La version française de cet article écrit en 2020 a fait l’objet d’une mise à jour.

Je me retrouvais seul sur mon lit d’hôpital, une douleur fulgurante traversant mon corps. Pendant trois mois, je ne pouvais ni rester debout ni m’asseoir plus de 30 minutes. Les médecins n’avaient aucune solution pour soulager mes douleurs nerveuses persistantes et mes spasmes musculaires débilitants. Dans mon agonie, je me demandais si ma vocation d’enseignant et de chercheur chrétien n’était pas arrivée à son terme.

Avant que la douleur n’apparaisse, j’étais un professeur en bonne santé et engagé dans une carrière fructueuse à l’Université de Baylor. J’avais publié plusieurs livres, achevé un travail avec une bourse conséquente et me réjouissais les discussions en classe avec les doctorants d’un programme que j’avais aidé à mettre en place. En mars 2017, je me suis rendu à un rendez-vous médical supposé être une visite de routine. Peu de temps après, j’étais en proie à l’angoisse.

J’étais devenu prisonnier de la douleur. Pour la maîtriser, je devais rester alité, languissant. Je ne pouvais plus aller travailler, faire de l’exercice, conduire ou m’asseoir à table avec ma famille pour les repas du soir. Je me sentais isolé de mes amis et de l’église.

Je ne pouvais pas non plus assumer les responsabilités élémentaires d’un professeur. Pendant la majeure partie de mon temps ces mois-là, je ne me sentais même pas capable de lire, et encore moins d’écrire. M’apitoyant sur mon sort à la manière de Job, j’avais l’impression que tout ce qui m’avait donné satisfaction ou sentiment d’identité m’avait soudainement été retiré. « Qui suis-je, maintenant que je semble avoir tout perdu ? » me suis-je demandé. « Serais-je un jour de nouveau capable d’enseigner, d’écrire et d’apprendre de la même manière ? »

[…] Toutes les crises soulèvent des questions sur qui nous sommes véritablement et ce que Dieu nous appelle à faire. J’espère pouvoir ici nous rappeler les raisons sous-jacentes de notre vocation à persévérer dans l’apprentissage et répondre aux obstacles et distractions que les crises ont tendance à placer sur notre chemin.

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La prière doit prendre le dessus.

« Je ne veux pas mourir », nous dit un soir mon plus jeune fils durant une conversation à table au sujet du COVID-19. Il était alors âgé de 16 ans. Tout comme ma femme, son système immunitaire est affaibli. Mon autre fils, lui, souffre d’asthme. J’ai aussi des parents âgés de plus de 80 ans, dont un avec une faiblesse au poumon. Tous ceux que j’aime semblent vulnérables.

Je sais que mon expérience n’est pas particulière. Face aux pires crises, nous avons tous peur de perdre les personnes que nous aimons. Le spectre de la mort nous hante. Il peut nous arriver de perdre de vue l’appel que nous avons reçu de Dieu. Que pouvons-nous faire lorsque la peur de la mort nous détourne de cet appel ?

Premièrement, nous devons prier. Lorsque, encore durant la pandémie, ma femme m’a dit qu’elle ne se sentait pas bien, j’ai fait face à une vague de peur paralysante. Était-ce le COVID-19 ? Quand la peur menace de prendre le dessus dans nos vies, la prière doit prendre le relais. Nous prions pour aligner nos cœurs avec le cœur de Dieu. Par la prière, il nous réconforte et nous guide, nous rappelant à la fois qui il est et qui nous sommes.

