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Au Sénégal, le ngalakh rapproche chrétiens et musulmans.

Des évangéliques évoquent l’opportunité de cette pratique d’origine catholique pour favoriser la bonne cohabitation et faire connaître l’Évangile.
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Au Sénégal, le ngalakh rapproche chrétiens et musulmans.
Image: John Wessels/Contributeur/Getty
Un fidèle catholique s’agenouille pour prier à l’extérieur d’une église au Sénégal.

Au Sénégal, ce serait plutôt la viande que les musulmans aiment partager avec d’autres. Les chrétiens du pays, eux, partagent un dessert.

Après la fin du jeûne du ramadan le 9 avril, les musulmans majoritaires dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ont invité leurs amis chrétiens à célébrer avec eux la Korité (Aïd el-Fitr) en mettant l’accent sur le pardon et la réconciliation et en partageant un bon repas à base de poulet.

Dans un peu plus de deux mois, lors de la Tabaski (Aïd al-Adha), ils proposeront de même à leurs voisins chrétiens la viande de mouton abattue en commémoration du sacrifice du fils d’Abraham. (Les deux fêtes suivent le calendrier lunaire et changent de date chaque année.)

Pour les chrétiens, cependant, le signe de la bonne entente entre les diverses religions est le ngalakh, une forme de bouillie de céréales sucrée.

« Le Sénégal est un pays d’hospitalité ou la “teranga”, le sens du partage, est très développé », explique Mignane Ndour, vice-président des Églises des Assemblées de Dieu au Sénégal. « Le ngalakh est devenu notre moyen de renforcer les relations entre chrétiens et musulmans. »

Les personnes que nous avons interrogées témoignent de ce que cette douceur festive est très attendue.

Dans la langue locale, ngalakh signifie « faire de la bouillie ». Ce dessert froid marque la fin du carême. Entre 3 et 5 % des 18 millions d’habitants du Sénégal sont chrétiens — catholiques pour la majorité — et les familles se réunissent pour préparer le repas de Pâques le Vendredi saint.

Les ingrédients de base du ngalakh, crème d’arachide et pain de singe (le fruit du célèbre baobab), sont trempés dans l’eau pendant plus d’une heure avant d’y ajouter la farine de millet nécessaire à l’épaississement de la pâte. Le plat est ensuite assaisonné de noix de muscade, de fleur d’oranger, d’ananas, de noix de coco ou de raisins secs.

Acidulé, doux et savoureux, le ngalakh tire sa couleur brunâtre de la crème d’arachides.

La communauté chrétienne du Sénégal fait remonter son origine à l’arrivée des Portugais au 15e siècle. Jacques Seck, un prêtre catholique de Dakar, la capitale, rapporte lui que le ngalakh s’est développé pendant la période de la colonisation française, lorsque des servantes métisses préparaient à leurs maîtres des repas sans viande pendant le jeûne du carême.

Selon Mignane Ndour, la tradition s’est au fil du temps également étendue aux protestants.

L’Église protestante du Sénégal, dont les membres avoisinent le millier, a été fondée en 1863 et est devenue plus visible dans les années 1930. Les luthériens sont arrivés eux dans les années 1970 et constituent aujourd’hui la deuxième plus grande dénomination chrétienne du pays, aux côtés des méthodistes, des presbytériens et de mouvements évangéliques plus récents.

Le ngalakh ne fait cependant pas l’unanimité.

« Les évangéliques ne partagent pas cette tradition », estime Pierre Teixeira, rédacteur en chef de Yeesu Le Journal, un mensuel interconfessionnel. « Mais les rares églises qui la pratiquent diffusent un film sur l’Évangile avant la distribution. »

Pierre Teixeira, ancien pasteur baptiste, a grandi dans un foyer catholique à Dakar. Se souvenant de la bouillie de sa jeunesse, il considère qu’il s’agissait d’un symbole de communion commémorant la mort de Jésus sur la croix. Mais aujourd’hui, les évangéliques sénégalais y verraient plutôt un vecteur d’intégration sociale. Au cours des 20 dernières années, la petite communauté a vu le nombre de ses étudiants à l’université augmenter et certains croyants s’efforcent d’exercer une influence dans les domaines de l’économie et de la politique.

