plus juste d’Artémis

Le premier chapitre du livre aborde une question importante qui vous a peut-être déjà traversé l’esprit : avons-nous vraiment besoin d’un autre livre sur ce passage ? Et pourquoi maintenant ? Le oui retentissant de Glahn vient de plusieurs directions. À ses yeux, nous avons besoin d’un « regard neuf » pour ces quatre raisons :

  • Pendant la majeure partie de l’histoire de l’Église, les femmes ont été considérées comme inférieures aux hommes par nature.
  • Les faits suggèrent que (malgré ce qui précède) les femmes étaient actives dans l’Église pendant toute cette période.
  • Nous avons accès à davantage d’informations grâce à des bases de données, des inscriptions et d’autres preuves archéologiques.
  • Nous pouvons mieux évaluer l’information grâce à l’analyse littéraire et aux progrès réalisés dans l’étude des inscriptions, des matériaux et pratiques littéraires anciens et des signes et symboles.

Le deuxième chapitre se concentre sur la ville d’Éphèse, où Timothée se trouve probablement lorsqu’il reçoit la correspondance de Paul. Glahn commence par une étude des lieux où Éphèse apparaît dans l’Écriture. L’une des mentions les plus importantes se trouve dans Actes 19, où le ministère de Paul conduit à la destruction de livres de magie et à un soulèvement. Un cri retentit dans la foule en colère : « Grande est l’Artémis des Éphésiens ! » (v. 28, 34) Le message de Paul sur Christ menaçait leur dévotion à la déesse — et la production de biens qui accompagnait ce culte.

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Jusqu’ici, les observations faites par Glahn s’alignent sur les observations habituelles, mais c’est dans sa caractérisation de la déesse qu’elle détone. Pour beaucoup, Artémis est une déesse de la fertilité et, dans certains cas, de la prostitution. Dans ses représentations, son torse ou sa poitrine est couvert de ce qui ressemble à des œufs, et beaucoup pensent que ces œufs sont ses nombreux seins. Comme l’indique Glahn, certains ont également fait un lien entre Artémis et les amazones de la mythologie grecque. Mais que disent les textes anciens sur Artémis ?

Quelque chose de tout à fait différent.

Artémis, souvent décrite comme « l’Artémis d’Éphèse », est « la mère de personne ». Elle accorde une grande importance à la virginité et se bat parfois pour préserver sa propre chasteté. Malgré cela, elle qui avait vu sa mère souffrir de la naissance traumatisante de son frère Apollon était considérée comme une sage-femme. Les femmes priaient pour qu’elle les conduise en toute sécurité à travers l’expérience de l’accouchement ou les libère miséricordieusement de la souffrance en leur décochant rapidement d’une de ses flèches.

Dans ces récits, elle n’est jamais associée à la prostitution. Glahn souligne d’ailleurs que la prostitution était interdite à Éphèse à cette époque. Chacune de ces caractérisations d’Artémis dans les sources littéraires est également corroborée par des épigraphes anciennes que Glahn présente dans le chapitre suivant. Elle y examine diverses références à Artémis, notamment sur des bâtiments et des monuments. Celles-ci présentent une image similaire de la déesse.

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Si Glahn observe un portrait relativement cohérent d’Artémis dans les sources littéraires et les épigraphes disponibles, les représentations d’Artémis dans l’architecture et l’art sont plus variées. Parfois, elle ressemble à une amazone, une beauté traditionnelle, parée de bijoux et de cheveux tressés. À d’autres moments, elle paraît plus étrange, couverte de formes ovoïdes interprétées comme des seins. Mais ces images ne sont pas représentatives de déesses différentes ou de traditions divergentes. Glahn explique que certaines pièces de cette époque présentent une représentation d’Artémis au recto et l’autre au verso. La belle chasseuse vierge est bel et bien la « mère de personne ». Que penser alors de ces étranges formes semblables à des œufs ?