À quoi ressemble la prière en temps de crise ? Elle prend d’innombrables formes. Mon beau-frère, qui vit avec une douleur chronique impitoyable, m’a appris qu’il suffit parfois de prier : « Seigneur, aide-moi à bien vivre cette prochaine heure » ou « Seigneur, aide-moi à bien vivre ces cinq prochaines minutes ». D’autres fois, la prière est plus colorée. Durant mes problèmes de santé, la plupart de mes prières se réduisaient simplement à hurler vers Dieu. Si vous avez crié à Dieu récemment, c’est une bonne chose. Cela veut dire que vous vivez toujours en relation avec lui, même au milieu d’un stress extrême. Et puis, comme les Psaumes nous le rappellent, Dieu peut le supporter. En fait, Dieu est le seul à pouvoir porter le fardeau de notre peur.

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Les Psaumes nous apportent encore bien plus. Pendant mon séjour à l’hôpital, de vieux amis de l’université sont venus de Virginie pour me rendre visite. Leur visite s’est avérée providentielle. Ils ont prié pour moi et m’ont remonté le moral. Plus tard, un ami m’a envoyé un psautier. Bien sûr, j’avais déjà une bible, mais pour une raison ou pour une autre, ce recueil des Psaumes m’a poussé à davantage les lire, les prier et les mémoriser.

Ces trois pratiques m’ont aidé à me réintégrer dans l’histoire de Dieu. J’ai appris par d’autres mots comment exprimer mon angoisse dans les lamentations : « Je suis fatigué d’appeler à l’aide ; ma gorge est desséchée » (Ps 69.3). J’ai poussé des soupirs d’espoir : « Seigneur, je t’attends ; tu répondras, Seigneur mon Dieu » (Ps 38.15). Et il m’a été rappelé que « le Seigneur est proche de ceux qui ont le cœur brisé et sauve ceux qui ont l’esprit brisé » (Ps 34.18).

Souvenons-nous de notre première mission.

Une fois notre paralysie émotionnelle vaincue et notre être replongé dans la communion avec Dieu, nous pouvons de nouveau nous concentrer sur l’accomplissement de notre vocation dans l’histoire de Dieu. Un sermon de C. S. Lewis intitulé « Apprendre en temps de guerre », prononcé au début de la Seconde Guerre mondiale, nous rappelle que les humains font toujours face à la réalité de la mort et du jugement éternel. Lewis invite les étudiants chrétiens à se demander : « Comment est-il juste, ou même psychologiquement possible, pour des créatures qui avancent à chaque instant vers le paradis ou vers l’enfer, de consacrer une fraction du peu de temps qui leur est imparti en ce monde à des futilités telles que la littérature ou l’art, les mathématiques ou la biologie » ?

Au cours de ma première année d’université, j’ai réfléchi à des questions similaires et j’ai commencé à y répondre d’une manière qui interférait avec mon aspiration à apprendre. Dans mon esprit, la simple évangélisation et la formation de disciples (telles que je les concevais précisément) prenaient le pas sur les sciences politiques et les sciences économiques. J’étais à nouveau interpellé par la question incisive que Lewis posait à son auditoire : « Comment pouvez-vous être frivole et égoïste à ce point et penser à autre chose qu’au salut des âmes humaines ? »

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Il m’a fallu deux ans d’université pour comprendre ce que la prédication de Lewis a éclairé en quelques paragraphes. On ne peut pas vivre sa vie entière avec une mentalité de première ligne. Comme le relève Lewis, même les soldats sur le front de la Première Guerre mondiale parlaient rarement de la guerre. Au lieu de cela, ils passaient le plus clair de leur temps à mener des activités normales, notamment la lecture et l’écriture.

La lutte contre le COVID-19, pour reprendre cet exemple, n’a pas dérogé à cette règle. Certes, nous avons passé plus de temps à nous laver les mains, à prendre des distances sociales et à faire du télétravail, mais nous consacrions toujours la majeure partie de notre temps à des activités quotidiennes comme manger, entretenir des relations, travailler et apprendre. Qu’ils aient eu lieu en ligne ou en présentiel, nos cours, réunions, cultes et rencontres avec nos amis se sont poursuivis. Comme Lewis le disait à son auditoire de professeurs et d’étudiants, si vous suspendez toutes vos activités intellectuelles et esthétiques en cas de crise, « vous ne réussirez qu’à substituer une vie culturelle médiocre à une vie meilleure ». […]

Pour le dire en langage théologique, même en temps de crise, il ne faut pas négliger la première grande mission confiée par Dieu (remplir et cultiver la terre) pour répondre à la nécessité de la seconde (faire des disciples).