Mignane Ndour, qui a été élevé dans un foyer musulman, estime que les deux choses sont compatibles.

« Pâques n’est pas seulement la fête des catholiques, et le ngalakh est la fête de tous les Sénégalais », dit-il. « Il représente un chemin de compréhension, par-delà la religion. »

Si les protestants valorisent eux aussi la pratique de la teranga, certains considèrent le dessert interconfessionnel comme un obstacle non biblique à l’évangélisation et préfèrent délaisser cette tradition locale. D’autres, selon Mignane Ndour, ne proposent pas de ngalakh à leurs voisins musulmans de peur d’être en retour obligés de prendre part à la fête musulmane de la Tabaski, ce qu’il considère comme impossible en raison de leur interprétation des avertissements de Paul concernant la viande sacrifiée aux idoles.

Mais nombreux sont ceux qui chérissent cette coutume sociale dans le cadre de la tolérance religieuse qui fait la fierté du Sénégal.

« Le ngalakh est un plat délectable méticuleusement préparé avec amour et passion », dit Eloi Dogue, vice-président des opérations africaines pour Our Daily Bread Ministries. « C’est un symbole d’unité et de bonne volonté entre voisins, en particulier avec nos amis musulmans. »

L’islam est arrivé au Sénégal au 11e siècle par le biais du commerce et s’est répandu par une combinaison de conquêtes et de conversions sincères. Le rejet du colonialisme a attiré de nombreux autochtones dans des ordres soufis mettant l’accent sur une interprétation mystique de l’islam, qui fusionne les identités sénégalaise et musulmane.

D’autres Sénégalais ont entretenu des relations étroites avec les autorités étrangères et ont assimilé leur culture. Le concept français de laïcité se combine plutôt bien avec la tolérance religieuse soufie, et l’article premier de la constitution sénégalaise déclare : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale ». Son premier président était catholique, et l’éducation religieuse libre à l’école permet aux parents — souvent dans le cadre de mariages mixtes — d’éduquer leurs enfants dans la croyance de leur choix.

Mais Eloi Dogue, également directeur international de Dekina Ministries et ancien secrétaire exécutif chargé de l’évangélisation et des missions pour l’Association des évangéliques d’Afrique, estime que la valeur du ngalakh ne réside pas seulement dans la promotion de la coexistence.

« Oui, il s’agit à l’origine d’une tradition catholique », reconnaît-il. « Mais c’est aussi un moyen de favoriser l’ouverture et de construire des ponts de compréhension mutuelle, en témoignant de la sollicitude, de l’amour et de la bonté de Dieu. »

D’autres chrétiens, y compris en Occident, ajoute-t-il, pourraient faire la même chose en invitant leurs voisins musulmans à partager leurs repas de fête.

Mignane Ndour a grandi sans connaître le ngalakh dans son village situé à 80 km au sud-est de Dakar. Tout en connaissant le siège de la mission luthérienne locale, sa famille appartenait à l’ordre soufi des Mourides. Il se souvient avoir goûté pour la première fois au ngalakh à l’âge de 15 ans, mais c’est la vie à l’université dans la capitale qui lui a fait découvrir sa véritable signification.

C’est là qu’il a découvert l’assurance du salut en Christ. Un pasteur évangélique a partagé sa foi, et Ndour partage la sienne depuis. Pour cela, ce repas de fête peut servir de pont.

Le ngalakh « ouvre des portes qui étaient avant fermées », dit-il « Cela peut nous permettre de parler du véritable sacrifice de Pâques qui est Jésus. »

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[ This article is also available in English. See all of our French (Français) coverage. ]

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