Les sermons du Vendredi saint ne sont pas toujours faciles à entendre. Il est encore plus difficile de les prêcher. Je n’ai jamais été aussi ému et je n’ai jamais autant remué sur mon siège à l’église que le Vendredi saint. C’est peut-être parce que ces moments nous forcent à nous arrêter aux passages les plus sombres de l’Écriture, face à la souffrance, à la mort et aux desseins de Dieu. Pour beaucoup, il y a quelque chose d’une épreuve à lire les textes du Vendredi saint et à continuer à considérer Dieu comme bon.

Une sage utilisation de la doctrine chrétienne historique devrait nous y aider.

Prenons l’exemple de la prophétie d’Ésaïe 53 sur le Serviteur souffrant. Dans son contexte d’origine, ce Serviteur est enveloppé d’un épais mystère. Nous avons là un portrait troublant, mêlant œuvre extraordinaire et tourments, qui tout à la fois nous désoriente et nous captive. Dans les premiers chants du Serviteur d’Ésaïe, on distingue clairement une figure représentative d’Israël en exil. Mais dans ce chapitre 53, cette figure communautaire devient un individu concret, énigmatique et bouleversant. Méprisé et rejeté par les hommes, opprimé et conduit à la mort par ses ennemis, il semble, parmi les hommes, le plus à plaindre.

Le pire de son sort ne réside pas dans les mauvais traitements infligés par ses ennemis, ni même dans le rejet de ses amis : c’est le traitement que lui réserve Dieu qui est le plus déconcertant. Bien qu’il soit innocent et qu’il n’y ait pas de « tromperie dans sa bouche », le texte nous dit que « l’Éternel a voulu le briser » afin de faire de « sa vie un sacrifice de culpabilité » et d’assurer le salut d’un grand nombre de personnes (Es 53.9-11).

Mais comment les desseins du Dieu d’Israël pourraient-ils être servis par l’écrasement de ce juste ? Qu’apprenons-nous là sur la manière dont Dieu traite ses serviteurs, ses élus ? Ces paroles nous apparaissent bien sombres. Une lueur commence cependant à poindre, non seulement lorsque nous découvrons leur accomplissement en Jésus, le Messie humain, mais aussi lorsque nous reconnaissons celui-ci comme le Fils divin, deuxième personne de la Sainte Trinité.

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Jésus paraphrase Ésaïe 53 pour expliquer sa mission à ses disciples : « En effet, le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mc 10.45) Jésus affirme ici qu’il est bien le mystérieux Serviteur prophétisé qui vient se donner dans la mort en tant que représentant des siens, en offrande docile pour la culpabilité d’un peuple pécheur.

Mais ce n’est qu’avec la doctrine de l’incarnation que l’on comprend que celui qu’il a plu au Seigneur d’écraser n’est pas simplement un juste et malheureux substitut, mais le Dieu unique d’Israël lui-même. Le Fils saint et éternel a pris sur lui la chair du Serviteur pour nous et notre salut. Le Seigneur se choisit lui-même pour porter notre fardeau. Le Seigneur s’envoie lui-même pour mourir à notre place.

La lumière se fait plus vive lorsque nous méditons les paroles de Jésus en Jean 10.17-18 : « Le Père m’aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même. » Il serait aisé d’imaginer que Dieu est un père en colère qui a besoin d’écraser une victime innocente et que Jésus surgit, plein d’amour, pour nous sauver de lui. La doctrine trinitaire historique nous rappelle que ce n’est pas ce que nous lisons dans la Bible et que ce n’est pas non plus l’enseignement de l’Église.

Des théologiens comme Augustin ont au contraire enseigné que, puisque Dieu est un et indivisible, les œuvres de la Trinité sont inséparables dans l’histoire — quoi que fasse le Fils, le Père et l’Esprit le font avec lui. En Jean 10, nous en avons un aperçu, car Jésus enseigne que la volonté du Fils et celle du Père sont une seule et même volonté. Le Fils vient librement dans la chair pour donner sa vie et la reprendre pour notre salut, et le Père l’aime pour cela. Comme le dit Calvin, il y a là « une merveilleuse louange de la bonté de Dieu envers nous », démontrant que « notre salut lui est plus cher que sa propre vie ».

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Certains aiment aujourd’hui à prétendre que la doctrine chrétienne historique est un obstacle à la prédication et à l’enseignement des textes plus difficiles de la Bible. Rien n’est plus faux : la doctrine éclaire l’Écriture. Ce n’est qu’à sa lumière que nous voyons la bonté du Dieu unique dans les souffrances du Serviteur d’Ésaïe 53. Dans son grand amour pour nous, le Fils vient dans la puissance de l’Esprit, selon la volonté du Père, comme le Serviteur qui répond à notre péché par son sacrifice. Telle est la bonté de Dieu dans la bonne nouvelle du Vendredi saint : Dieu se sacrifie lui-même pour nous.

Derek Rishmawy est doctorant à la Trinity Evangelical Divinity School.

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