Genèse 1 contient une déclaration étonnante sur l’homme et sa vocation : « Puis Dieu dit : “Faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance, afin qu’il domine sur les poissons de la mer et les oiseaux dans le ciel, sur le bétail et tous les animaux sauvages, et sur toutes les créatures qui rampent sur la terre.” Dieu créa l’homme à son image, à son image Dieu les créa ; il créa l’homme et la femme. » (v. 26-27)

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Dieu crée. Puisque l’humain est fait à son image, nous sommes aussi conçus pour créer. En effet, le premier mandat que Dieu nous adresse est le suivant : « Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! » (Ge 1.28) Il nous a été accordé l’honneur de créer la culture. Nous fabriquons des outils, composons de la musique et construisons même des villes (des actions décrites dans le quatrième chapitre de la Genèse). Nous construisons des civilisations entières avec des routes et des ponts, des langues et des livres. Nous lançons des entreprises et des organisations caritatives, nous fondons des hôpitaux et des universités et nous ouvrons des galeries d’art et des théâtres.

Dans toutes ces activités, Dieu nous a créés pour que nous le recherchions et que nous connaissions ses pensées et son caractère. Il nous a conçus pour désirer la vérité, la bonté et la beauté et pour découvrir sa sagesse (Pr 1.8). Comme nous le rappelle Hugues de Saint-Victor, enseignant du 12e siècle, rechercher la sagesse c’est rencontrer la pensée vivante de Dieu, comme si l’on entrait dans « une amitié avec cette Divinité ».

C’est la raison pour laquelle nous apprenons, pas seulement pour obtenir de l’argent ou un emploi, même si ces choses sont importantes. Nous apprenons parce que Dieu nous a créés à son image afin que nous puissions refléter sa créativité, sa vérité, sa bonté et sa beauté. Nous apprenons également pour retrouver la plénitude de cette image, en nous joignant au Christ pour inverser les effets de la chute à la fois sur nos vies individuelles et sur le monde dans son ensemble. C’est d’ailleurs en partie pour atteindre ces objectifs que les chrétiens ont peuplé le monde d’écoles.

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[…] Dans la pandémie, si les épidémiologistes, les scientifiques et les travailleurs de la santé avaient ignoré l’appel de Dieu à étudier à l’université, ils n’auraient pas été prêts à combattre le virus. Nous avons besoin d’économistes pour nous aider à déjouer les pièges financiers. Nous avons besoin de psychologues, de poètes, d’écrivains, de philosophes et d’artistes pour nous aider à gérer les émotions en tous genres que nous ressentons. Nous avons besoin de pasteurs, d’animateurs de culte et de laïcs théologiquement équipés pour nous aider à voir ce que nous vivons à la lumière de l’histoire plus vaste de Dieu.

Dans cette perspective, les chrétiens devraient être les plus grands partisans de l’étude. Faire face à une crise requiert toujours la sagesse de Dieu, que nous trouvons dans l’Écriture et dans les meilleures traditions de l’humanité. Comme le répètent les Proverbes, seuls les fous méprisent la sagesse, l’instruction et l’intelligence. […]

Peut-être êtes-vous hésitant face à un avenir incertain ou avez-vous remis à plus tard tel ou tel apprentissage. Si vous aimez vraiment apprendre et entendez l’appel que la sagesse vous adresse (Pr 1.20-33), mettez-vous sans délai en route plutôt que d’attendre un moment plus favorable. Lewis décrit ainsi les plus grands érudits de la planète : « Ils voulaient la connaissance et la beauté tout de suite, et n’attendaient pas un moment propice qui ne serait jamais venu. »

De nouvelles formes de discipline.

