Les débats sur le rôle des femmes dans l’Église ressurgissent très régulièrement, mais à ce sujet beaucoup aux États-Unis laissent de côté un groupe important de chrétiens américains : l’Église noire.

Dans ce contexte, les discussions sur la place des femmes dans le christianisme ne se déroulent pas selon les termes façonnés par les évangéliques blancs. Les églises noires n’utilisent pas le même langage ni les mêmes cadres que les évangéliques blancs, en particulier en ce qui concerne les rôles des hommes et des femmes ; la terminologie « égalitariens versus complémentariens » est plutôt rare. En nous concentrant uniquement sur les aléas de ce débat dans les dénominations à prédominance blanche, nous passons à côté de ce que l’Église noire peut apporter aux réflexions sur la place des femmes dans l’Église.

Par « Église noire », j’entends ici l’ensemble des communautés protestantes afro-américaines de diverses dénominations. Nous nous décrivons ainsi non seulement en raison de la couleur de notre peau, mais aussi en raison de l’importance historique et culturelle unique de cette institution au sein de la communauté afro-américaine. « Au cours des siècles qui ont suivi sa naissance à l’époque de l’esclavage, l’Église noire a été le fondement de la vie religieuse, politique, économique et sociale des Noirs », écrit l’historien Henry Louis Gates Jr.

Les femmes ont toujours joué un rôle essentiel dans l’Église noire, puisqu’elles représentent 60 % d’une communauté moyenne, selon le Pew Research Center. Bien que l’Église noire ait historiquement promu l’égalité entre Noirs et Blancs dans la société en général, les femmes noires ont souvent été marginalisées au sein de l’institution et tenues à l’écart des rôles de direction.

Toutefois, au cours des dernières décennies, le rôle des femmes dans l’Église noire a commencé à évoluer, même si des différences confessionnelles persistent. J’ai contacté des responsables de communautés baptistes, méthodistes épiscopales africaines (AME) et de l’Église de Dieu en Christ (COGIC) pour me faire une idée de leur position dans le débat en cours sur le leadership des femmes dans l’Église.

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Les églises baptistes noires constituent un vaste ensemble, affiliées à la National Baptist Convention, les American Baptist Churches, ou la Progressive National Baptist Convention. Ces communautés sont autonomes. Elles sont généralement dirigées par un pasteur principal et, traditionnellement, ces pasteurs (ainsi que les diacres, les administrateurs et autres responsables de ministère) sont des hommes. En parallèle existent un certain nombre de « rôles féminins », comme ceux de missionnaire, de diaconesse, d’aide-pasteur et d’épouse de pasteur — souvent décrite comme « première dame ».

Dans certaines dénominations, la situation est en train de changer, ou a déjà changé. « Nous avions des femmes autorisées à prêcher, une femme ordonnée, des femmes diacres », rapporte Donna Owusu-Ansah, pasteure de la First Baptist Church d’Englewood, dans le New Jersey, à propos de l’église qu’elle fréquentait dans son enfance. C’est la raison pour laquelle « lorsque j’ai répondu à mon appel au ministère, [le pastorat] ne m’a pas semblé problématique pour moi. » « Ce n’est que lorsque je suis entrée au séminaire et que j’ai rencontré d’autres femmes baptistes que j’ai réalisé que mon histoire n’était pas celle de tout le monde. »

Certaines églises baptistes noires refusent toujours d’ordonner des femmes, souligne-t-elle, et elle pense que d’autres incluent des femmes dans leurs processus de recherche de pasteurs pour paraître progressistes, mais n’envisageraient jamais réellement d’engager une femme. Tout récemment, une église baptiste noire historique de Harlem aurait écarté toutes les femmes de sa liste de candidats dans sa recherche d’un successeur après le décès du pasteur qu’elle avait eu pendant 30 ans. « Nous avançons », dit Donna Owusu-Ansah, « mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. »

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Les églises de l’AME, en revanche, sont depuis longtemps à l’avant-garde de l’intégration des femmes dans le ministère, les autorisant à exercer diverses fonctions de prédication et de pastorale depuis la fin des années 1800. L’AME était la dénomination d’origine de Jarena Lee, la première femme noire à prêcher aux États-Unis, qui au début des années 1800 s’adressait à des auditoires métissés. La dénomination a élu sa première femme évêque, Vashti Murphy McKenzie, en 2000.

« J’ai rejoint une église AME dans la région de Boston il y a de nombreuses années, et c’est la première fois que j’ai vu une femme pleinement ordonnée », raconte Elaine Flake, pasteure principale de la Greater Allen AME Cathedral, une importante église new-yorkaise connue pour son engagement en faveur de la justice sociale et ses initiatives de développement communautaire.