Glahn aborde un large éventail d’explications, au nombre desquelles on trouve par exemple des testicules de taureau ou des canines de cerf, mais se fixe sur l’idée que ces formes sont un type de perle utilisé dans les bijoux magiques liés aux pouvoirs de l’Artémis d’Éphèse. Avec ces nombreux bijoux, elle apparaît comme à la fois resplendissante et puissante, un bon portrait de cette déesse, comme nous l’avons vu.

L’Artémis d’Éphèse
Image: WikiMedia Commons/Adaptations par CT 

L’Artémis d’Éphèse

Une réponse à un slogan

Le dernier chapitre, « Sauvée par la maternité », explore comment une image plus précise d’Artémis peut aider notre interprétation de 1 Timothée dans son ensemble, mais surtout en 1 Timothée 2, où des conceptions erronées d’Artémis ont influencé les conceptions chrétiennes de la manière dont les femmes peuvent prendre part à la vie de l’Église. Glahn comprend 1 Timothée comme une polémique (relativement subtile) contre Artémis. Elle montre comment le langage appliqué à Artémis apparaît plus souvent et d’une manière différente dans les lettres de Paul à Timothée et à Tite, et elle relie divers thèmes de ces lettres aux éléments déjà soulignés tout au long du livre.

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Mais elle avance également des arguments qui vont bien au-delà de cette relation avec Artémis. Elle montre pourquoi les interprètes devraient considérer 1 Timothée 2.11-15 comme des instructions destinées aux épouses, et non à toutes les femmes. Pour elle, l’interdiction faite aux femmes « d’enseigner ou d’assumer une autorité sur un homme » signifie seulement qu’une femme ne doit pas « enseigner dans le but de dominer un mari ». Si les arguments de l’autrice convergent ici avec des analyses typiques de ce passage, sa présentation des enjeux est claire et se rattache à sa thèse plus générale.

Parmi les idées les plus intéressantes de ce chapitre, on trouve celle que « la femme sera sauvée par la maternité » était un dicton ou un slogan en vigueur chez les Éphésiens. Si tel est bien le cas, Paul répéterait cette affirmation pour y apporter sa réponse : « si elles persévèrent dans la foi, dans l’amour, et dans une vie sainte en gardant en tout le sens de la mesure. » (1 Tm 2.15, SEM) Les interprètes s’interrogent généralement sur le passage du singulier au pluriel (« la femmesera sauvée » si « elles persévèrent »), mais comme le note Glahn, le passage du slogan à la réponse pourrait résoudre ce problème.

Dans l’ensemble, ce livre est une ressource remarquable pour ceux qui voudraient en savoir plus sur l’Artémis d’Éphèse. Il fournit une étude approfondie de la littérature ancienne et quelques analyses intéressantes. Ceci dit, cette grande force du livre pourrait également être considérée comme l’une de ses principales faiblesses : à première vue, il semblerait destiné à un public profane averti, mais des dizaines de pages contiennent de longues citations de sources primaires. Les discussions sont parfois très techniques. Peut-être ai-je mal évalué le ou les publics visé(s), mais l’écart de style et de ton entre l’introduction autobiographique de Glahn et son analyse des preuves épigraphiques est significatif.

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Il se pourrait aussi que certains soient déçus que l’interprétation de 1 Timothée ne joue pas un rôle plus important dans le livre. Cependant, à la décharge de Glahn, le chapitre qui traite bel et bien de ce texte est assez long, puisqu’il représente environ un quart de l’ouvrage. Malgré sa longueur, l’analyse reste toutefois principalement, mais pas exclusivement, guidée par l’hypothèse de l’autrice selon laquelle Paul a l’Artémis d’Éphèse à l’esprit tout au long de sa composition, ce qui demeure malgré tout incertain.

Madison N. Pierce est professeure associée de Nouveau Testament au Western Theological Seminary. Elle est l’autrice de Divine Discourse in the Epistle to the Hebrews.

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