[…] Toute crise majeure a tendance à nous arrêter. Pourtant, nous devons veiller à ne pas laisser les circonstances adverses nous consumer et nous épuiser.

Une peur obsessionnelle peut être un obstacle majeur pour maintenir le cap. L’anxiété prend-elle parfois le dessus sur votre vie, occupant chacune de nos pensées ? Je peux témoigner de ce danger. La première fois que j’ai subi mes problèmes de santé majeurs, je les ai laissés tout dominer. J’ai passé des heures à chercher des réponses en ligne. La douleur et l’épuisement mental m’ont fait sombrer dans la dépression.

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Alors que je m’abandonnais à ces vaines occupations, ma femme m’a fait part d’une perle de sagesse dont j’avais cruellement besoin. Dix ans plus tôt, alors qu’elle avait passé une année au lit à se remettre de ses propres soucis de santé, elle avait appris à faire face à ces conditions de « quarantaine » forcée. Le Seigneur lui a lentement enseigné l’importance de structurer sa journée. Elle m’a encouragé à commencer la journée en passant du temps avec Dieu et en faisant des étirements et de l’exercice, ce qui m’a aidé à calmer mes muscles défaillants et à recentrer mon esprit vagabond. Peu à peu, j’ai réappris à gérer mon corps, mon esprit et mon âme.

Pour continuer à apprendre malgré les circonstances, nous devons établir des structures et des rythmes qui nous empêchent de succomber aux pressions du moment. Tout en restant engagés à poursuivre les tâches ordonnées par Dieu, nous pourrions avoir besoin d’expérimenter des moyens inhabituels pour les mener à bien.

Pendant mon épisode de douleurs intenses, je ne pouvais plus m’asseoir ou rester debout pendant de longues périodes. Pour continuer à écrire, j’ai dû faire preuve de créativité et apprendre à utiliser de nouveaux outils. J’ai commandé un support d’ordinateur qui me permettait d’écrire en restant allongé dans mon lit. Par la grâce de Dieu, j’ai vite constaté que le fait de me concentrer sur mon travail me détournait de la douleur et m’aidait à restaurer ma productivité d’antan. En fait, j’ai écrit deux de mes livres de cette manière. […]

Comme le dit Lewis dans Les fondements du christianisme, « Dieu n’apprécie pas davantage les paresseux intellectuels que tout autre paresseux ». Sachons cependant nous récompenser par le repos du sabbat et le jeu. Si nous pensons devoir travailler sept jours sur sept, il est fort possible que nous fassions plus confiance à nos propres forces qu’à Dieu. Si nous pensons que nous devons nous passer de communier avec Dieu pour survivre, nous ne faisons pas confiance à Dieu pour ce qui est de notre temps.

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Les crises que nous traversons ne font que confirmer ce que les chrétiens devraient déjà savoir : depuis la rupture avec Dieu, la vie n’a jamais été « normale » et les jours ont toujours été anormalement mauvais (Ep 5.16). Satan, ce monde et notre chair pécheresse conspirent continuellement contre nous pour nous détourner de l’appel de Dieu pour nos vies. Pourtant, sa grâce permet toujours aux chrétiens fidèles, quelles que soient leurs circonstances, de rechercher la compagnie de Dieu, la connaissance de sa pensée et de ses desseins, et l’accomplissement de ses œuvres dans ce monde.

Perry L. Glanzer est professeur de fondements éducatifs à l’Université Baylor, où il est également chercheur résident à l’Institute for Studies of Religion. Il est notamment co-auteur de The Outrageous Idea of Christian Teaching and Christ-Enlivened Student Affairs: A Guide to Christian Thinking and Practice in the Field.

Traduit par Valérie Dörrzapf

Adapté par Léo Lehmann

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