« J’ai grandi chez les baptistes et je ne savais pas que des femmes pouvaient être ordonnées », se souvient la pasteure. « Ils avaient peut-être laissé parler la première dame pour la Journée de la femme ou quelque chose comme ça, mais je ne l’avais jamais vu. » Pour Elaine Flake, la rencontre avec des femmes ordonnées a été un « choc culturel ». Toutefois, depuis l’époque de ses études, la culture a encore évolué. « Lorsque j’ai suivi le processus d’ordination, il y avait probablement autant, sinon plus, d’hommes que de femmes », se rappelle-t-elle. « Mais aujourd’hui, je vois des classes de préparation à l’ordination en grande partie, voire uniquement, composées de femmes. »

Pourtant, dans la pratique, ajoute-t-elle, le rôle des femmes varie selon les districts et les évêques. Lauren Harris, chargée d’un rôle d’ancienne itinérante de l’AME du Maryland, est du même avis. « Nous pouvons être élues et consacrées en tant qu’évêques, nous pouvons être responsables au niveau confessionnel, nous pouvons être ordonnées en tant qu’anciennes et diaconnesses, et nous pouvons être pasteures », m’explique-t-elle. « Cela dépend du district dans lequel vous travaillez, car certaines églises préfèrent encore les hommes. »

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Dans l’Église de Dieu en Christ (COGIC), l’une des dénominations pentecôtistes noires les plus importantes et influentes, tous les districts sont encore dirigés par des hommes. L’évêque président de la dénomination, son conseil général et son conseil des évêques sont également exclusivement masculins.

Depuis les débuts de la COGIC, « les femmes n’ont pas été autorisées à être ordonnées », explique Keon Gerow, pasteur principal de l’église Catalyst à Philadelphie. Mais « les femmes ont reçu des possibilités [de servir] sans titre », poursuit-il « qu’elles ont pu exploiter à leur profit et acquérir un pouvoir important ».

Chaque femme de la COGIC fait partie du Département international des femmes (IDW), le bras de l’Église en charge de la croissance spirituelle des femmes. L’IDW a sa propre gouvernance et, au-delà des rôles officiels institués, les églises COGIC honorent la position de « mère d’église », que la professeure Anthea Butler décrit dans Women in the Church of God in Christ Making a Sanctified World (« Les femmes dans l’Église de Dieu en Christ. Créer un monde sanctifié. »)

« Le titre de “mère d’église” ou “mère”, attribué à des femmes âgées dans de nombreuses églises noires, porte le germe de la direction et de l’anciennat » au sein de l’IDW, explique-t-elle. Cette désignation, qui fait référence à Tite 2, est généralement accordée à des membres de longue date de l’Église et constitue « le lien entre les hommes ordonnés » et les femmes dont ils ont la charge sur le plan pastoral.

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Que leur rôle soit reconnu ou non, les femmes noires constituent l’épine dorsale de la COGIC. Deux tiers des membres de la dénomination sont des femmes, rapporte Keon Gerow, ce qui signifie que les femmes ont une influence très importante sur les dons, les finances, la prise de décision, les interactions en dehors de la chaire, l’organisation du système et la création de liens. Dans les églises de la COGIC, l’influence des femmes ne provient pas de positions officielles, explique-t-il, mais cela « n’a pas empêché les femmes de s’autodéterminer et de jouer un rôle » dans leur foi commune.

Les femmes noires ont été capitales dans l’histoire de l’Église noire et continuent à jouer un rôle vital dans son développement et à l’influencer sur les questions ecclésiales et sociétales plus larges. Malgré les nombreux défis auxquels elles sont confrontées, les femmes noires se sont montrées actives dans la défense de leurs intérêts au sein de ces institutions.

Du leadership religieux et spirituel à l’engagement social et à l’édification de la communauté, ces femmes noires offrent aussi un modèle de leadership pour les femmes d’autres confessions et églises dans leur propre contexte. Dans les débats sur les rôles des hommes et des femmes dans l’Église, notre histoire mérite d’être rappelée.

Khristi Lauren Adams est doyenne pour la vie spirituelle, la diversité, l’équité et l’inclusion et professeure d’études religieuses à la Hill School. Elle est l’autrice de plusieurs livres, dont Parable of the Brown Girl et Unbossed: How Black Girls Are Leading the Way. Speaking Out est la rubrique invités de Christianity Today.

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